Par Tarek Benaldjia

Lors de sa campagne présidentielle, Macron avait déclaré qu’il reconnaitrait une fois président « la colonisation comme un fait contradictoire aux valeurs de la République ». Le collectif attend du président français qu’il respecte son engagement.

« La France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans les guerres coloniales qu’elle a menées, -en particulier la guerre d’Algérie –  non plus dans les drames et horreurs qu’elles ont entraînés comme le crime d’Etat que constitue le 17 octobre 1961 » peut-on lire dans cette lettre.

Le 17 octobre 1961, des manifestants algériens pacifistes ont été massacrés de sang froid et furent jetés sur la Scène à Paris  par la police française  avec indifférence et mépris les droits de la personne humaine.   

Le 17 octobre 1961, des manifestants algériens pacifistes de la région parisienne ont répondu favorablement à l’appel du Front de la libération nationale en vue de protester contre le couvre-feu dont seuls les Nord-Africains faisaient l’objet.

Ce couvre-feu était également accompagné de violences lors des contrôles et d’arrestations.

Lors du rassemblement, la police française a fait usage d’une violence excessive, allant jusqu’à tirer sur les manifestants ou les violenter. Au moins 200 personnes auraient perdu la vie lors de ce « massacre ». Depuis, l’Etat français rejette sa responsabilité dans la mort des manifestants pacifistes algériens.

Quelques jours auparavant, le collectif du 17 octobre 1961 comptant notamment des historiens, a envoyé une lettre au président Emmanuel Macron pour le presser à faire part de sa position sur les crimes d’Etat commis par la France.

Le choix de la France pour la signature et l’adoption d’une résolution phare de l’Assemblée générale de la naissante ONU le 10 décembre 1948, au Palais de Chaillot à Paris, de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Etait-il judicieux et pertinent ?

L’Empire colonial français, avec ses lots de violations de ces mêmes droits de l’Homme, et son palmarès tristement célèbre en la matière, dans le continent africain, en particulier en Algérie, n’avait-il pas empreint à jamais ce pays du sceau de la honte ?

De tels actes ne peuvent que plonger dans l’effroi et la tristesse de nos sociétés toutes entières et non uniquement  les français. Le monde libre partage ces émotions et tient à exprimer sa solidarité ainsi que ses condoléances les plus sincères aux familles des victimes et à leurs proches.  C’est aussi le rôle des élites des peuples et des associations parlementaires d’un côté comme de l’autre de rappeler aux autorités françaises à quel point il est essentiel de respecter les droits humains et l’État de droit dans leur réponse à des situations aussi extrêmes. 

La France a pris des engagements, en signant et en ratifiant divers textes internationaux, pour protéger l’ensemble des droits fondamentaux sans établir de hiérarchie entre eux. Ainsi, elle doit protéger la liberté d’expression de tous les citoyens, même lorsque celle-ci peut conduire à offenser ou choquer, dès lors qu’il ne s’agit pas d’un « appel à la haine, nationale, raciale ou religieuse, qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence » (article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques). 

Elle a aussi l’obligation de garantir la liberté de religion et de conviction, sans distinction entre les diverses croyances. Les seules restrictions possibles doivent servir l’objectif légitime et spécifique de protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publics ou des droits fondamentaux et libertés d’autrui.  

Si  l’État doit garantir la sécurité de tous et toutes sur son territoire, cet objectif ne saurait être poursuivi à n’importe quel prix. Les mesures que le gouvernement français prendra doivent être conformes aux principes du droit international que la France s’est engagée à respecter.

Or dans les faits, la France devient progressivement un pays de répression, censure et restrictions des libertés les plus basiques. En effet, et bien que les exactions, dont la barbarie le disputait à l’horreur, furent perpétrées par la France, indifféremment en Indochine, en Afrique subsaharienne et au Maghreb, il n’en demeure pas moins que c’est en Algérie, pays colonisé pendant un siècle et un tiers de siècle et annexé à la Métropole, où la France a fait le plus étalage de sa sauvagerie.

De la baignoire et la corvée de bois à la gégène et au sérum de vérité en passant par les viols, les pendaisons, l’arrachage d’ongles, la guillotine, l’emmurage et les enfumades, la France a doublé d’ingéniosité pour inventer et sophistiquer des méthodes de torture, aussi abjectes les unes que les autres.

De nombreux spécialistes et historiens, aussi bien algériens que français, ont traité dans leurs écrits et recherches de cette question, qui demeure, six décennies environ après l’indépendance de l’Algérie arrachée au prix fort, une plaie ouverte en attente d’un mea culpa de l’Hexagone, qui tarde à être fait, malgré quelques tentatives timides mais hélas étouffées et tuées dans l’œuf.

Mahfoud Kaddache, un des plus éminents historiens algériens (1921-2006) a, en évoquant ce sujet, dit que « La France doit assumer son passé devant le tribunal de l’Histoire ».

« Quand on parle de torture (française) pratiquée en Algérie, il ne faut pas sous-entendre celle liée seulement à la Guerre de Libération (1954-1962), la torture a existé en Algérie depuis le début de la conquête française en 1830 », a relevé l’historien, auteur entre autres de « L’Algérie des Algériens, Histoire de l’Algérie 1830 – 1962 ».

Ces exactions généralisées dans le temps ne se limitent pas à la torture mais s’étendent aux massacres et aux tueries, dont les plus célèbres furent celles de Sétif – Guelma -Kharrata, en mai 1945, lorsque des dizaines de milliers d’Algériens désarmés, sortis réclamer pacifiquement leurs droits les plus élémentaires, ont été assassinés par l’armée coloniale.

Nombre d’experts et de spécialistes de la question estiment, à juste titre, qu’à côté des célèbres 1,5 million de martyrs tombés dans le champ d’honneur durant la Guerre de libération qui a duré plus de sept ans et demi, les pertes algériennes, humaines s’entend, s’élèvent à 6 millions de morts, moins connus, durant les 132 ans de colonisation.

De son côté, l’historien français Pascal Blanchard a souligné dans ses écrits que « la torture ne fut pas seulement liée à des situations de conflit, mais elle fut consubstantielle de la colonisation » de l’Algérie.

Blanchard, un historien spécialiste de l’Empire colonial français, d’études postcoloniales et d’histoire de l’immigration, relève que « La torture en Algérie, qui est inscrite dans l’acte colonial, elle est l’illustration ‘normale ‘ d’un système anormal ».

Il a ajouté que « la torture n’est pas une dérive ou un aléa d’une guerre » mais il s’agissait plutôt selon lui d’une politique institutionnalisée et d’une pratique systématique, ce qui le pousse à s’interroger, en l’absence d’excuses officielles de la France de ses pratiques : « Pourquoi alors l’histoire et la mémoire coloniales restent-elles un point aveugle de notre inconscient collectif ? ».

Les paradoxes de l’histoire ont voulu que l’un des pays les plus sanguinaires de l’histoire humaine, la France, soit aussi l’un des défenseurs des droits de l’homme, ou du moins ce que laisse croire le président Emmanuel Macron.

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