Photo extraite de cet article de presse publié en Israel, intitulé « Collaborate or leave: Israel´s cruel ultimatum to humanitarian groups in Gaza », Magazine+972, édition du 24 septembre del 2024, dont la lecture intégrale est recommandée.
Par Nicolas Boeglin
Note préliminaire de l´auteur: une version en espagnol de ce texte est également disponible ici
Le 29 septembre 2025, depuis la Maison Blanche, le Président des États-Unis et le Premier ministre d’Israël ont annoncé au monde entier un « Plan de Paix » conclu entre eux, en 20 points, pour résoudre le drame indescriptible que vit Gaza (voir cette note de presse de la BBC et le détail des 20 points de l’accord).
Les photos de l’événement et des discussions préalables montrent que le texte a été négocié uniquement entre l’équipe du président des États-Unis et celle du Premier ministre israélien (voir la galerie officielle de photos). Il convient de noter dès à présent la grande couverture médiatique, extrêmement soutenue dans toutes les latitudes, que cette annonce a suscitée. Il en va de même pour la multitude d’opinions, d’articles, d’analystes et d’experts soulignant la valeur de cette proposition.
Il convient de rappeler que le 18 septembre 2025, un projet de résolution visant à instaurer un cessez-le-feu et à obliger Israël à laisser entrer l’aide humanitaire d’urgence attendue par la population palestinienne à Gaza a fait l’objet d’un énième veto américain face à 14 votes en faveur au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies : un veto injustifiable, et une déconvenue majeure pour la diplomatie nord-américaine, que nous avons eu l’occasion d’analyser en détail et qui explique peut-être la nécessité, pour les États-Unis également, de chercher de toute urgence un moyen de se présenter sous un meilleur jour au monde (Note 1).
Le Costa Rica, dans un communiqué de presse (voir texte), a salué ce « Plan de Paix » (Note 2) : sauf erreur de notre part, c’est le seul État d’Amérique Latine dont l’appareil diplomatique s’est empressé de le saluer, presque au moment même où il a été annoncé à Washington. Si un autre communiqué similaire a été publié sur le site officiel d’un autre État d’Amérique Latine, ne pas hésiter à nous envoyer l’hyperlien à : cursodicr(a)gmail.com. Un État qui, ces dernières années, s’est aligné sur les positions d’Israël et des États-Unis aux Nations Unies, comme l’Argentine, a choisi de ne publier aucun communiqué (voir l’hyperlien vers le site officiel de sa diplomatie).
Il faut savoir que depuis quelques années, le Costa Rica « surprend » parfois par ses positions inhabituelles aux Nations Unies, comme celle enregistrée par exemple en décembre 2022 lorsque l’Assemblée Générale des Nations Unies a demandé un avis consultatif à la justice internationale sur la légalité de la colonisation et de l’occupation du territoire palestinien : le Costa Rica a voté contre (avec le Guatemala) en Amérique Latine (Note 3).
Pour nos lecteurs souhaitant connaître en détail la position d’un État relative au drame qui se déroule à Gaza, et qui lui s’est consolidé dans sa région (Europe) en tant que leader incontesté en 2025 dans la défense du droit international et des principes bafoués tous les jours par Israël, nous renvoyons à la section « La pratique de l’Espagne sur la question palestinienne », disponible sur cet hyperlien parue dans le dernier numéro de la Revista Española de Derecho Internacional (REDI).
Quelques détails sur le « timing »
Le choix des dates n’étant presque jamais le fruit du hasard dans les relations internationales, on peut observer que cette annonce officielle faite le 29 septembre dernier depuis la Maison Blanche intervient :
– quelques jours avant la commémoration du deuxième anniversaire du 7 octobre 2023, ainsi que
– quelques jours après la véritable humiliation subie par le Premier ministre israélien en personne, lorsqu’il a assisté, dans l’enceinte des Nations Unies, au départ massif de presque toutes les délégations au moment où il s’apprêtait à prendre la parole devant l’Assemblée Générale : nos lecteurs costariciens doivent savoir que l’une des rares délégations à être restée sur place était celle du Costa Rica (voir la note de Delfino.cr). C’est probablement la première fois dans l’histoire qu’un dirigeant d’un État a lu son discours depuis la majestueuse tribune de l’Assemblée Générale alors qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt pour crimes de guerre, émis fin 2024 par la justice pénale internationale de La Haye. Concernant l’itinéraire de l’avion entre Tel-Aviv et New York, on notera que les pilotes du Premier ministre israélien ont soigneusement évité de survoler les espaces aériens espagnol et français (voir l’article d’ElPaís /Espagne avec une infographie très illustrative, ainsi que cet autre article de presse d’ElMundo / Espagne).
