Par René Naba

Ils sont pointés du doigt pour avoir été les incendiaires du Monde arabe, dont la rivalité lors de la séquence dite du «printemps arabe» (2011-2021) a mis à feu et à sang leur environnement géopolitique, l’affaiblissant considérablement au profit exclusif d’Israël et de son protecteur absolu, les États Unis d’Amérique.

Ils…..ce sont les héritiers des flibustiers de l’ancienne Côte des pirates du temps du protectorat britannique «à l’est d’Aden », la zone pétrolière du Golfe, qui auront réussi le tour de force, en dépit de leurs turpitudes, d’imposer leurs caprices, voire même de forcer à prosternation les puissances occidentales, jadis pontifiantes, désormais quémandantes .

Ils… ce sont le Qatar gazier, et Abou Dhabi pétrolier, dont la rivalité a alimenté la chronique politique arabe depuis le début du XXI ème siècle.

Parrain de la confrérie des Frères Musulmans, le Qatar a instrumentalisé la plus ancienne organisation transnationale arabe dans son combat contre les pays arabes à structure républicaine, déboulant au passage les grands alliés de son protecteur américain, Hosni Moubarak, d’Egypte, Zine Al Abidine Ben Ali de Tunisie, réussissant l’exploit de détourner la branche palestinienne du mouvement islamiste, le Hamas, de ses frères d’armes traditionnels, la Syrie, qui hébergeait depuis 14 ans le chef du mouvement, Khaled Mecha’al,  de loger un blogueur dans les prestigieuses colonnes du journal Le Monde, en la personne du qatarophile Nabil En Nasri, le thésard longue durée du bachagha de l’islamologie post coloniale française, François Burgat dit «Burka», avant de s’attaquer aux deux pays arabes pétrolier, sans endettement extérieur mais pro russe, la Libye et la Syrie.

Un exploit réalisé, comme de juste, à l’abri de la base américaine du Centcom (Central Command), située à Aydid, à 30 km de Doha, dont la zone de compétence s’étend de l’Afghanistan au Maroc.

A l’apogée de sa puissance, en 2011-2012, le Qatar retombait subitement à son périgée en 2013, avec l’entrée en force de l’Arabie saoudite et Abou Dhabi, qui s’emparaient de la direction de la contre révolution arabe, contraignant à la démission, l’Emir du Qatar, Cheikh Khalifa Ben Hamad, l’ami de Nicolas Sarkozy, plaçant sous blocus, la principauté wahhabite, seul pays au monde avec l’Arabie saoudite à se réclamer de ce segment de l’Islam sunnite.

Ci-joint le récit de la destitution de l’Émir du Qatar

A propos de la rivalité entre les pétromonarchies cf ce lien :

En contre point, Abou Dhabi, qui avait déjoué une tentative de coup d’état des Frères Musulmans à l’aube du «printemps arabe», maintiendra en activité l’ambassade syrienne aux Emirats arabes Unis et soutiendra le Maréchal Khalifa Haftar, en Libye, contre le gouvernement islamiste de Tripoli, pourtant reconnu par l’ONU. De concert avec l’Arabie saoudite, Abou Dhabi déclenchera une guerre contre le Yémen pour forcer le plus pauvre pays arabe à reconnaître Israël. Il en fera de même avec le Soudan, finançant au passage des personnalités chiites libanaises anti Hezbollah pour s’opposer à la formation paramilitaire libanaise, vainqueur d’Israël lors de leur confrontation en juillet 2006.

Pour bonifier leur image auprès de l’opinion internationale, le Qatar s’est adossé à la chaîne transfrontière «Al Jazeera» qu’il hissera en 15 ans au rang d’un des prescripteurs mondiaux de l’opinion internationale, avant de dégénérer en lanceur d’alerte des équipées atlantistes dans le Monde arabe,  faisant en outre l’acquisition du Paris Saint Germain, le club de football de la capitale française avec sa brochette de vedettes Neymar, Lionel Messi et Kylian Mbappé, alors que son rival hébergeait «le Louvre D’Abou Dhabi » et finançait la restauration du «Musée de l’Empereur» à Fontainebleau, dédié à la gloire du vainqueur du pont d’Arcole et d’Austerlitz.

Indifférent néanmoins aux malheurs de Gaza, les deux roitelets du Golfe vont poursuivre leur bataille d’égo au détriment des souffrances du peuple palestinien.

Les principaux points évoqués par les câbles diplomatiques auxquels le journal libanais «Al Akhbar» a eu accès.

«L’Arabie saoudite nourrissait l’ambition de promouvoir un règlement de la question palestinienne, qui aurait préludé à la normalisation de ses relations avec Israël, alors qu’ Abou Dhabi s’activait pour jouer un rôle central dans la guerre israélo-palestinienne de Gaza, mais l’alignement des Emirats arabes unis sur l’Etat Hébreu dès le début du conflit lui a compliqué la tâche.

