Jean-Noël Barrot lors de l’ouverture de la restitution des 8 groupes de travail depuis New York,
le 28 juillet 2025 © MEAE
Lettre de la Présidente de l’AFPS
au ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Monsieur Jean-Noël Barrot
Ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères
37 Quai d’Orsay
75007 Paris
Paris, le 28 juillet 2025
Objet : conférence de l’ONU des 28 et 29 juillet 2025 – lettre ouverte
Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères,
Vous coprésidez ces 28 et 29 juillet, au nom de la France, une conférence ministérielle sous l’égide de l’ONU à New-York. La base juridique de cette conférence, initialement programmée mi-juin, repose sur la résolution A/ES-10/L.31/REV1 votée le 18 septembre 2024 par124 pays dont la France.
Cette résolution revêt une importance exceptionnelle : en effet, elle exige, conformément à l’avis de la Cour internationale de Justice (CIJ) du 19 juillet 2024, qu’Israël mette fin à son occupation et sa colonisation du territoire palestinien occupé depuis 1967.
- Pour la première fois elle impose une échéance à Israël pour se retirer du Territoire palestinien occupé (armée et colons) depuis 1967 et pour restituer les biens : le 18 septembre 2025.
- Elle définit les modalités selon lesquelles les États tiers et les organisations internationales doivent s’acquitter de leurs obligations, telles qu’identifiées par la CIJ, afin de mettre fin aux violations généralisées, systématiques et continues des normes fondamentales du droit international par Israël.
La résolution prévoyait entre autres que se tienne avant l’été une conférence de haut niveau dont l’objet a progressivement évolué : chargée initialement « d’examiner l’application des résolutions de l’ONU relatives à la question de Palestine et à la solution des deux États, en vue de l’instauration d’une paix globale, juste et durable au Moyen-Orient », au bout du compte, la « solution à deux États » est devenue centrale dans son ordre du jour.
L’AFPS tient à rappeler que c’est l’application du droit international qui doit être au cœur de cette conférence. Et puisque l’objet en est « la question de Palestine », l’accent doit être mis sur l’obligation de garantir la réalisation par le peuple palestinien de son droit collectif, inconditionnel et inaliénable à l’autodétermination, y compris le droit au retour.
Au cœur de la résolution, étaient précisées les interdictions et obligations faites aux États et acteurs privés ainsi que la liste des mesures coercitives et des sanctions à mettre en œuvre. L’État français doit, au même titre que tous les États membres de l’ONU, exécuter les mesures qui le concernent (dans le domaine diplomatique, par exemple), mais également signifier explicitement aux autres acteurs concernés que sont les acteurs privés (entreprises) et publiques (collectivités locales), personnes morales et physiques, leurs obligations et les risques qu’ils encourent pour le cas où ils ne les respecteraient pas.
C’est la raison pour laquelle, le 24 janvier, quatre mois après le vote de la résolution, ne voyant aucun signe de l’intention de la France de s’engager dans cette voie, avec la Ligue des droits de l’Homme, la Fédération internationale des droits humains et la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, l’AFPS a écrit au Premier ministre pour lui demander quelles mesures il comptait prendre pour mettre en œuvre les obligations des États inscrites dans la résolution.
Le 18 février, la cheffe de cabinet du Premier ministre vous a renvoyé notre courrier afin que vous puissiez y répondre.
Le 2 mai, en l’absence de réponse, nous vous avons de nouveau écrit, Monsieur le Ministre, pour rappeler nos demandes : quelles mesures la France va-t-elle prendre pour se conformer aux obligations des États inscrites dans la résolution qu’elle a votée le 18 septembre 2024 ?
Nous nous sommes également adressé·es aux services des douanes, à Business France, à des services préfectoraux ou des Chambres de commerce et d’industrie pour attirer leur attention sur leurs obligations compte-tenues des obligations figurant dans la résolution.
Nous menons depuis plusieurs mois, partout en France, une campagne citoyenne pour attirer l’attention de toutes et tous sur l’importance de cette résolution et l’urgence de son application.
Entre temps, de nombreux parlementaires vous ont interpellé à plusieurs reprises, Monsieur le Ministre, en commission ou par des questions écrites.
Par ailleurs, le 24 mai, l’AFPS a organisé à l’Institut du monde arabe la « Conférence de Paris pour la protection du peuple palestinien et l’application du droit international« au cœur de laquelle était débattue l’application du droit international.
À l’issue de la conférence, 300 personnalités ont lancé l’« Appel de Paris pour la protection du peuple palestinien et l’application du droit international« dont la résolution du 18 septembre 2024 exigeant le fin de l’occupation et de la colonisation avant le 18 septembre 2025.
À ce jour aucune réponse n’a été apportée à aucune des questions qui vous sont posées depuis des mois, que ce soit par nous, nos partenaires ou par les parlementaires. Tout se passe comme si cette résolution n’existait pas, comme si personne au gouvernement français n’en avait entendu parler et comme si les obligations des États qui y figurent étaient optionnelles et que vous ne vous sentiez pas engagé par son application.