À la date même de cette annonce, la Maison Blanche a réitéré sa garantie totale et sa protection absolue envers le Qatar (voir communiqué officiel publié sur le site de la Maison Blanche). On rappelera que le Qatar a subi une frappe injustifiable de la part d’Israël dans sa capitale Doha, dans le but d’éliminer physiquement les membres de l’équipe de négociation du Hamas. Il s’agit d’un épisode que nous avons eu l’occasion d’analyser d’un point de vue juridique il y a quelques semaines (Note 4).
Il convient également de noter que le 25 septembre dernier, on a appris en Israël – mais cela n’a pratiquement pas été relayé par les grandes agences de presse – qu’une grande entreprise nord-américaine avait interdit à Israël d’utiliser ses services de cloud pour stocker des données sur les Palestiniens, obtenues grâce à l’interception d’appels téléphoniques par une unité spécialisée de l’armée israélienne bien connue par les spécialistes, l’unité 8200 : voir l’article publié par Magazine+972, en Israël, intitulé » « Microsoft revokes cloud service from Israel’s Únit 8200, following +972 exposé« .
De même, de fort nombreux médias internationaux ont ignoré un communiqué officiel des Nations Unies (voir texte) du 24 septembre condamnant les attaques répétées par drones contre des navires humanitaires se dirigeant vers Gaza en Méditerranée et qui se trouvaient à quelques milles marins de Gaza le 30 septembre dernier.
Comme on peut le constater, face à la pression maximale exercée sur Israël au cours des derniers jours du mois de septembre 2025, ses autorités ont cherché un moyen de détourner l’attention concernant les actions militaires menées à Gaza : et il semble qu’elles aient trouvé en la Maison Blanche un partenaire efficace pour y parvenir.
Le 7 octobre prochain marquant exactement deux ans depuis le 7 octobre 2023, Israël avait également besoin d’une manœuvre médiatique d’une certaine envergure afin de masquer son échec à Gaza, n’ayant atteint en deux ans aucun de ses deux objectifs militaires, présentés officiellement comme tels depuis l’après-midi/soirée du 7 octobre 2023 : « anéantir le Hamas » et « récupérer les otages israéliens ».
Quelques détails passés sous silence ou presque
Un « Plan de Paix ». C’est le terme utilisé pour qualifier cette annonce faite lors d’une conférence de presse par le président des États-Unis et le Premier ministre israélien : comme nous le verrons ci-après, ce terme ne correspond en rien à ce que l’on entend, du moins historiquement, par cette expression.
La première limite sérieuse de ce soi-disant « Plan de Paix » est qu’il s’agirait du premier plan négocié dans l’histoire en l’absence de l’une des deux parties en conflit : le Hamas n’a pas été consulté et ce qui a été convenu et négocié l’a été entre les États-Unis et Israël. L’Autorité Palestinienne de Ramallah n’a pas non plus participé à ces négociations, ce qui signifie que le point de vue palestinien a été totalement ignoré. S’agissant d’un plan qui vise à pacifier durablement les relations entre Israël et la Palestine à l’avenir, la limitation susmentionnée constitue une innovation totale dans l’histoire des relations internationales, qui mérite d’être mentionnée comme telle. Il n’est pas inutile de préciser, à propos de ces deux États, que le principal soutien et fournisseur d’armes d’Israël sont les États-Unis. Il n’est pas non plus inutile de rappeler la grande couverture médiatique dont a fait l’objet le sommet qui s’est tenu le 15 août dernier en Alaska entre les présidents américain et russe pour parvenir à la paix en Ukraine, et qui s’est soldé par un… fiasco total.