«L’Arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis, et dans une certaine mesure l’Egypte ont fait part de leur irritation quant au rôle joué par le Qatar dans l’établissement d’un cessez-le-feu à Gaza».

«En visite à Abou Dhabi, le 9 novembre, soit un mois après le déclenchement de «Déluge Al Aqsa», l’Émir du Qatar, a sollicité l’aide d’Abou Dhabi pour une intervention tant auprès des Américains que des Israéliens afin de faciliter la conclusion d’un cessez-le-feu. Mais Cheikh Mohamad Ben Zayed n’a pas manifesté un grand enthousiasme à l’égard de ce projet.

1 – La présence des dirigeants du Hamas au Qatar en question

«Les Etats Unis, de leur côté, ont invité le Qatar à reconsidérer sa position à l’égard du Hamas, notamment le fait d’accorder l’hospitalité au chef politique du mouvement islamiste palestinien Khaled Mecha’al, faisant valoir un argument d’opportunité : Les Etats unis sont entrain de réévaluer leur position à l’égard de la présence du Hamas au Qatar en fonction de l’évolution de la situation sur le terrain à Gaza», est-il-précisé.

Réponse du Qatar : «La présence des dirigeants du Hamas à Doha a permis d’établir des contacts avec les chefs militaires présents sur le terrain à Gaza favorisant la libération d’otages israéliens. Cette opération a été réalisée en pleine connaissance des Américains. De surcroît, les dirigeants du Hamas présents à Doha n’étaient pas au courant de l’attaque du Hamas contre Israël et il importe donc d‘établir une distinction entre la branche politique et la branche militaire du Hamas.

Les Etats Unis ont néanmoins fait pression sur le Qatar en vue de la fermeture de la représentation du mouvement islamiste palestinien à Doha, mais le Qatar a fait valoir que «la présence du Hamas au Qatar s’est faite en accord avec les Américains», soulignant  que «Ce même dispositif s’applique d’ailleurs aux Talibans qui a permis d’établir un canal diplomatique de négociations entre les Etats Unis et le mouvement islamiste afghan».

Pour rappel, le Qatar a participé activement à l’évacuation des ressortissants occidentaux d’Afghanistan après la chute de Kaboul aux mains des Talibans et sa contribution a contribué à bonifier son image auprès de l’opinion occidentale après sa sinistre prestation du «printemps arabe», marquée notamment par la déstabilisation du Nord-Mali par le groupement Ansar Eddine et les attentats en Europe occidentale des groupements islamistes à la solde de Doha (Bataclan, Bruxelles, Allemagne etc..)

2- L’Arabie saoudite se démarque : Le drame de Gaza, «un intérêt marginal», priorité à la promotion économique du Royaume et à la normalisation des relations avec Israël.

L’Arabie saoudite a volontairement décidé de retarder la tenue d’un sommet arabe extraordinaire à Ryad sur Gaza, en sa qualité de président en exercice de la Ligue arabe, le 11 Novembre 2023, soit plus d’un mois après l’opération «Déluge Al Aqsa», en dépit du lourd bilan humain et de l’ampleur des destructions, se préoccupant de convoquer un tel sommet en concomitance avec le sommet arabo africain déjà prévu à cette date. En dépit aussi de la demande pressante du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, au prince héritier saoudien Mohamad Ben Salman. Le régent du royaume a fait valoir qu’il ne souhaitait pas briser le dynamisme du sommet arabo africain.

Une mission diplomatique des pays du Golfe accréditée à Ryad a relevé que le Royaume Wahhabite a traité la guerre de Gaza et ses répercussions régionales de «manière marginale, délibérément, sans nullement dévier des priorités du pouvoir saoudien, à savoir la promotion de la nouvelle vision économique du Royaume à l’horizon de l’an 2030».

L’Arabie saoudite a paru soucieuse de ne pas heurter les Etats Unis, alors qu’elle est en pleine négociation avec les Américains sur le processus de normalisation avec Israël.

«Gaza, pourtant, constituait le sujet le plus évoqué dans les conversations privées saoudiennes, quand bien même les Saoudiens évitaient d’en faire état publiquement de leur opinion par crainte des représailles gouvernementales».

«Les négociations en vue de la normalisation saoudo israéliennes se sont poursuivies normalement tout au long de cette séquence… EN DÉPIT DE L’ANNONCE PAR LES SAOUDIENS DE LEUR SUSPENSION.

3- La nuisance d’Abou Dhabi ! L’attaque du Hamas contre Israël, «un acte odieux et barbare»

L’argent d’Abou Dhabi doit servir en priorité aux ressortissants des Emirats. Tel était le principe moteur de la diplomatie d’Abou Dhabi dans la guerre israélo-palestinienne de Gaza.

