Par Qassam Muaddi

26.04.2021 – Jérusalem s’est soulevée, une fois de plus. Depuis cinq jours déjà, la ville est devenue le théâtre de violents affrontements entre la police d’occupation israélienne et la jeunesse palestinienne. Tout a commencé lorsque les autorités d’occupation ont décidé de fermer le parvis de la porte de Damas, à l’entrée principale de la vieille ville de Jérusalem. L’espace a toujours été un espace public plein de vie. Les petits marchands et les paysans l’utilisent comme marché, les jeunes se rencontrent et se réunissent sur ses marches, et les familles ont l’habitude de pique-niquer dans ses environs.

Le fermer revient à priver les Palestiniens de l’un des derniers espaces publics de la ville qu’ils peuvent encore utiliser. Cela a également un impact sur le commerce et la vie quotidienne en général à l’intérieur des anciens murs de la vieille ville. Bien que l’occupation israélienne modifie régulièrement l’aspect de la ville et de ses espaces publics, les Palestiniens ont décidé que cette fois-ci, trop c’est trop, et se sont attaqués à l’occupation, à sa police et à ses colons, frontalement et en masse.

Un demi-siècle de résistance

Ces dernières années, le parvis de la porte de Damas a été au centre de la confrontation entre les Jérusalémites et l’occupation. L’occupation a militarisé ce petit espace avec quatre postes de surveillance et des dizaines de soldats armés qui surveillent constamment les lieux. Mais comme dans le reste de la ville, la lourde présence militaire de l’occupation ne semble pas intimider la population palestinienne. En fait, l’occupation n’a jamais réussi, au cours d’un demi-siècle de domination sur Jérusalem, à imposer la stabilité à ses conditions sur la ville.

Depuis 2014, déjà trois soulèvements majeurs ont ébranlé le contrôle de l’occupation sur Jérusalem. En 2014, les Palestiniens ont hissé leur drapeau national dans la ville lors de marches de masse, pour la première fois depuis la première Intifada. En 2015, le soulèvement à Jérusalem a déclenché une vague de protestations à travers la Cisjordanie . Et en 2017, l’occupation a été contrainte de retirer les portiques de détection de métaux des entrées du complexe d’Al Aqsa après que les habitants de Jérusalem ont effectué un sit-in de masse de sept jours, 24 heures sur 24, aux entrées du sanctuaire. De manière générale, le défi à l’égard de l’autorité de l’occupation dans la ville n’a jamais cessé depuis 1967, malgré toutes les tentatives pour l’écraser.

Lorsque l’État d’Israël a occupé pour la première fois la partie orientale de Jérusalem, en 1967, il a fait passer le statut des Palestiniens de la ville de citoyen à simple résident, dont la résidence peut être révoquée à tout moment. Il a rendu presque impossible l’obtention de permis de construire pour les Palestiniens, les obligeant à construire sans permis, sous la menace de démolition, et a commencé, depuis 1969, à remplir la ville de colons israéliens. Ce processus colonial, qui va bien au-delà de l’occupation militaire, vise à changer la nature et le caractère de Jérusalem, d’une ville palestinienne, arabe et moyen-orientale à une ville de type européen. Mais comme toutes les entreprises coloniales, il a besoin de la force, d’une force brutale, pour dompter la population et paralyser sa capacité de résistance. Cela n’a jamais réussi.

Fatima Birnawi, née en 1939 à Jérusalem, y vit toujours actuellement.

La résistance palestinienne à Jérusalem a commencé presque immédiatement après l’installation de l’occupation. Les premiers réseaux de résistance ont commencé à se former avant même que l’occupation ne s’empare de la ville. La légende veut que le défunt leader palestinien Yasser Arafat se trouvait à Jérusalem le jour même où l’armée israélienne a pénétré dans la vieille ville, où il organisait des cellules palestiniennes, et qu’il en est sorti clandestinement dans un coffre de voiture. Les résistants palestiniens sont entrés en action contre les forces d’occupation dès 1968, et les femmes ont joué un rôle important. L’une des figures emblématiques de cette première résistance palestinienne à Jérusalem est la femme afro-palestinienne Fatima Birnawi (photos ci-dessus), qui a été arrêtée et torturée par les forces d’occupation après une attaque ratée contre des colons israéliens. Elle a ensuite été libérée lors d’un échange de prisonniers en 1983. Dans les années 1970, la résistance à Jérusalem s’est encore mieux organisée. L’occupation prétendait à l’époque que les actions de résistance étaient menées par des militants palestiniens venant de l’étranger, notamment de Jordanie. Mais en 1974, on a découvert que l’un des principaux organisateurs de la résistance dans la ville n’était autre que l’évêque de Jérusalem de l’église grecque catholique chrétienne, Monseigneur Hilarion Capucci, qui a été arrêté après que l’occupation ait trouvé des armes dans sa voiture.