La deuxième limite réside dans le fait que ce soi-disant « Plan de Paix » exige ni plus ni moins que la capitulation totale du Hamas et sa disparition en tant que mouvement politique dans la future gouvernance de la bande de Gaza (point 9 du plan tel que reproduit dans cet article de la BBC). Cela explique en grande partie pourquoi le Hamas n’a pas été invité à participer à son élaboration. Rédiger un texte dans le dos du Hamas, qui sera ensuite totalement ou partiellement contesté par le Hamas, constitue sans aucun doute une manœuvre des plus évidentes. À cet égard, il est assez étrange que certains analystes et « experts » invités à commenter son contenu omettent ce détail.
La troisième limite concerne le caractère général de certains points de ce plan, sans plus de détails pour plusieurs d’entre eux. Le point 16 sur le retrait d’Israël de Gaza ne donne pas plus de détails sur le calendrier et les mécanismes prévus en cas de non-respect. Les points 7-8 sur l’arrivée massive de l’aide humanitaire dont la population civile palestinienne de Gaza a tant besoin depuis de fort longs mois, supposent de préciser les responsabilités, les mécanismes de vérification, le calendrier, les points d’entrée, etc. Il s’agit d’une opération extrêmement complexe menée par le passé par une agence humanitaire des Nations Unies comme l’UNRWA, et qu’Israël (en accord avec les Etats-Unis et leur plein soutien), a décidé de remplacer para un mystérieuse « fondation humanitaire » privée, dont les actions se sont soldées par un échec total, n’ayant pas permis d’acheminer en toute sécurité l’aide à une population civile palestinienne affamée et désespérée.
Il convient de noter que le 25 septembre dernier, le Brésil a diffusé ce communiqué officiel par l’intermédiaire de son appareil diplomatique, réaffirmant son plein soutien à l’UNRWA, en invitant les autres États à faire de même.
La quatrième limite concerne le point 9 sur la future structure internationale chargée d’administrer la Palestine : le principe de libre détermination des peuples oblige à considérer que c’est au seul peuple palestinien qu’il appartient de choisir son mode d’administration, et non à une administration internationale provisoire présidée par… l’actuel président des États-Unis. Dans cette interview de la chaîne qatarie AlJazeera avec un universitaire nord-américain, il est montré que ce soi-disant « Plan de Paix » coïncide avec une idée très ancienne défendue par Israël, qui consiste à séparer Gaza du reste du territoire palestinien occupé.
La cinquième limitation de ce plan réside dans le fait que, si l’on compare la formulation de chacun des 20 points, ceux qui intéressent le plus Israël en ce mois de septembre 2025 (la libération des otages israéliens détenus par le Hamas, points 3-4-5-6) font l’objet d’un calendrier détaillé, ce qui n’est pas le cas des autres points. Rien n’est dit, par exemple, sur le calendrier auquel Israël s’engage pour retirer ses troupes de Gaza ni sur les modalités de ce retrait. Il faut s’attendre à ce que ce point soit celui sur lequel le Hamas insistera dans les objections qu’il fera connaître et que ses porte-parole ont déjà commencé à remettre en question depuis l’après-midi du 1er octobre (voir les notes du journal espagnol ElPais correspondant à l’après-midi/soirée du 1er octobre en Espagne).
Avec un total de 20 points, dont quelques-uns extrêmement détaillés – qui coïncident avec ceux qui intéressent le plus Israël – et les autres sans plus de détails, le soi-disant « Plan de Paix » reflète une stratégie assez simple qui se laisse entrevoir sans difficulté : une proposition qui sera partiellement contestée dans plusieurs de ses parties par le Hamas, justifiant ainsi, après une courte pause, la poursuite des opérations militaires insensées d’Israël à Gaza. Le 2 octobre, il a été rapporté que la Ligue des États Arabes avait même jugé plusieurs points de ce soi-disant « Plan de Paix » tout simplement « inacceptables » (voir cette note de presse de LaVanguardia).
