Le médecin palestinien Izzeldin Abuelaish parle aux médias en tenant les photos de ses filles,
devant le siège de la Cour suprême, le 15 novembre 2021 à Jérusalem.
Photo Mostafa Alkharouf/Anadolu Agency

Par Gideon Levy

Gideon Levy, Haaretz, 28/11/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le Dr Izzeldin Abuelaish, lui aussi, a essayé les bonnes manières. Pendant 13 ans, depuis le massacre de ses filles dans la bande de Gaza, il a parcouru le monde pour parler d’espoir, de paix, de pardon et de coexistence. Je l’ai vu au Parlement européen et à Tel Aviv. Il a dit qu’il n’était pas en colère. Ses performances étaient presque inhumaines. Il était difficile de les croire. Un homme, dont trois des filles ont été tuées par les forces de défense israéliennes, parle d’erreur et de pardon. Maintenant, pour lui, le  temps pour la colère est venu. Même la Cour suprême israélienne lui a honteusement claqué la porte au nez. Peut-être va-t-il maintenant se rendre compte que la voie qu’il a choisie ne le mènera nulle part.

Izzeldin, vous n’êtes pas le premier Palestinien qui a essayé cette bonne voie, et elle se termine toujours par le désespoir. Marwan Barghouti, par exemple, a essayé la voie de l’espoir et du dialogue avant de se tourner vers la résistance violente. Cela s’est mal terminé pour tout le monde. Alors arrêtez, Dr. Abuelaish. Abandonnez. Arrêtez de parler d’espoir, de justice et de paix. Il n’y a personne à qui en parler. Il n’y a pas de partenaire.

Israël ne comprend pas cette langue, qui est étrangère à l’État. Israël ne connaît qu’une langue différente, à laquelle vous devez recourir si vous voulez atteindre ne serait-ce qu’une petite partie de vos objectifs – une justice différée pour vos filles décédées ; une reconnaissance de l’injustice ; une restitution et la prévention de tels actes à l’avenir.

L’affaire du médecin n’aurait jamais dû être portée devant les tribunaux. Le lendemain de l’assassinat de ses filles, Israël aurait dû contacter le Dr Abuelaish, qui faisait alors partie du personnel du centre médical Sheba, à Tel Hashomer, dans les environs de Tel Aviv. Le gouvernement israélien aurait dû lui demander pardon et lui offrir son aide, sans aucune intervention du tribunal.

Les soldats qui ont tué ses filles n’avaient peut-être pas l’intention de le faire, mais ils n’avaient certainement pas l’intention de ne pas les tuer. Quelqu’un doit être puni et payer pour une telle négligence criminelle.Un précédent ? Excellent. C’est précisément l’intention. Quand Israël commencera à payer pour les crimes et la négligence de ses soldats, les FDI commenceront à faire plus attention à la vie humaine. Dans un rare cas, Israël a fait preuve de générosité et d’humanité. Il s’agit du cas étonnant d’une jeune fille du nom de Maria Aman, qui a été paralysée de la tête aux pieds par un missile israélien qui a tué la moitié de sa famille à Gaza en 2006, et le ciel n’est pas tombé. Elle vit parmi nous, avec tous les services de réadaptation qu’elle mérite. Ce n’est pas un précédent et ce n’est pas dangereux. C’est simplement un comportement humain.

Il n’est pas difficile de deviner ce qui se serait passé si le Hamas avait tué trois sœurs juives. La répugnante organisation ultranationaliste d’aide juridique Shurat Hadin l’aurait poursuivi, en criant au « terrorisme », dans la moitié des pays du monde, et elle aurait gagné.

Abuelaish croyait au système juridique israélien. Le chef du panel de la Cour suprême qui a entendu son cas, le juge Isaac Amit, a déversé des larmes de chagrin et de gentillesse d’une manière répugnante – « Nos cœurs sont avec le plaignant » – avant d’ordonner au médecin éploré de débarrasser le plancher.

C’est le tribunal dont les progressistes [israéliens juifs, NdT] appréhendent tant l’avenir, le phare dont nous sommes censés suivre la lumière. Un désastre existentiel serait causé la démocratie israélienne si quelqu’un essayait de lui nuire, nous a-t-on dit. En fait, ce ne serait pas un grand désastre. Aucun dommage ne serait causé, si ce n’est la réputation mensongère d’un Israël juste.

Maintenant, cher Dr. Abuelaish, prenez un autre chemin. S’ils ne vous écoutent pas à Jérusalem, allez à La Haye. Il est vrai que selon le protocole, vos perspectives sont minces là aussi. La Cour pénale internationale ne s’occupe pas des cas individuels de négligence et n’est pas compétente pour tout ce qui s’est passé ici avant 2014.

Mais vous pouvez déposer une plainte à La Haye contre le système judiciaire israélien pour l’immunité automatique qu’il accorde à tous les crimes de guerre de l’État. Qu’ils l’entendent ou non, cette injustice doit résonner dans le monde. Et puis, Dr Abuelaish, faites appel à un autre système, un système qui pourrait un jour priver Israël d’une partie de l’armement destructeur qui a tué vos filles.

Au lieu de parler de coexistence, parlez de boycotts. Au lieu de parler de paix, parlez de sanctions. Rejoignez le mouvement BDS. Seules de telles mesures sont susceptibles de provoquer le changement pour lequel vous vous battez. C’est ce que la Cour suprême de Jérusalem vous a appris.

Source : TLAXCALA
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