Par Régis de Castelnau
Après l’agression israélienne contre l’Iran, les médias mainstream français ont repris la technique éprouvée, utilisée après le 7 octobre et qui consistait à empêcher tout débat réel sur la situation en Palestine. Et à imposer l’expression d’une seule opinion : « la défense inconditionnelle d’Israël ». Quiconque essayait d’apporter de la nuance, de demander la prise en compte du sort de la population palestinienne, de protester contre le massacre de Gaza se voyait immédiatement imposer un préalable. « Est-ce que vous condamnez le Hamas ? » Tout le monde se rappelle (10 millions de vues !) la caricature hilarante concoctée par l’humoriste Malik Benthala des émissions de Cnews. Sa verve pourrait peut-être trouver à s’exprimer à nouveau face au déferlement actuel dans notre système médiatique. Aucune discussion n’est véritablement possible, aucune critique de la violation grossière du droit international (une de plus) par l’État d’Israël, aucun appel à la paix n’est recevable sans qu’au préalable la question du jour ne soit posée : « est-ce que vous condamnez les mollahs » ?
Avec cette différence que le Hamas est une organisation classée terroriste par les pays occidentaux, qui a organisé le 7 octobre une opération terroriste à l’occasion de laquelle crimes de guerre et crimes contre l’humanité ont été commis. L’utilisation à l’égard de l’Iran de la même technique pour disqualifier a priori l’adversaire d’Israël, vise ainsi à légitimer la nouvelle violation du droit international et notamment de l’article 2§4 de la charte des Nations unies. Mais constitue également un aveu, celui de faire comprendre que l’objectif de la guerre déclenchée par Israël n’est pas d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. Les services de renseignements américains reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes que ce risque n’existe pas actuellement, non l’objectif est celui de renverser « le régime des mollahs » honni et d’entraîner les États-Unis dans cette aventure. Israël se débarrasserait ainsi d’un adversaire de sa stratégie d’établissement du « grand Israël » et les occidentaux, USA, France, Grande-Bretagne, Allemagne participant à la croisade, de récupérer un pays riche de matières premières. Et surtout planté comme une épine dans le flanc Sud de la Russie ce qui offrirait peut-être une opportunité de réussir ce qui a échoué avec l’Ukraine.
Alors, comme le Hamas, il faut d’abord « condamner les mollahs » !
Et comme d’habitude, bêtise, ignorance crasse, racisme décomplexé sont à la manœuvre. On ressort toutes les intellectuels dévoyés, vétérans des saloperies internationales commises par l’Occident, qui ont appelé et soutenu la guerre d’agression contre la Serbie, celle contre l’Irak, celle contre la Libye, celle contre l’Afghanistan avec les résultats que l’on connaît à base de millions de morts et de dizaines de millions de personnes déplacées. Sans oublier les déferlements migratoires de réfugiés dans les pays de l’Union Européenne. Et sans aucun complexe ils prennent la tête de cette nouvelle croisade, dès lors qu’ils considèrent qu’elle est conforme à l’idée qu’ils se font des intérêts d’Israël. Suivis et accompagnés par une classe politique et médiatique dont la sombre nullité n’est plus à démontrer.
Donc il faut « condamner les mollahs » et approuver Israël qui ferait le « sale boulot » pour notre compte en nous débarrassant d’un pays qui nous menace. Le premier problème, c’est qu’Israël ne défend que ses intérêts, qui sont actuellement ceux du gang suprémaciste qui gouverne ce pays. Non seulement l’Iran ne nous menace pas mais que la caricature qui nous en est présentée est inepte. Et c’est le deuxième problème, Israël s’est lancé dans une aventure dangereuse qui pourrait aboutir soit à une défaite stratégique de plus pour l’Occident, soit déboucher sur une escalade guerrière particulièrement dangereuse. Et accrocher notre pays à ce mauvais wagon comme le fait psychopathe de l’Élysée commence à friser la trahison.