Alors que le monde entier analysait le contenu de ce texte, ses lacunes et son potentiel pacificateur, le dernier rapport des Nations Unies sur la situation au 2 octobre 2025 (voir hyperlien) détaille l’acharnement insensé avec lequel Israël continue de mener ses bombardements indiscriminés et la famine qui s’étend à tout le territoire, en précisant que :
« »According to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, between 24 September and 1 October, 429 Palestinians were killed, and 1,556 were injured. This brings the casualty toll among Palestinians since 7 October 2023, as reported by MoH, to 66,148 fatalities and 168,716 injuries. According to MoH, the total number includes 300 fatalities who were retroactively added on 27 September 2025 after their identification details were approved by a ministerial committee. MoH further noted that the number of casualties among people trying to access aid supplies has reached 2,580 fatalities and more than 18,930 injuries since 27 May 2025. Moreover, according to MoH in Gaza, as of 1 October, 455 malnutrition-related deaths, including 151 children, were documented since October 2023« .
Entre le 2 et le 6 octobre, plusieurs centaines de Palestiniens ont trouvé la mort, comme si Israël souhaitait éliminer le plus grand nombre possible de personnes avant de mettre fin, pour une courte période, à ses opérations militaires vide de sens à Gaza.
On ne peut que craindre pour la santé de toutes ces familles palestiniennes affamées et démunies, au milieu de ruines, lorsque la baisse des températures commencera vers novembre / décembre à se faire sentir à Gaza.
Un peu d’histoire ne fait jamais de mal
L’analyse de l’histoire des innombrables conflits qui ont secoué (et continuent de secouer) la société internationale à maintes reprises dans le passé montre que :
– dans un premier temps, les deux parties à un conflit négocient un cessez-le-feu : soit de manière bilatérale directe, soit avec la médiation de pays tiers qui peuvent faciliter par leur présence la conclusion d’un accord de cessez-le-feu entre les parties, et que ;
– dans un second temps, les deux parties négocient un accord de paix durable et détaillé qui résout les causes à l’origine du conflit.
Ce que les États-Unis et Israël ont présenté au monde le 29 septembre dernier semble davantage constituer une simple proposition de cessez-le-feu d’Israël approuvée par les États-Unis (intégrant les conditions d’Israël et laissant de côté celles du Hamas) qu’un accord garantissant la paix future (ce que suggère généralement l’expression « Plan de Paix » entre deux belligérants).
Il convient de noter dans ce texte l’absence peur remarquée de toute référence aux résolutions du Conseil de Sécurité ou de l’Assemblée Générale des Nations unies, ou aux arrêts de la Cour Internationale de Justice (CIJ): cette absence témoigne de l’intention délibérée d’Israël et des États-Unis de dissocier la résolution du drame indicible qui se déroule à Gaza du droit international public. Il s’agit là d’un autre détail intéressant, qui est passé totalement inaperçu dans la plupart des articles et des commentateurs, analystes et « experts » saluant ce fameux « Plan de Paix ».
Conséquence logique de ce qui précède, les victimes palestiniennes ne sont mentionnées dans aucun des 20 points de ce document. Comme si, soudainement, il n’y avait plus de règles juridiques applicables, ni de responsables directs en Israël pour les nombreuses exactions commises à Gaza depuis le soir même du 7 octobre 2023 (avec un chiffre officiel de plus de 66 000 morts, probablement bien en deçà de la réalité). Comme on s’en souvient, ces exactions sont juridiquement qualifiées de génocide et de crimes de guerre. Bien qu’elles aient été convenablement ignorées dans ce soi-disant « Plan de Paix », ces exactions sont examinées comme telles :
– devant la CIJ, dans le cadre de l’affaire opposant l’Afrique du Sud à Israël pour génocide à Gaza, et ce depuis décembre 2023 (Note 5), et ;
– devant la Cour Pénale Internationale (CPI) dans le cadre des crimes de guerre commis sur le territoire palestinien de Gaza, avec deux mandats d’arrêt émis par la CPI depuis novembre 2024 contre deux hauts dirigeants israéliens, dont l’un est son actuel Premier ministre ;
De plus, le 3 juillet dernier, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits du peuple palestinien, la juriste italienne Francesca Albanese, a présenté son rapport intitulé : « From economy of occupation to economy of genocide ». Il s’agit du rapport A/HRC/59/23 (disponible sur cet hyperlien) : un rapport qui a motivé des sanctions des États-Unis à son encontre, que nous avons eu l’occasion d’analyser (Note 6). En août 2025, les États-Unis n’ont rien trouvé de mieux que de sanctionner également le personnel de la CPI et deux de ses juges pour avoir donné suite aux affaires contre Israël, une décision condamnée par de nombreux États d’Amérique Latine et du reste du monde, à l’exception du Costa Rica (Note 7).
