Par Nasser Kandil

« Tous les actes héroïques sont le fruit de l’âme ».
[François Cheng / Académie française]

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Le XXe siècle s’est distingué sur le plan intellectuel, politique et économique par un rationalisme dogmatique dont certains n’ont retenu que les slogans prêchant le bien, la justice et la paix tels qu’ils ont été initialement annoncés par la Révolution française.

Mais ce que beaucoup font mine d’ignorer est que cette rationalité qui fut l’étendard des empires occidentaux a abouti à des modèles d’État, de système politique et de système économique enveloppant, au nom de la raison, l’histoire et la géographie dans des « boîtes » qu’il faudrait imposer aux peuples du monde, au détriment de leurs traditions, de leurs histoires et de leurs géographies.

Notre région est sans doute l’un des meilleurs exemples de cette absurdité qui a touché le monde entier, jusqu’à provoquer l’effondrement de l’Union soviétique.

Or, la Russie a fini par retrouver sa force et sa vitalité grâce à des éléments puisés dans son histoire et sa géographie et non à partir de la recette fondée sur le communisme, lequel en a fait une superpuissance mais a fini par lui voler son âme. Une âme retrouvée du fait de la combinaison de l’esprit impérial avec le christianisme oriental et le nationalisme russe.

Tandis que dans une démarche parallèle, la Turquie libérée de la sécularisation qui lui a été imposée afin de protéger son versant européen, donne à voir un État projetant ses ambitions tentaculaires dans les pays de la région, depuis qu’elle a opté pour la combinaison de son passé impérial ottoman avec son touranisme seldjoukide.

Quant à l’Iran qui aspire à jouer un rôle efficace en Asie, sa démarche se déroule sous la bannière de son Islam dont la particularité est fondée sur le « Karbalaïsme » rejetant l’injustice, avec un relent impérial de réconciliation avec l’histoire de la Perse depuis sa libération de la cage des Shahs, forcés de jouer le rôle de policier du Golfe et de soutenir Israël. Une cage pour la pérennité de laquelle sa révolution fut avortée à maintes reprises.

C’est donc dans les pays arabe du Moyen-Orient que l’histoire et la géographie ont été manipulées d’une manière extrêmement démentielle et incroyablement contraire à tout ce qui relève du naturel. En effet : comment se fait-il que l’Égypte, la mère du monde et le leader du monde arabe, ait été transformée en un état faible menacé par la famine et la soif ? Comment se fait-il que par le seul pouvoir de l’argent et du pétrole, l’Arabie saoudite ait remplacé l’Égypte à la tête du monde arabe, sans posséder les éléments objectifs justifiant un tel leadership ? Et comment se fait-il que la tyrannie ait gommé le rôle historique du Yémen -l’ancêtre des tribus arabes qui a eu le grand mérite d’avoir enraciné et diffusé la langue arabe en plus d’avoir été le concepteur de la plus fameuse des architectures urbaines depuis le royaume de Saba et le barrage de Ma’rib- pour qu’il devienne une simple source de travailleurs pour les pays pétroliers du Golfe ?

Comment ? C’est grâce à la rationalité ayant accordé à l’Occident le mandat du nouveau dieu, nommé « intérêts », que le wahhabisme a été lancé pour remplacer l’Islam enraciné dans l’histoire de l’institution égyptienne Al-Azhar et des oulémas du Levant et de l’Andalousie.

Et c’est grâce à cette rationalité qu’Ibn Khaldoun, Ibn Rochd [Averroès] et Ibn Arabi ont été rayés de l’histoire des Sciences humaines et du patrimoine arabe, pour être remplacés par des charlatans diffusant via des chaînes satellitaires, ouvertes 24h/24, des incantations et des conseils débiles pour prétendument guérir les maux de leurs auditeurs.

Mais la plus grande falsification de l’histoire et de la géographie reste celle qui a frappé les pays arabes du Levant où les cartes des entités issues de l’« Accord Sykes-Picot » ont été dessinées sur mesures, pour garantir la sécurité et l’hégémonie de l’entité d’occupation israélienne, née par la force de la « Déclaration Balfour » en tant que foyer national pour les Juifs. Ces derniers ayant été attirés par toutes sortes de prétextes et de tentations afin de peupler une entité d’occupation défiant tout ce qui touche de près ou de loin à l’histoire et à la géographie locales, tout en jouant le rôle de gardien des oléoducs et de leurs intersections. Le tout au nom de la rationalité, car ce que la raison veut -notamment lorsque cette volonté est appuyée par le pouvoir, le financement et les armes- est susceptible de gommer les vérités de l’histoire en facilitant sa diabolisation ainsi que les vérités de la géographie en facilitant son absorption.

Cependant, depuis 1990 et la chute du mur de Berlin qui a jeté les bases de la réunification de l’Europe déchirée par le rationalisme, ainsi que les bases de la récupération de son âme par la Russie, il est apparu clairement que le XXe siècle était en train de s’effondrer. Tout comme il est apparu que cet effondrement ne sera pas achevé tant qu’il n’aura pas touché les frontières de l’Orient arabe et, en particulier, les piliers de l’entité étrangère israélienne témoignant de cette rationalité occidentale, car fondée sur l’un des plus hauts niveaux de falsification de l’histoire et de la géographie.

D’où l’importance de ce qui se passe en Palestine où les Palestiniens sont en train de démanteler avec une créativité étonnante la créature la plus importante de la rationalité en question.

En effet, les Palestiniens ont prouvé et prouveront encore que lorsque l’histoire et la géographie parlent, les sources du pouvoir, de l’argent et des armes se taisent et leur échafaudage, a priori résistant à tous les vents, s’effondre.

C’est ce que dit la Palestine dont la révolte gronde en soutien de Jérusalem et d’Al-Aqsa. Elle le dit sans aucune contestation possible et démontre que ceux qui ont imaginé la mort de la cause palestinienne n’avaient aperçu qu’un simple mirage, que l’identité collective des peuples de la région est toujours vivante en dépit de tous ses sabotages programmés, que l’Islam ne peut pas être takfiriste et que la Chrétienté refuse d’être assimilée aux Croisés. Autrement dit, ni le Général Gouraud qui aurait clamé sa vengeance contre Saladin ne représente la Chrétienté, ni Abou Bakr al-Baghdadi ou Abou Mohammad al-Joulani ou les mangeurs de foie et de cœur humains ne représentent l’Islam.

Aujourd’hui, notre région récupère son âme en Palestine afin d’ensevelir les très nombreux héritages de l’étape de ladite rationalité. Certes, le Liban est en crise, la Syrie est menacée, l’Irak est désorienté et la Jordanie est en danger. Il n’empêche qu’il n’y a aucun espoir dans des solutions mensongères du type : le Liban d’abord, la Syrie d’abord, l’Irak d’abord ou la Jordanie d’abord. La solution globale est : la Palestine d’abord !

Nasser Kandil
13/05/2021

Source : Al-Binaa (Liban)
https://www.al-binaa.com/archives/297882

Traduit par Mouna Alno-Nakhal

Nasser Kandil est un homme politique libanais, ancien député et Rédacteur en chef du quotidien libanais « Al-Binaa ».

Source : Mouna Alna-Nakhal