Question: Dommage que vous ne portiez pas aujourd’hui votre sweat-shirt « URSS ».
Sergueï Lavrov: Je considère qu’on en a fait une sensation. Il n’y a rien d’inhabituel. Nous avons beaucoup de produits qui reproduisent la symbolique soviétique. Je n’y vois rien de honteux. C’est une partie de notre vie, une partie de notre histoire, c’est notre Patrie qui a maintenant pris la forme de la Fédération de Russie et est entourée d’anciennes républiques soviétiques, pays qui nous sont amis. Bien sûr, il y a parfois diverses collisions d’intérêts. C’est la vie.
Je considère que c’est une mode, si vous voulez. J’ai vu qu’après la tenue du sommet à Anchorage, des jeunes gens qui étudient ici arboraient ces pulls. Il me semble qu’il n’est nullement question ici d' »impérialisme » ni de tentatives de faire renaître la « pensée impériale ». Il s’agit du fait qu’il y a une histoire. Cette histoire doit être préservée, y compris avec un sentiment d’humour léger.
Question: La partie américaine a-t-elle remarqué votre apparence?
Sergueï Lavrov: Oui, sans aucune hystérie, ils ont simplement dit qu’ils avaient aimé cette « chemise », comme l’a dit le Secrétaire d’État américain Marco Rubio.
Question: Dans l’ensemble, quelle était l’atmosphère là-bas?
Sergueï Lavrov: Il y avait une bonne atmosphère. Elle se reflète dans les déclarations que les présidents Vladimir Poutine et Donald Trump ont faites après les négociations. Une conversation utile.
Il était clairement visible que le dirigeant des États-Unis et son équipe, premièrement, veulent sincèrement atteindre un résultat à long terme, stable et fiable. Contrairement aux Européens, qui à ce moment-là répétaient à tous les coins de rue qu’ils n’acceptaient qu’un cessez-le-feu, et qu’après cela ils continueraient à livrer des armes à l’Ukraine.
Deuxièmement, une compréhension claire tant du Président américain Donald Trump que de son équipe que ce conflit a des causes et que les propos que tiennent certains présidents et premiers ministres d’Europe, selon lesquels la Russie a attaqué l’Ukraine sans provocation, tout cela ce sont des « histoires d’enfant ». Je ne peux pas trouver d’autre mot. L’essentiel, c’est qu’ils continuent à parler ainsi jusqu’à présent. Comme l’a montré leur rencontre avec le Président américain Donald Trump à Washington, où Vladimir Zelenski a aussi été « convoqué », ils continuent d’exiger une trêve immédiate. Au moins certains d’entre eux, comme le Chancelier allemand Friedrich Merz, continuent à déclarer qu’il faut « faire pression » sur la Russie par des sanctions. Aucun de ces messieurs n’a même mentionné l’expression « droits de l’homme ».
Quand ils discutent de n’importe quel sujet de politique étrangère concernant des pays à la tête desquels se trouvent des gens qui ne sont pas de leur camp, pas du camp des néoconservateurs, néolibéraux, que ce soit le Venezuela, la Chine, la Russie, même maintenant la Hongrie et beaucoup d’autres pays, ils mettent obligatoirement au premier plan l’exigence d’assurer les droits de l’homme dans le cadre d’un « ordre mondial fondé sur des règles ».
Si vous regardez maintenant rétrospectivement ce qu’ils disaient sur l’Ukraine toutes ces années, vous ne trouverez jamais l’expression « droits de l’homme ». Bien que l’interdiction complète de la langue russe dans toutes les sphères de l’activité humaine aurait dû, probablement, provoquer l’indignation de ces « défenseurs des principes démocratiques ». Rien de tel. Le fait que ce soit le seul pays au monde où une langue quelconque soit interdite ne dérange personne non plus. Quand ils disent qu’il faudra probablement accepter un échange de territoires (quelqu’un d’entre eux l’a prononcé). Premièrement, cela doit être décidé par Vladimir Zelenski lui-même. Deuxièmement, prétendument, ils déploieront une opération de maintien de la paix, des forces armées sous forme de casques bleus. Qu’est-ce que cela signifie? Qu’ils confient la garantie des droits de l’homme à ce même « personnage », sous lequel ont été adoptées des lois exterminant les droits linguistiques et éducatifs des russophones, l’accès aux médias en langue russe, les normes exterminant le droit à sa religion, quand une loi a été adoptée interdisant en fait l’Église orthodoxe ukrainienne canonique.