Soit dit en passant, lors d’un événement parallèle à l’Assemblée Générale des Nations Unies, c’est précisément ce que la Colombie et l’Afrique du Sud ont fait savoir au reste de la communauté internationale dans un communiqué conjoint, le 26 septembre 2025 : tous les États ont l’obligation juridique de se conformer aux demandes des deux juridictions internationales basées à La Haye et de coopérer avec elles afin de prévenir ce génocide et d’éviter la commission d’autres crimes de guerre (voir texte).
Dans son communiqué officiel (voir texte), Amnesty International a souligné le 30 septembre dernier que sans justice pour les victimes palestiniennes, la paix n’est et ne sera qu’une simple illusion. Cette justice pour les victimes palestiniennes s’étend à la situation en Cisjordanie, totalement ignorée dans ce soi-disant « Plan de Paix » : à cet égard, il convient de mentionner l’avis consultatif de la CIJ du 19 juillet 2024 (voir texte en français et en anglais), qui a ordonné à Israël de démanteler les colonies illégales en territoire palestinien et d’indemniser les victimes palestiniennes de cette occupation illégale (voir en particulier les paragraphes 268-272).
L’avant-dernier rapport disponible des Nations Unies (au 25 septembre) sur le drame indescriptible qui se déroule à Gaza, permet de compléter le dernier rapport précité (au 2 octobre) sur le niveau de violence aveugle envers la population civile palestinienne auquel se livrent les forces militaires israéliennes (voir hyperlien).
Opération de communication de grande envergure et Hasbara
Au cours des derniers jours du mois de septembre 2025, Israël avait un besoin urgent d’une opération de communication pour tenter de regagner une certaine crédibilité au niveau international.
Le grand retentissement médiatique observé sous diverses latitudes, provoqué par cette annonce, ainsi que la multitude d’opinions, d’articles, d’« experts » et d’analystes saluant cette proposition conjointe Israël / Etats-Unis, semblent répondre à cette opération de communication.
Il n’est pas inutile de rappeler que dans ce domaine précis (l’image d’Israël à l’étranger), Israël dispose d’un instrument très efficace, relayé dans d’innombrables salles de rédaction dans différentes capitales du monde : la « Hasbara ». Le terme hébreu « Hasbara » vous est-il totalement inconnu, cher lecteur, chère lectrice ? Alors, bienvenu (e) dans l’univers des jeux sémantiques applicables lorsqu’il s’agit d’informer sur ce que fait Israël ! (Note 8).
En ce qui concerne les ressources généreuses allouées à la Hasbara, cette note du média israélien TimesofIsrael, datée du 29 décembre 2024, indique qu’Israël a prévu pour 2025 un effort budgétaire assez inhabituel, en précisant que :
« Under the new budget, the Foreign Ministry will receive $150 million, on top of what it gets for its existing activities, for what’s officially known as public diplomacy, or hasbara in Hebrew. That sum is more than 20 times what such efforts have typically been allotted in past years« .
Ce réseau très actif a fait l’objet d’une analyse intéressante dans un ouvrage récemment publié par l’un des experts renommés en relations internationales en France, intitulé de manière fort appropriée
« Permis de tuer. Gaza : génocide, négationnisme et Hasbara » (voir hyperlien et vidéo du même auteur présentant son livre).
L’auteur y explique en détail comment ce réseau d’information israélien a fonctionné dans le cas spécifique de la France (voir chapitre complet sur la Hasbara, pp. 113-137), avec des conclusions qui devraient inspirer les chercheurs et les journalistes d’autres horizons. L’une d’entre elles, en particulier, concerne le nombre de voyages généreusement financés par Israël aux parlementaires français (p. 137).
