Par Trita Parsi

Les calculs stratégiques des deux pays laissent présager qu’elle sera encore plus violente.

Par Trita Parsi, vice-président exécutif du Quincy Institute for Responsible Statecraft.

Source : Foreign Policy, 11 août 2025

Traduction : lecridespeuples.substack.com

Israël devrait lancer une nouvelle guerre contre l’Iran d’ici décembre — peut-être même dès la fin août.

Note du Cri des peuples : nous parlons d’une guerre d’agression, qui constitue le crime suprême selon le tribunal de Nuremberg, mais les médias occidentaux n’ont que faire du droit international, qui ne mérite pas la moindre mention. 

L’Iran s’attend à cette attaque et s’y prépare. Lors de la première guerre, il avait adopté une stratégie de patience, espaçant ses tirs de missiles en anticipant un conflit prolongé. Dans le prochain round, toutefois, l’Iran frappera probablement de manière décisive dès le départ, dans le but de dissiper toute idée selon laquelle il pourrait être soumis à la domination militaire israélienne.

En conséquence, la guerre à venir sera probablement beaucoup plus sanglante que la première. Si le président américain Donald Trump cède à nouveau à la pression israélienne et se joint aux combats, les États-Unis pourraient se retrouver engagés dans une guerre totale contre l’Iran, qui ferait paraître la guerre d’Irak facile en comparaison.

La guerre lancée par Israël en juin n’a jamais porté uniquement sur le programme nucléaire iranien. Il s’agissait plutôt de modifier l’équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient, les capacités nucléaires de l’Iran étant un facteur important mais non déterminant. Depuis plus de vingt ans, Israël pousse les États-Unis à engager une action militaire contre l’Iran pour l’affaiblir et rétablir un équilibre régional favorable — un objectif qu’Israël ne peut atteindre seul.

Dans ce contexte, les frappes israéliennes avaient trois objectifs principaux au-delà de l’affaiblissement des infrastructures nucléaires iraniennes : entraîner les États-Unis dans un conflit militaire direct avec l’Iran, décapiter le régime iranien et transformer le pays en une nouvelle Syrie ou un nouveau Liban — des pays qu’Israël peut bombarder en toute impunité et sans aucune implication des États-Unis. Seul l’un de ces trois objectifs a été atteint. De plus, Trump n’a pas « anéanti » le programme nucléaire iranien, lequel n’a pas non plus été ramené à un point où la question pourrait être considérée comme réglée.

Note du Cri des peuples : Les Etats-Unis, vaincus en Irak et en Afghanistan, chassés honteusement par le Yémen, n’ont pas la moindre chance de l’emporter face à l’Iran. Le nucléaire n’a jamais été qu’un prétexte pour soumettre Téhéran aux diktats de Washington, comme les droits de l’homme l’ont été pour Cuba : le seul crime de ces Etats est d’être souverains et solidaires des peuples opprimés de leur continent et au-delà. En réalité, aucun objectif d’Israël n’a été atteint, comme le concède cet article dans les deux paragraphes suivants.

En d’autres termes, avec ses attaques de juin, Israël a obtenu tout au plus une victoire partielle. L’issue qu’il privilégiait aurait été que Trump s’engage pleinement, en visant à la fois les forces conventionnelles et les infrastructures économiques de l’Iran. Mais si Trump est partisan d’actions militaires rapides et décisives, il redoute une guerre à grande échelle. Sa stratégie, consistant à frapper les installations nucléaires iraniennes, visait donc à limiter l’escalade plutôt qu’à l’amplifier. À court terme, Trump a réussi — au grand dam d’Israël —, mais à long terme, il a permis à Israël de l’enfermer dans un cycle d’escalade.

Son refus d’aller au-delà d’une campagne de bombardements limitée a été l’une des principales raisons pour lesquelles Israël a accepté un cessez-le-feu. Au fil de la guerre, Israël a subi de lourdes pertes : ses défenses aériennes se sont dégradées, et l’Iran est devenu plus efficace pour les percer avec ses missiles. Alors qu’Israël aurait probablement poursuivi le conflit si les États-Unis s’étaient pleinement engagés, le calcul a changé lorsqu’il est devenu clair que les frappes de Trump étaient ponctuelles. Israël a réussi à entraîner Trump et les États-Unis dans la guerre, mais il n’a pas réussi à les y maintenir.

Les deux autres objectifs d’Israël se sont cependant soldés par des échecs patents. Malgré des succès initiaux du renseignement — comme l’élimination de 30 commandants supérieurs et de 19 scientifiques nucléaires —, Israël n’a pu que temporairement perturber le commandement et le contrôle iraniens. En l’espace de 18 heures, l’Iran avait remplacé la plupart, voire la totalité, de ces commandants et lancé un barrage massif de missiles, démontrant ainsi sa capacité à encaisser de lourdes pertes tout en menant une contre-attaque vigoureuse.