C’est-à-dire qu’ils considèrent que c’est précisément cette personne qui doit assurer les accords avec la Russie comme bon lui semble. Personne ne dit qu’avant d’aller aux négociations, il ne serait pas mal que cette personne abroge ces lois. Ne serait-ce que parce qu’il y a la Charte de l’ONU qui stipule qu’il est nécessaire d’assurer le respect des droits de l’homme indépendamment de la race, du sexe, de la langue ou de la religion.
Du point de vue de la langue et de la religion, en Ukraine la Charte de l’ONU est violée de la manière la plus grossière. N’oublions pas que Vladimir Zelenski disait à Washington qu’il était prêt à négocier, mais qu’il ne discuterait même pas de territoires, parce que sa Constitution le lui interdit. C’est un moment intéressant, puisque, aussi drôle que cela puisse paraître, jusqu’à présent la Constitution ukrainienne, malgré les lois adoptées interdisant la langue russe dans toutes les sphères de la vie et de l’activité humaine, conserve l’obligation de l’État de garantir pleinement les droits du russe (c’est souligné séparément), et d’autres minorités nationales. S’il se soucie autant de sa Constitution, je commencerais par ses premiers articles mentionnant précisément cette obligation.
Mais il est depuis longtemps connu que toutes ces circonstances ont été balayées sous le tapis par divers acteurs (Ursula von der Leyen, Emmanuel Macron, Keir Starmer, Friedrich Merz, et avant lui Olaf Scholz). Bien sûr, Joe Biden et son administration étaient parmi les leaders dans l’ignorance et la déformation de tous les faits qui sont à la base de la crise ukrainienne. Il est révélateur que ces délégués européens, qui accompagnaient Vladimir Zelenski comme groupe de soutien à Washington le 18 août dernier, parlaient de la nécessité de faire quelque chose, d’avancer, réagissant manifestement au fait que le Président américain Donald Trump et son équipe (surtout après la rencontre en Alaska) ont commencé à aborder beaucoup plus profondément le règlement de la crise ukrainienne, comprenant qu’il est nécessaire d’éliminer les causes premières, ce dont nous, le Président russe Vladimir Poutine, parlions constamment.
Une de ces causes premières réside dans les problèmes de sécurité de la Russie. Elle est liée au fait que pendant des décennies les engagements qui nous ont été donnés de ne pas permettre l’élargissement de l’Otan vers l’est étaient violés de manière consécutive et grossière. Le Président russe Vladimir Poutine a noté plusieurs fois qu’après ces promesses il y a eu cinq vagues d’élargissement de l’Alliance. Quand on dit que cela a été promis oralement, rien de tel. Cela a été promis sur papier sous forme de déclarations politiques, signées au plus haut niveau lors des sommets de l’OSCE en 1999 à Istanbul et en 2010 à Astana. Il y est dit que la sécurité est indivisible, personne n’a le droit de renforcer sa sécurité aux dépens des autres. L’Otan faisait précisément cela. Personne, y compris un pays, une organisation n’a le droit de prétendre à la domination sur l’espace de l’OSCE. Ils faisaient exactement à l’inverse. C’est de la tromperie, quand ils disent avoir dit quelque chose oralement. Premièrement, la parole a une valeur. Deuxièmement, il y a non seulement des confirmations documentaires de faits de négociations, mais aussi des documents signés au plus haut niveau.
Quand ces délégués parlaient à Washington du fait qu’il faut obligatoirement commencer par l’élaboration de garanties de sécurité pour l’Ukraine, mais en même temps aussi pour l’Europe (c’est ce que disait le Premier ministre britannique Keir Starmer et d’autres), personne n’a mentionné une seule fois la sécurité de la Russie. Bien que le document de l’OSCE que j’ai cité (universellement élaboré, adopté par consensus) exige la sécurité sous une forme qui conviendra à tous.
