Par Karine Bechet-Golovko

Avec la crise du Covid, certains secteurs se sont envolés et certaines pratiques ont été modifiées. Tel est, notamment, le cas du numérique. Et nous avons tous découvert Zoom, à tous les coins de rue, sur tous les bouts d’écran. En Russie, il est utilisé dans une très grande partie des écoles et des universités, sans oublier les institutions publiques. Zoom, produit américain, basé aux Etats-Unis, avec des problèmes de sécurité notoires. Qui vient de suspendre, puis conditionner, sa coopération avec les institutions étatiques en Russie et dans les pays de la CEI. C’est une très bonne chose – pour se rappeler que la souveraineté n’est pas qu’une belle déclaration médiatique, ni un mouvement de troupe, que la souveraineté n’est pas divisible, que la souveraineté impose une vision englobante de la sécurité nationale qui ne permet pas de concession avec la globalisation.

Le numérique n’est pas une découverte récente, il est entré dans la vie politique dès les années 60. Avec la commercialisation de masse des outils technologiques le supportant, il s’est implanté ensuite au quotidien, devenant pour certains irremplaçable. Avec le Covid, le numérique est devenu l’un des piliers du nouveau monde : il ne s’ajoute plus aux autres moyens de communication, il doit devenir le seul moyen de communication. Or, la plupart des instruments sont aux Etats-Unis. Et chacun sait avec quel entrain les grandes plateformes numériques collaborent, voire devancent, les besoins en information des dirigeants américains.

En Russie, mais pas seulement, Zoom est devenu avec le Covid l’une des plateformes principales de la vie socio-politique. En mars 2020, la plateforme annonce une augmentation du trafic de … 535% en un mois. Or, la sécurité de cette plateforme est plus qu’aléatoire. Par exemple, sur IOS, elle transmet automatiquement les données personnelles à Facebook. Et l’on connaît la collaboration active de Facebook avec le renseignement américain. (sur les problèmes de Zoom, voir notre texte ici).

Malgré cela, cette plateforme et d’autre sont utilisées en Russie dans les écoles, les universités et les institutions publiques. En Russie, où la question de la souveraineté est sensible et revendiquée. Que faire, me direz-vous ? Avec le Covid, on n’a pas le choix.

On a toujours le choix et le premier était d’entrer ou non dans la vague globale du Covid. Or, l’année dernière, peu ont fait le choix de la résistance et, dans un premier temps, la Russie non plus ne l’a pas fait. Il est vrai que certaines élites globalistes bien implantées ont vu, à juste titre, l’occasion idéale pour implanter par la force ce nouveau monde qui, autrement, ne prenait pas. Et même lorsque des pas en arrière ont été faits, lorsque l’instinct de survie politique s’est réveillé, il reste des traces.

Ainsi, le numérique est entré dans la législation comme une des formes d’enseignement et dans la pratique, si les entraves sont levées pour le privé, les universités sont encore sous le coup d’interdictions de présence, variant selon les établissements. Il est effectivement idéologiquement moins dangereux d’aller au cinéma se gaver de blockbusters, que de suivre des cours d’amphi ou même simplement des cours avec un professeur et ensuite de devoir passer de véritables examens.

Mais comme le reconnaît le porte-parole du Kremlin, si Zoom n’est pas utilisé par le Président et le Kremlin pour les communications internes (heureusement !), il l’a été pour des communications internationales. Quand on se souvient des révélations d’écoutes américaines des dirigeants en Europe, finalement, le Covid facilite les choses au renseignement américain …

Quand Zoom déclare d’abord ne plus fournir les institutions publiques en Russie et dans la CEI, un « contrat spécial » étant certainement envisagé pour eux (les infos sont quand même plus intéressantes que pour les papotages privés), puis enjoint ces institutions publiques de les contacter individuellement et directement, sans passer par les fournisseurs, on est en droit de se poser des questions …

Si la dimension de sécurité nationale est prise en considération, si le Conseil de la Fédération menace de blocage de Zoom en Russie, le ministère russe du numérique appelant à passer à des plateformes numériques russes, le principe, lui, du tout-numérique n’est absolument pas remis en cause. Comme si le numérique, sur la totalité du service fourni, pouvait par définition être national et sécurisé …

Je ne parle même pas de la régression sociale, de la baisse des connaissances, de la désocialisation suite à la massification numérique, mais au minimum de la question de la sécurité nationale pour un Etat qui se veut souverain. Tout ce qui est mis en ligne est à terme accessible. Il est inquiétant de voir que le danger présenté par ce fanatisme numérique, présenté comme seul avenir possible, n’est pas remis en cause.  Seules les modalités sont discutées, face à un risque de carence, car le Gouvernement déclare lui-même que ce ne sera certainement pas le dernier géant numérique à réagir ainsi. Rappelons que ce n’est pas la première fois. Par exemple, l’Université Bauman, l’une des universités russes de pointe en sciences dures et appliquées, s’est vue opposer en décembre 2020 un refus par Microsoft de prolongation de son contrat de fourniture de soft.

Ces démarches, toutes proportions gardées (quoi que …) me font penser à la technique des dealers, qui distribuent facilement dans un premier temps leur drogue, puis, quand vous ne pouvez plus penser le monde sans cette substance, modifient les conditions d’obtention de la marchandise.

Finalement, la souveraineté ne passerait-elle pas par la désintoxication ?

Source : Russie politics
http://russiepolitics.blogspot.com/…