Israël espérait que ses frappes initiales provoqueraient la panique au sein du régime iranien et accéléreraient son effondrement. Le Washington Post a révélé que des agents du Mossad, parlant couramment le persan, ont appelé sur leurs téléphones portables des hauts responsables iraniens, les menaçant de les tuer, eux et leurs familles, à moins qu’ils ne tournent des vidéos dénonçant le régime et ne fassent publiquement défection. Plus de vingt appels de ce type ont été passés dans les premières heures de la guerre, alors que l’élite dirigeante iranienne était encore sous le choc et sous le coup de lourdes pertes. Pourtant, rien n’indique qu’un seul général iranien ait cédé à ces menaces, et la cohésion du régime est restée intacte.

Note du Cri des peuples : Encore une fois, l’assassinat des civils que sont les scientifiques nucléaires est un crime de guerre, de même que la menace d’assassinat des familles civiles de cadres militaires, sans même parler du fait que même un combattant est considéré comme un civil lorsqu’il est assassiné dans son domicile, hors du champ de bataille et du cadre de ses fonctions, mais tout cela ne mérite aucune mention. Le droit international n’a d’importance que quand on peut le brandir contre les ennemis de l’Occident.

Contrairement aux attentes d’Israël, l’assassinat de hauts commandants du Corps des gardiens de la révolution islamique n’a pas entraîné de manifestations massives ni de soulèvement contre la République islamique. Au contraire, les Iraniens, toutes tendances politiques confondues, se sont ralliés au drapeau — sinon au régime lui-même — alors qu’une vague de nationalisme déferlait sur le pays.

Israël n’a pas su tirer parti de l’impopularité générale du régime iranien. Après près de deux ans d’atrocités commises à Gaza et une attaque perfide contre l’Iran en pleine négociation nucléaire, seule une petite partie des Iraniens — principalement dans la diaspora — voit Israël d’un œil favorable.

En effet, au lieu de mobiliser la population contre le régime, Israël a réussi à redonner un nouveau souffle au récit de la République islamique. Plutôt que de condamner le régime pour avoir investi dans un programme nucléaire, des missiles et un réseau d’acteurs non étatiques alliés, de nombreux Iraniens sont désormais en colère que ces éléments de dissuasion de l’Iran se soient révélés insuffisants.

« J’étais autrefois de ceux qui scandaient lors des manifestations qu’il ne fallait pas envoyer l’argent iranien au Liban ou en Palestine. Mais maintenant, je comprends que les bombes auxquelles nous faisons tous face ne font qu’une, et que si nous ne disposons pas de défenses solides dans toute la région, la guerre viendra jusqu’à nous », a déclaré un artiste de Téhéran à Narges Bajoghli, professeure à l’université Johns Hopkins.

Il n’est pas certain que ce changement soit durable. Mais à court terme, les attaques israéliennes semblent avoir paradoxalement renforcé le régime iranien, en resserrant la cohésion interne et en réduisant l’écart entre l’État et la société.

Note du Cri des peuples : La République Islamique d’Iran n’est impopulaire que dans l’imagination de l’Occident, qui prime sur le réel même après l’épreuve des faits. Les manifestations annuelles pour la Journée d’Al-Quds rassemblent des millions de personnes à travers le pays, et les funérailles de l’Imam Khomeini, de Qassem Soleimani ou d’Ebrahim Raesi comptent parmi les plus massives de l’histoire de l’humanité. Ce qui s’est passé durant la guerre des 12 jours contre Israël n’est donc nullement surprenant, et n’a fait que confirmer d’indéniables réalités que l’Occident ne veut pas admettre, tout pétri d’idéologie et d’illusions hégémoniques qu’il est. Quant aux Iraniens pro-israéliens, ils sont absolument insignifiants et honnis par le peuple iranien comme des traîtres, vestiges de l’ancien régime sanguinaire du Shah et agents de l’impérialisme et du sionisme.

Israël n’a pas non plus réussi à transformer l’Iran en une deuxième Syrie ni à établir une domination aérienne durable indépendante du soutien américain. S’il a contrôlé l’espace aérien iranien pendant la guerre, il n’a pas agi en toute impunité : la riposte iranienne à coups de missiles a infligé des dommages insoutenables.

Sans l’aide substantielle des États-Unis — notamment l’utilisation de 25 % des intercepteurs de missiles THAAD américains en seulement douze jours —, Israël n’aurait peut-être pas été en mesure de poursuivre la guerre.

Cela rend probable une nouvelle offensive israélienne. Le ministre de la Défense Israel Katz et le chef d’état-major Eyal Zamir l’ont tous deux laissé entendre. Selon Zamir, la guerre de juin n’était que la première phase, ajoutant qu’Israël « entre maintenant dans un nouveau chapitre » du conflit.