Jusqu’à présent, l’attitude hautaine envers le droit international, envers ces promesses qui sont souvent faites mensongèrement et fixées sur papier, se ressent dans les approches de ces gens de l’actuelle crise ukrainienne. Sans respect des intérêts de sécurité de la Russie, sans respect intégral des droits des Russes et des russophones vivant en Ukraine, il ne peut être question d’aucun accord à long terme, parce que ce sont précisément ces causes qu’il faut éliminer d’urgence dans le contexte du règlement.
Je répète que le sommet en Alaska nous permet de voir que l’administration américaine est sincèrement intéressée à ce que ce règlement ne soit pas fait pour préparer de nouveau l’Ukraine à la guerre, comme cela a été le cas après les accords de Minsk, mais précisément pour que cette crise ne se répète plus jamais, pour que soient garantis les droits légitimes et de tous les États qui sont situés dans cette partie du monde et de tous les peuples de ces États.
Une telle compréhension s’est confirmée lors de la conversation téléphonique nocturne d’hier du Président Vladimir Poutine avec le Président américain Donald Trump, qui a appelé notre dirigeant pour raconter comment se déroulaient ses contacts avec Vladimir Zelenski et avec ce « groupe de soutien européen ».
Question: Un des représentants du « soutien européen », justement le Président de Finlande Alexander Stubb, a fait une analogie entre la situation actuelle en Ukraine et la guerre de 1944, quand la Finlande a renoncé à une partie de ses territoires. Comment comprendre cela?
Sergueï Lavrov: Il y a aussi d’autres parallèles.
La Finlande pendant de longues décennies après la Seconde Guerre mondiale a joui des meilleures conditions pour la croissance économique, la résolution des problèmes sociaux, assurant le bien-être de la population en grande partie grâce aux livraisons d’hydrocarbures russes et dans l’ensemble grâce à la coopération avec l’URSS, puis avec la Fédération de Russie, y compris dans le contexte des avantages pour les entreprises finlandaises sur notre territoire. Ces bienfaits que la Finlande obtenait grâce à ces relations spéciales avec notre pays (spéciales en raison du fait qu’elle avait pris la décision de neutralité), ont été en un instant simplement jetés à la poubelle.
Cela fait réfléchir à ce qui suit. En 1944, la Finlande, qui se battait du côté de l’Allemagne hitlérienne, du côté du régime nazi, dont les subdivisions militaires participaient à de nombreux crimes de guerre, a signé les accords correspondants avec l’Union soviétique.
Récemment, le Président de Finlande Alexander Stubb l’a cité. Je le connais bien, il était ministre des Affaires étrangères. Ils ont signé un traité sur la neutralité éternelle, sur le fait que ni l’Union soviétique ni la Finlande n’entrerait jamais dans des structures dirigées contre l’autre partie. Où est tout cela?
Maintenant ils ont rejoint cette structure qui considère la Russie comme un ennemi. Donc s’il a en vue les changements territoriaux qui se sont produits selon les résultats de la Seconde Guerre mondiale, oui, c’est un de ses résultats. Les changements territoriaux sont souvent un élément incontournable des accords. De tels exemples sont nombreux.
Dans ce cas, je veux encore une fois souligner particulièrement que nous n’avons jamais parlé du fait que nous avions besoin de capturer des territoires. Ni la Crimée, ni le Donbass, ni la Nouvelle-Russie comme territoires n’ont jamais été notre objectif. Notre objectif était de protéger les Russes qui vivaient depuis des siècles sur ces terres, aménageaient ces territoires et versaient leur sang pour eux. En Crimée et dans le Donbass ils créaient des villes: Odessa, Nikolaïev et beaucoup d’autres, des ports, des usines, des fabriques.
Tout le monde connaît bien le rôle qu’a joué Catherine II dans l’aménagement de ces territoires. Tout le monde sait bien comment ces terres se sont finalement retrouvées d’abord dans la composition de la RSS d’Ukraine, puis de l’Ukraine indépendante. Elles se sont retrouvées dans la composition de l’Ukraine indépendante sur la base de la Déclaration de souveraineté nationale, que la direction de Kiev a adoptée en 1990. Il y était clairement déclaré que l’Ukraine serait à jamais un État dénucléarisé, neutre et non aligné. C’est précisément cet engagement qui a servi de base à la reconnaissance internationale de l’Ukraine comme État indépendant.