Lors des premières semaines qui ont suivi l’opération «déluge al Aqsa», un diplomate émirati en poste au Caire a estimé que les concertations interarabes à propos de Gaza n’étaient d’ «aucune utilité». Sa thèse était d’une grande simplicité : «Israël va poursuivre ses opérations militaires jusqu’à l’anéantissement du Hamas ou la capitulation du mouvement islamiste palestinien, car l’Etat hébreu est déterminé annexer Gaza afin d’empêcher la création d’un état palestinien.

«Pour la réalisation de cet objectif, Israël envisage de déporter la population de l’enclave palestinienne vers le Sinaï égyptien. Le même schéma s’appliquera à la Cisjordanie où la population sera déportée vers la Jordanie dans l’hypothèse où les habitants de la rive occidentale se livrent à des actes d’hostilité contre les Israéliens», poursuivait ce diplomate émirati sûr de son fait, négligeant les capacités de résistance des Palestiniens à Gaza.

Mieux, Les Emirats Arabes Unis ont qualifié d’ «odieux et barbare» l’attaque du Hamas contre Israël, lors d’un débat au Conseil de sécurité de l’ONU, fin octobre 2023. Mais Abou Dhabi a modifié sa position par la suite, allant jusqu’à réclamer, fin octobre 2023, un cessez-le-feu, en s’abstenant même de critiquer le Hamas, contrairement à sa précédente intervention au Conseil de sécurité.

Abou Dhabi a modifié sa position en raison des réactions des habitants des autres émirats qui constituent la Fédération des principautés du Golfe. Charjah a été en tête des mécontents, condamnant sans réserve l’offensive israélienne, de même que les digitalistes des réseaux sociaux, qui ont laissé libre cours à leur mécontentement.

Autre raison qui a conduit Abou Dhabi à moduler sa position a été la crainte de compromettre la tenue à Doubaï, fin novembre 2023, du Sommet des Nations Unies sur le changement climatique ou COP 28.

Ce changement de ton n’a pas affecté sa position de fond d’Abou Dhabi qui a continué à accueillir des dirigeants israéliens, notamment le chef des services de renseignements qui a rencontré à l’occasion de son déplacement aux Emirats, Cheikh Tahnoun Ben Zayed, le conseiller du souverain.

La participation d’une délégation d’Abou Dhabi à une conférence à Vienne sur Gaza, organisée par la mission israélienne dans la capitale autrichienne, le 2 novembre 2023, a suscité le mécontentement des missions diplomatiques arabes, qui ont considéré qu’une telle attitude était en contradiction avec les résolutions de la Ligue arabe sur la guerre de Gaza.

4- L’Autorité palestinienne… A la recherche d’un rôle.

Riad Malki : Joe Biden mène effectivement la guerre contre Gaza

Un câble diplomatique se référant à une source émanant du ministère égyptien des Affaires étrangères fait état de pourparlers entre les Américains et l’Autorité palestinienne, au cours desquels les Américains leurs interlocuteurs sur la possibilité que « l’Autorité palestinienne assume un rôle à Gaza».

Réponse de l’AP : « Nous ne nous opposons pas à un tel rôle, sous réserve qu‘il soit soutenu par tous les états arabes, afin que nous se soyons pas accusés d’être venu à Gaza sur le dos des blindés israéliens».

Riad Malki, ministre palestinien des Affaires étrangères, a informé la Ligue Arabe du fait que M. Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, a donné instructions, le 11 novembre 2023, aux services de sécurité palestiniens, d’empêcher que les affrontements de Gaza ne  se répercutent en Cisjordanie, mentionnant les efforts du Hamas d’étendre la confrontation de Gaza à la rive occidentale du Jourdain.

«Hamas dispose à Gaza d’armements sophistiqués en provenance d’Iran. La Cisjordanie ne dispose pas de telles armes face à Israël», a plaidé M. Malki qui s’est livré à une affirmation étonnante dans la bouche d’un représentant d’un pouvoir à la merci de Washington:

“Joe Biden cautionne l’opération israélienne contre Gaza. C’est lui en fait qui mène effectivement la guerre” , Riad Maliki dixit.

Sur le Qatar, cf les liens suivants :

Sur Abou Dhabi

Sur le financement des personnalités chiites libanaises anti Hezbollah

Illustration

Cette photo fournie par le ministère des Affaires présidentielles des Émirats arabes unis montre l’émir du Qatar, Cheikh Tamim ben Hamad(à droite), accueillant le président émirati, Cheikh Mohammed ben Zayed (à gauche), à Doha, le 5 décembre 2022. MOHAMED AL-HAMMADI / AFP

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