L’archevêque Hilarion Capucci en 2009 avec des militants s’opposant au blocus israélien de la bande de Gaza. (photo Ramzi Haidar/AFPresse-Getty Images)

La capitale de la désobéissance

Mais c’est lors de la première Intifada, qui a commencé en décembre 1987, que la résistance à l’occupation à Jérusalem, comme dans le reste de la Palestine, s’est popularisée et a été dirigée par les masses. Le commandement général unifié de l’Intifada, le comité qui planifiait les grèves générales, les manifestations, et rédigeait les communiqués qui dirigeaient les actions populaires, opérait depuis Jérusalem, dans la clandestinité. Pendant six ans, les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza ont vécu dans une désobéissance civile totale, défiant l’autorité de l’occupation dans tous les aspects de leur vie quotidienne. La Palestine en tant qu’entité politique, cohésive, sur le sol palestinien, est née dans la révolte, et Jérusalem était son centre. Sa capitale.

Depuis lors, l’opposition populaire au pouvoir de l’occupation à Jérusalem n’a jamais cessé. Même après les accords d’Oslo, qui ont déplacé l’épicentre de la vie politique palestinienne à Gaza, puis à Ramallah, Jérusalem est restée le point central de la confrontation avec l’occupation. En 1996, les autorités d’occupation ont commencé à ouvrir un tunnel sous la mosquée Al Aqsa, ce qui a déclenché des protestations massives dans la ville, qui se sont ensuite propagées dans tout le territoire palestinien. Même des membres de la police de l’Autorité palestinienne ont pris part aux affrontements. Et c’est dans l’enceinte d’Al Aqsa, en septembre 2000, que la deuxième Intifada palestinienne a commencé, précisément après l’échec des négociations entre l’OLP et l’État d’Israël, notamment parce que les Israéliens refusaient toute forme de souveraineté palestinienne dans la ville sainte.

Une jeunesse qui ne se soumet pas

Beaucoup de changements sont intervenus depuis la fin de la deuxième Intifada, il y a près de dix ans. Israël et les États-Unis ont effectivement retiré Jérusalem de la table des négociations, tandis que les politiciens palestiniens essaient toujours de trouver de bonnes raisons de continuer à s’accrocher au projet de négociations. Au cours de ces deux décennies, l’occupation a accéléré la construction de colonies à Jérusalem, ainsi que les démolitions de propriétés palestiniennes. Tout en isolant Jérusalem du reste de la Palestine, à la fois physiquement, par le mur de séparation, et politiquement, en réprimant toute tentative d’organisation palestinienne dans la ville. La plupart des institutions civiles palestiniennes de Jérusalem ont migré vers Ramallah sous la pression des arrestations, interdictions et fermetures répétées par les autorités d’occupation.

C’est dans ces circonstances qu’une jeune génération de Palestiniens de Jérusalem a mené la résistance dans les rues. Une génération qui n’a pas connu l’époque de Fatima Birnawi ou de l’évêque Capucci. Une génération qui est trop jeune pour se souvenir de la première Intifada. Cependant, cette génération est toujours confrontée à l’occupation militaire, qui a transformé la vie dans la ville en une lutte quotidienne pour la survie. C’est une génération que l’occupation a privée de tout moyen de vivre une vie normale ou même de planifier un avenir, les entraînant dans la pauvreté, transformant leurs quartiers en un refuge pour les trafiquants de drogue et le crime organisé.

Cette génération de Palestiniens de Jérusalem a grandi au milieu des démolitions, des déportations, des fouilles arbitraires et humiliantes de la police, de la violence des colons et des exécutions extrajudiciaires dans les rues. C’est une génération qui a été oubliée par les grands concepteurs du statu quo politique, qui débattent du transfert de leurs ambassades en Israël à Jérusalem, avant ou après avoir obtenu une capitulation totale des dirigeants palestiniens.

Mais il y a un autre côté de la médaille. Un demi-siècle après que les forces d’occupation ont célébré leur victoire de six-jours dans les environs de la mosquée Al Aqsa, elles sont toujours confrontées à une résistance massive. Un demi-siècle après que le monde ait accepté de représenter Jérusalem sur ses cartes comme une ville israélienne, dans un empressement constant à déclarer la mort de la Jérusalem palestinienne, ce même monde se voit rappeler par une génération de jeunes Palestiniens simples et en colère, qu’une ville millénaire et vivante ne peut être domptée. Et que peu importe le nombre de fois où elle est tuée, Jérusalem se relève toujours.

Source : Quds News Network

Traduction : MR pour ISM

Source : ISM
http://www.ism-france.org/…