Afin de pouvoir évaluer l’efficacité de la Hasbara et la complaisance des agences de presse internationales et des rédactions, nos chers lecteurs pourront vérifier par eux-mêmes la diffusion quasi nulle de ce communiqué de presse en date du 3 octobre des experts des droits de l’homme des Nations Unies sur les graves lacunes et les failles de ce prétendu « Plan de Paix ». De même, nos lecteurs découvriront peut-être en nous lisant que de jeunes militaires israéliennes avaient bien averti leurs autorités de l’imminence d’une attaque bien avant le 7 octobre 2023, sans que cela soit pris au sérieux par leurs supérieurs hiérarchiques (voir hyperlien vers des extraits de la vidéo publiée par FranceInfo le 5 octobre et l‘article à ce sujet).
Une interview réalisée en 2024 avec une des grandes spécialistes françaises du Moyen-Orient sur ce qui se passe à Gaza (voir interview) n’a pas non plus réussi à susciter l’intérêt des médias traditionnels en France (et bien ailleurs).
En guise de conclusion
Il semble que l’actuel occupant de la Maison Blanche depuis le 20 janvier dernier ait apporté son soutien total à cette opération de communication urgente dont Israël avait besoin pour redorer quelque peu son image ternie sur la scène internationale : avec un soi-disant « Plan de Paix » qui, comme nous avons tenté de l’expliquer précédemment, n’en est pas un. Le 6 octobre dernier, Democracy Now a interviewé un ancien négociateur israélien au sujet de ce soi-disant « Plan de Paix », et l’interview (voir la vidéo disponible sur YouTube) s’intitule « It’s Not a Peace Plan » : Ex-Israeli Negotiator Daniel Levy on Trump Push to End War on Gaza »
Ce ne serait pas la première fois que les États-Unis et Israël utilisent leurs appareils de communication respectifs, très efficaces, pour une opération médiatique d’une certaine envergure à l’échelle planétaire : en septembre 2020, les deux dirigeants ont annoncé au monde entier la conclusion des « Accords d’Abraham » et les ont présentés comme « les » accords du siècle. Comme on s’en souvient, il s’agissait d’accords de normalisation entre Israël et plusieurs États arabes (Bahreïn, Émirats arabes unis, Maroc et Soudan) (Note 9) qui ignoraient complètement le problème non résolu de l’occupation illégale du territoire palestinien par Israël ainsi que ses conséquences pour la population palestinienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
D’une certaine manière, le 7 octobre 2023 est venu rappeler au monde, de manière dramatique pour de nombreuses familles en Israël, l’erreur de cette stratégie de prétendue « normalisation » annoncée et saluée depuis 2020 : l’histoire humaine montre qu’on ne résout pas un problème politique en ignorant son existence.
Il convient de noter que quelques heures après l’annonce du 29 septembre concernant ce soi-disant « Plan de Paix », le Premier ministre israélien a précisé dans une vidéo qu’il n’y aurait en aucun cas d’État palestinien à l’avenir (voir la déclaration dans cette vidéo du Times et cette note de presse publiée en France). Sans le vouloir, ces déclarations du Premier ministre israélien révèlent au monde entier les véritables intentions d’Israël qui se cachent derrière ce « Plan de Paix » : une manœuvre de plus, déguisée en « Plan de Paix », qui lui permette de gagner du temps et de regagner un peu de crédibilité. Une manœuvre qui, en outre, va à l’encontre de la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État par la quasi-totalité des États de la planète (à l’exception des États-Unis et du Panama en ce qui concerne l’hémisphère américain) et de la solution à deux États : une solution que la communauté internationale soutient et a défendue dans d’innombrables résolutions de l’Assemblée Générale et du Conseil de Sécurité des Nations Unies, qui ne sont l’objet d’aucune référence dans ce prétendu « Plan de Paix ».