Alors soyons clairs, l’image du régime en place à Téhéran, à base de rigorisme religieux et de brutalité n’est pas spécialement séduisant pour un occidental normalisé et ignorant des réalités du monde. Cependant, l’ignorance et l’inculture ne sont pas des excuses.
L’Iran est ce que l’on appelle aujourd’hui un « État civilisation » héritier d’une très longue histoire. Celle de l’Empire perse qui avait conquis l’Égypte des pharaons, affronté les cités grecques avant d’être mis à bas par Alexandre Le Grand. Rétablit par la suite par les Parthes puis les Sassanides, il sera intégré aux califats après la conquête musulmane, conservant identité, langue et culture persane. En 1925 les Britanniques soutiendront le coup d’état de Reza Pahlavi et l’installation à Téhéran d’une dynastie inféodée à l’Occident. En 1951, un premier ministre nationaliste Mohammad Mossadegh est élu et entend restituer à son pays ses ressources pétrolières jusqu’alors exploitées par les intérêts britanniques. En réponse, les occidentaux organisent un coup d’État contre Mossadegh en 1953. L’opération Ajax organisée, financée et orchestrée par les États-Unis (CIA) et le Royaume-Uni (MI6), avec la complicité du Shah d’Iran, et installent une dictature des plus féroces en Iran.
L’auteur de ces lignes se rappelle les années 70, ou jeune avocat il participait au travail d’organisation de solidarité internationale pour les victimes des dictatures, en général soutenues par l’Occident. C’étaient les années de plomb, des années de férocité meurtrière, en Grèce, au Portugal, en Espagne franquiste, au Chili avec Pinochet, au Brésil, en Argentine, en Amérique centrale, en Indonésie après le massacre des communistes en 1965 etc. etc. Pour les anciens d’expérience qui participaient à notre travail, le pire pays était l’Iran où la police secrète (la SAVAK) du Shah se livrait massivement à une répression atroce à base de torture, de disparitions et de meurtres. Pendant que l’Occident portait au pinacle sur papier glacé, son domestique « empereur de carnaval » et bourreau de son peuple. En 1979 il sera renversé par une révolution populaire massive ou des centaines de milliers d’Iraniens allèrent affronter les balles d’une répression qui n’hésitait pas à utiliser des armes lourdes contre la foule. Cette révolution fut violente, brutale et dévora ses enfants. Mais ne jamais oublier qu’elle était au départ avant tout dirigée contre l’Occident honni pour ce qu’il avait fait à ce pays. Celui-ci ne renonça jamais à « récupérer l’Iran » à qui il infligea une guerre atroce de huit ans par l’intermédiaire de l’Irak de Saddam Hussein alors soutenu, armé et financé par les occidentaux. Avant qu’ils ne s’en débarrassent parce que celui-ci avec son invasion du Koweït avait demandé à être payé pour ce qu’il avait fait.
Alors, « vous condamnez les mollahs ? »
Non, si je condamne les répressions religieuses dont les femmes iraniennes sont victimes, si je réprouve fondamentalement les exécutions d’homosexuels, je ne condamne pas les mollahs. Je ne les soutiens pas non plus, mais je constate que l’Iran est la victime d’une agression, grossière violation du droit international. Menée par un régime politique suprémaciste meurtrier, disant le faire, grotesque mensonge, pour défendre la civilisation occidentale.
Et je pense que tous les intervenants de plateau, bardés de leur bêtise et de leur ignorance, qui nous emmènent vers la catastrophe, seraient avisés d’écouter ce que dit Yossi Melman journaliste israélien à ses compatriotes : « Vous ne combattez pas un ennemi obsédé par la vie et les selfies. Vous affrontez une civilisation fondée sur le martyre, la mémoire et la mission. L’Occident ne l’a toujours pas compris. La réponse de l’Iran n’est pas une colère réactive, mais une usure stratégique enveloppée de calculs spirituels »
Avant de partir, merci de m’acheter un café !
Source : Regis’s Substack
https://regisdecastelnau.substack.com/…
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