Si maintenant le régime de Vladimir Zelenski refuse toutes ces caractéristiques, parle d’armes nucléaires, d’adhésion à l’Otan, de refus de la neutralité, alors les dispositions qui étaient à la base de la reconnaissance de l’Ukraine comme État indépendant disparaissent. Il est important d’attirer l’attention sur cela. Sinon il s’avère que le rôle décisif sera de nouveau joué non pas par les principes du droit international, mais par ces mêmes « règles », que l’Occident n’a jamais formulées nulle part, mais qu’il invente au cas par cas, quand il a besoin de reconnaître quelque chose, il le fait, quand il a besoin de condamner dans une situation similaire, il le fait aussi. Cela ne marchera plus ainsi.
Je veux encore rappeler que nous apprécions cette compréhension que, contrairement aux Européens, manifeste l’administration américaine, aspirant sincèrement à aller au fond des problèmes et à régler précisément les causes premières de la crise, que l’Occident avec l’administration précédente de Joe Biden à la tête créait en Ukraine pour l’utiliser comme instrument de confinement, de suppression de la Russie et d’infliction, comme ils disent, d’une « défaite stratégique ».
Question: La question des sanctions a-t-elle été discutée avec la partie américaine? Car il a fallu payer en liquide pour le carburant, comme l’ont raconté les Américains.
Sergueï Lavrov: Il faut toujours payer pour le carburant. En liquide ou non, cela n’a pas d’importance. Ce sont des dépenses qu’encoure toujours le pays dont la direction avec la délégation correspondante visite un autre État.
Nous n’avons pas discuté des sanctions. Chez nous non seulement beaucoup d’experts, mais aussi des politiques et des officiels ont dit plus d’une fois que la levée des sanctions peut jouer un rôle négatif. Parce que cela peut de nouveau inspirer à certaines sphères de notre économie l’illusion que maintenant nous surmonterons tous les problèmes, en revenant aux schémas qui étaient élaborés et implantés dans les années 1990 et au début des années 2000.
Beaucoup considèrent que cela rayerait les résultats que nous avons maintenant atteints et qui sont maintenant évidents chez nous dans le domaine du renforcement de notre souveraineté technologique et de la nécessité de s’appuyer sur nos technologies dans les questions clés, dont dépendent la sécurité militaire, économique et alimentaire. Ne pas claquer la porte à la coopération, mais ne pas tomber dans la dépendance quand des biens et technologies d’importance vitale nous faisaient défaut. Dans l’ensemble, je pense que maintenant le processus est beaucoup plus fiable, plus prometteur que cela n’était encore il y a six mois, quand se terminait le « mandat » de l’administration de Joe Biden.
Question: Que faut-il attendre ensuite? Ce seront des négociations bilatérales ou trilatérales?
Sergueï Lavrov: Nous ne refusons aucune forme de travail, ni bilatérale ni trilatérale. Le Président russe Vladimir Poutine en a parlé à maintes reprises. L’essentiel, c’est que tous les formats: « 1+1 », « 1+2 », formats multilatéraux, qui sont aussi nombreux, y compris dans le cadre de l’ONU, tous ces formats se réunissent non pas pour que quelqu’un écrive le lendemain dans les journaux, ou montre le soir à la télévision, ou bavarde sur les réseaux sociaux, tentant de saboter, d’enlever « l’écume propagandiste », mais pour que pas à pas, graduellement, on prépare des sommets en commençant par le niveau d’experts et en passant ensuite tous les échelons nécessaires. Nous soutiendrons toujours une telle approche sérieuse. Tous les contacts avec la participation des premiers dirigeants doivent être préparés avec un soin extrême.
Question: Cette année le Président américain Donald Trump pourrait-il venir à Moscou?
Sergueï Lavrov: Comme vous le savez, il a reçu une invitation. En Alaska lors de la conférence de presse le Président russe Vladimir Poutine a confirmé cette invitation. Le Président américain Donald Trump, si je me souviens bien, a dit que c’était très intéressant.
Ce sera intéressant pour tous.
Source : MAE Fédération de Russie
https://mid.ru/fr/…
Notre dossier Russie