Lire Un chef des Gardiens de la Révolution expose la stratégie de l’Iran et sa vision d’un nouveau Moyen-Orient

Que l’Iran reprenne ou non l’enrichissement d’uranium, Israël est déterminé à l’empêcher de reconstituer son arsenal de missiles, de restaurer ses défenses aériennes ou de déployer des systèmes améliorés. Cette logique est au cœur de la stratégie israélienne dite de « tondre le gazon » : frapper préventivement et de manière répétée pour empêcher les adversaires de développer des capacités susceptibles de remettre en cause la domination militaire israélienne.

Note du Cri des peuples : L’expression « tondre le gazon » désigne les massacres réguliers perpétrés par Israël à Gaza pour rappeler aux Palestiniens qui est le boss. Le journalisme occidental présente une politique de terreur et d’extermination comme une stratégie militaire légitime.

Cela signifie qu’avec l’Iran déjà en train de reconstruire ses ressources militaires, Israël a tout intérêt à frapper le plus tôt possible. En outre, le calcul politique autour d’une nouvelle attaque devient beaucoup plus compliqué une fois que les États-Unis entrent dans la saison des élections de mi-mandat. En conséquence, une frappe pourrait très bien avoir lieu dans les mois à venir.

C’est bien sûr le résultat que les dirigeants iraniens veulent éviter. Pour dissiper toute illusion quant à l’efficacité de la stratégie israélienne consistant à « tondre le gazon », l’Iran est susceptible de frapper fort et rapidement dès le début de la prochaine guerre.

« Si l’agression se répète, nous n’hésiterons pas à réagir de manière plus décisive et d’une manière qui sera IMPOSSIBLE à dissimuler », a déclaré sur X le ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Araghchi. Les dirigeants iraniens estiment que le coût pour Israël doit être écrasant, faute de quoi les capacités balistiques de l’Iran s’éroderont progressivement, laissant le pays sans défense.

Si la guerre de juin s’est terminée sans résultat concluant, l’issue de la prochaine dépendra de la partie qui aura le plus appris et agira le plus vite : Israël pourra-t-il reconstituer ses intercepteurs plus rapidement que l’Iran ne pourra reconstruire ses lanceurs et reconstituer son arsenal de missiles ? Le Mossad dispose-t-il toujours d’une forte présence en Iran, ou la plupart de ses ressources ont-elles été brûlées dans la tentative de renverser le régime lors de la première guerre ? L’Iran a-t-il acquis une meilleure connaissance des moyens de pénétrer les défenses aériennes israéliennes qu’Israël n’en a acquis pour combler ses lacunes ? Pour l’instant, aucune des deux parties ne peut répondre à ces questions avec certitude.

Note du Cri des peuples : Foreign Policy se berce d’illusions sur des capacités balistiques (et hypersoniques, un terme banni par déni du réel) limitées de l’Iran, alors que la nécessité de mettre fin à la guerre le plus vite possible est une évidence pour toute nation soucieuse du bien-être de ses citoyens et de la stabilité & sécurité du pays. Israël ayant déclenché la guerre, ayant échoué à réaliser le moindre objectif et ayant demandé le cessez-le-feu, sa défaite est évidente. Israël est honni plus que jamais par l’humanité toute entière, et l’Iran plus admiré que jamais pour son soutien à la Palestine et sa capacité à frapper durement l’entité sioniste.

Voir Pourquoi le cessez-le-feu avec l’Iran est une défaite pour Israël et ses alliés.

C’est précisément parce que l’Iran ne peut être certain qu’une réponse plus vigoureuse neutralisera la stratégie d’Israël qu’il est susceptible de réévaluer sa posture nucléaire — d’autant plus que les autres piliers de sa dissuasion, y compris l’« Axe de la résistance » et l’ambiguïté nucléaire, se sont révélés insuffisants.

https://x.com/lecridespeuples/status/1956863724519915745

La réponse de Trump à une deuxième guerre entre Israël et l’Iran pourrait s’avérer décisive. Il semble peu disposé à s’engager dans un conflit prolongé. Sur le plan politique, ses frappes initiales ont déclenché une guerre civile au sein du mouvement MAGA. Sur le plan militaire, la guerre de douze jours a révélé des lacunes critiques dans le stock de missiles des États-Unis. Trump et l’ancien président américain Joe Biden ont tous deux puisé largement dans les intercepteurs de défense aérienne américains dans une région qu’aucun des deux ne considère comme vitale pour les intérêts fondamentaux des États-Unis.

Voir Khamenei : l’enrichissement de l’uranium est vital pour l’industrie nucléaire

Pourtant, en donnant son feu vert à la première salve, Trump est tombé dans le piège tendu par Israël — et il n’est pas certain qu’il puisse s’en sortir, surtout s’il s’en tient à l’enrichissement zéro comme base de négociation avec l’Iran. Un engagement limité n’est probablement plus une option. Trump devra soit s’engager pleinement dans la guerre, soit rester en dehors. Et s’en tenir à l’écart ne suppose pas un simple refus ponctuel, mais une résistance constante à la pression israélienne ; or, jusqu’à présent, il n’en a manifesté ni la volonté ni la capacité.

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Source : Le Cri des Peuples
https://lecridespeuples.fr/…

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