Cela est d’autant plus incompréhensible que la France s’est portée volontaire pour coprésider la conférence qui mettra en œuvre les résolutions de l’ONU.
Entre temps, le président de la République a annoncé que la France reconnaîtrait enfin l’État de Palestine en septembre lors de la prochaine Assemblée générale de l’ONU. Si nous avons exprimé notre satisfaction de voir enfin appliquée cette décision votée par la parlement français il y a plus de dix ans et exigée par le mouvement de solidarité, nous avons également exprimé notre inquiétude : quel sens peut avoir la reconnaissance d’un État dont la terre est colonisée, dont le peuple vit sous occupation militaire ou en exil et subit un régime d’apartheid ? L’application pleine et entière de la résolution A/ES-10/ permet justement de mettre fin à cette occupation, cette colonisation et cet apartheid faute de quoi, le droit à l’autodétermination du peuple palestinien y compris le droit au retour ne peut être respecté. De plus, conditionner la reconnaissance de l’État de Palestine à sa démilitarisation revient à le priver d’un de ses pouvoirs régaliens essentiels et à laisser exposée sa population aux agressions des colons et de l’armée israélienne.
La résolution A/ES-10/ demandait également que soit mis en place un mécanisme chargé de suivre les violations par Israël de l’article 3 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Ce mécanisme doit être confirmé pour s’attaquer enfin au régime institutionnalisé de discrimination, de fragmentation, d’oppression et de domination exercé par Israël sur l’ensemble du peuple palestinien, qui équivaut à un apartheid. La France doit reconnaître ce régime d’apartheid sans plus attendre et tout mettre en œuvre pour qu’il y soit mis fin, comme l’y oblige le droit international.
La société civile palestinienne exige l’application de l’intégralité de la résolution A/ES-10/. L’AFPS soutient l’Appel à l’action unifié de la société civile palestinienne publié en juin à l’approche de la conférence reportée et qui donne de nombreuses pistes dans ce sens.
La rapporteuse spéciale des Nations unies sur le territoire palestinien occupé, Francesca Albanese, quant à elle, présentera devant les Nations unies un rapport sur sa mise en œuvre. Sollicitée en tant qu’ONG de la société civile, l’AFPS a répondu à l’appel à contribution de Francesca Albanese demandant un état de la mise en œuvre de la résolution A/ES-10/ dans notre pays. Notre conclusion : à moins de deux mois de l’échéance, à notre connaissance, la France n’a pris aucune mesure pour se conformer aux obligations des États figurant dans la résolution A/ES-10/.
Par ailleurs, Monsieur le Ministre, vous avez le moyen de montrer que la France entend s’inscrire dans le chemin de l’application du Droit et des droits du peuple palestinien en rejoignant le Groupe de la Haye qui s’est constitué le 31 janvier précisément dans ce but et en premier lieu pour l’application de la résolution A/ES-10/.
Les conclusions de la Conférence d’urgence du Groupe de La Haye qui s’est tenue à Bogotá présentent des actions concrètes communes à mettre en œuvre pour mettre fin au génocide à Gaza.
C’est dans cette voie que la France doit s’engager : celle de la fin de l’impunité d’Israël, de l’application du droit international et d’une mobilisation conjointe avec tous ceux qui œuvrent dans ce sens : mettre fin au génocide à Gaza et au nettoyage ethnique de la Palestine, mettre fin à l’occupation, la colonisation et l’apartheid israéliens, prendre des sanctions contre Israël – à commencer par l’embargo sur le commerce des armes et la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël.
Pour être crédible, la France doit exécuter les mandats d’arrêt délivrés par la Cour pénale internationale à l’encontre des dirigeants israéliens au lieu d’autoriser Benjamin Netanyahou à survoler le territoire français.
Pour conclure, nous donnons la parole à l’organisation palestinienne de défense des droits humains Al Haq qui conclut ainsi son analyse sur les enjeux de la conférence que vous allez co-présider : « Une fois que le droit international sera appliqué, qu’Israël mettra fin à son comportement génocidaire, démantèlera son régime d’apartheid raciste et discriminatoire des deux côtés de la Ligne verte, se retirera des territoires occupés illégalement, facilitera le droit au retour des réfugiés et respectera les droits humains, et lorsque le peuple palestinien aura son destin entre ses mains et sera en mesure d’exercer son droit à l’autodétermination, il sera alors approprié que l’ONU établisse des contacts avec ses représentants, toujours sur la base du droit international, notamment en ce qui concerne les réparations et les indemnités dues, afin de négocier des questions relatives à des sujets tels que l’économie, le développement et la sécurité. Pour que la présente conférence puisse contribuer à la paix, elle doit veiller à ce que l’application du droit international soit au centre de toutes les discussions et analyses. »
Votre responsabilité est grande, Monsieur le Ministre, pour que cette conférence ne contribue pas à affaiblir encore un peu plus le droit international et à éloigner la mise en œuvre du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Nous espérons être positivement surpris·es par les décisions qui sortiront de la conférence des 28 et 29 juillet.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre à l’expression de notre considération.
Anne Tuaillon
Présidente de l’Association France Palestine Solidarité
Source : AFPS
https://www.france-palestine.org/…