Il est très probable que dans les prochains jours, le Hamas acceptera certains points de la proposition mais exigera que plusieurs autres soient reconsidérés. Et qu’Israël trouvera à l’avenir n’importe quel prétexte pour reprendre ses opérations militaires insensées à Gaza.
– – Notes – –
Note 1 : Le texte complet du communiqué officiel du Costa Rica publié quelques minutes après l’annonce à la Maison Blanche est le suivant : »Política Exterior, Septiembre 30, 2025, 11:07 AM
Costa Rica reitera su compromiso con la paz y apoya el Plan de 20 puntos para Gaza y Medio Oriente
San José, 30 de setiembre de 2025. El Gobierno de Costa Rica reitera su apoyo a todos los esfuerzos multilaterales y diplomáticos que contribuyan a la resolución pacífica del conflicto en Gaza y Medio Oriente, respetando los derechos humanos y el derecho internacional.
El Plan de Paz de 20 puntos presentado por el presidente de los Estados Unidos de América, Donald Trump para poner fin al conflicto en Gaza y Medio Oriente representa un paso importante hacia la paz, con un enfoque en el alto al fuego, la liberación de rehenes, desmilitarización, reconstrucción y la creación de un gobierno de transición supervisado internacionalmente, que excluye la violencia y busca un futuro de seguridad, justicia, convivencia pacífica y prosperidad.
Costa Rica expresa su apoyo al Plan de Paz de 20 puntos y reafirma su compromiso con la paz en Medio Oriente, objetivo compartido por la comunidad internacional.
Comunicación Institucional 329-2025 CR paz Gaza y Medio Oriente Martes 30 de setiembre de 2025 »
Note 2: Cf. BOEGLIN N., « Gaza / Israel: desde una Costa Rica inaudible, apuntes sobre el reciente veto de Estados Unidos en el Consejo de Seguridad« , 18 septembre 2025. Texte intégral disponible ici.
Note 3: Cf. BOEGLIN N., « América Latina ante solicitud de opinión consultiva a justicia internacional sobre la situación en Palestina: breves apuntes sobre insólito voto en contra de Costa Rica », 30 décembre 2022. Texte intégral disponible ici. La position du Costa Rica aux Nations Unies, peu débattue, reflète en réalité une lecture très approximative et parfois erronée de ce qui se passe au Moyen-Orient, faite par la société costaricienne elle-même, où une position favorable à Israël prédomine depuis plusieurs décennies : parmi de nombreux exemples, nous pouvons indiquer que le Costa Rica n’a décidé de transférer son ambassade de Jerusalem à Tel Aviv qu´en 2007; et indiquer que la création d’une chaire sur le Moyen-Orient à l’UCR en 2016 a donné lieu à une demande d’enquête de la part de députées d’un parti politique influent (voir la note de novembre 2016 du Semanario Universidad). La seule interview existante à la télévision costaricienne de l’ambassadeur de Palestine Ryad Mansour, couvrant en tant que représentant depuis New York, le Costa Rica et quelques autres Etats, est due à une chaîne de télévision universitaire (voir la vidéo de l’interview réalisée dans le cadre de l’émission « Sobre la Mesa » de Canal15 UCR, du 18 décembre 2015).
Note 4: Cf. BOEGLIN N., « Gaza / Israel: análisis del ataque de Israel a Qatar del 9 de septiembre, desde la perspectiva jurídica« , 11 septembre 2025. Texte intégral disponible ici.
Note 5: Il convient de noter que le Brésil a présenté le 19 septembre dernier une demande d’intervention devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) dans le cadre de la requete déposée par l’Afrique du Sud contre Israël pour génocide à Gaza : voir le communiqué de presse de la CIJ et le texte de la demande d’intervention de 33 pages, dont la lecture détaillée est vivement recommandée. La demande du Brésil est la quatrième enregistrée depuis le début de l’année 2025, précédée par une demande similaire présentée officiellement par le Belize (31 janvier), Cuba (10 janvier), et l’ Irlande (5 janvier). En 2024, des demandes d’ intervention similaires ont été présentées par la Bolivie (8 octubre), Maldives (1er octobre), le Chili (12 septembre), la Turquie (7 août), l’ Espagne (28 juin), la Palestine (3 juin), le Méxique (24 mai), la Lybie (10 mai), la Colombie (5 avril), et le Nicaragua (8 fevrier 2024).
Note 6: Cf. BOEGLIN N., « Gaza / Israel: reflexiones desde una Costa Rica omisa sobre reciente informe de Naciones Unidas detallando la responsabilidad directa de empresas privadas en el genocidio en curso en Gaza« , 3 juillet 2025. Texte intégral disponible ici.
Note 7: Cf. BOEGLIN N., « Gaza / Israel: las recientes sanciones de Estados Unidos contra la CPI, analizadas desde una Costa Rica inaudible« , 20 août 2025. Texte intégral disponible ici.
Note 8: Pour ceux qui découvrent ce mot hébreu, Hasbara designe un réseau qui, depuis la diplomatie israélienne, cherche à orienter l’opinion publique et à disqualifier toute critique envers Israël. Sur la Hasbara, voir cet article de presse publié en France dans le quotidien Libération ainsi que cet article en espagnol publié par une université en Colombie, et cette analyse écrite en anglais. Pour des articles bien plus spécialisés, cf. AOURAGH M., « Hasbara 2.0 Israel´s Public Diplomacy in the Digital Era« , University of Westminster, 2016, 28 pages. Texte intégral disponible ici; tout comme JEDRZEJEWESKA. K., « Hasbara: public diplomacy with israeli´s characteristics« , Torun International Studies, Vol. 13, 2020, Num. 1, pp. 105-118. Texte intégral disponible ici. De maniere plus précise, una publication disponible en ligne intitulée « Israel´s Hasbara Toolkit« (75 pages, éditée au Royaume-Uni) téléchargeable sur la toile, offre les jeux sémantiques à appliquer: un spécialiste en droit international public reconnaitra facilement le jeu sémantique appliqué à sa discipline dans nombre d´articles, de tribunes et de commentaires, publiés dans la grande presse depuis le 7 octobre 2023 (pp. 56-58).
Nota 9: Le contenu de chacun des accords bilatéraux souscrits par Israël avec ces quatre Etats en septembre 2020, est disponible dans cet hyperlien du Département d’ Etat des Etats-Unis. Un élément essentiel de ces accords est la composante israélienne en matière de sécurité et de technologie dans ce domaine très précis. En 2021, l’utilisation par le Maroc du programme israélien Pegasus pour espionner les plus hautes autorités françaises a été rendue publique (voir note de presse de novembre 2021). Il convient de préciser qu’au Brésil, les autorités actuelles ont découvert l’existence d’un « cloud » électronique hébergé en Israël contenant les données personnelles de plus de 30 000 Brésiliens (voir note de presse de Página12 de janvier 2024) : apparemment, le programme Pegasus et d’autres logiciels qu’Israël a offerts aux États arabes qui ont accepté de normaliser leurs relations dans le cadre des « Accords d’Abraham » de 2020 (et qui permettent d’espionner et de surveiller les conversations des opposants politiques) – voir l’ artícle du New York Times de 2022 et voir la note du MERP de 2023 – ont également été offerts au Brésil du président Jair Bolsonaro. Du point de vue des droits humains, ce rapport rapport de l’ONG Amnesty International analyse de manière très détaillée le risque que représente le programme Pegasus pour les opposants politiques, les syndicalistes, les journalistes, les critiques et les militants en général ou les organisations sociales. En 2022, c’est l’ONG américaine Human Rights Watch elle-même qui a dénoncé le fait que son personnel avait fait l’objet d’une surveillance à l’aide de ce logiciel israélien (voir note). Au Salvador, le harcèlement systématique dont sont victimes les journalistes et les organisations de défense des droits humains, ainsi que le départ massif de nombreux d’entre eux ces derniers mois, semblent être liés aux programmes et services de cybersécurité proposés par des entreprises israéliennes et achetés par les autorités policières salvadoriennes (voir l’article d’ElFaro de 2023).
Nicolas Boeglin, professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR) : contact : nboeglin(a)gmail.com
Source : auteur
https://derechointernacionalcr.blogspot.com/…
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