Par Nasser Kandil

Le 26 janvier, la Cour internationale de Justice (CIJ) a rendu sa décision préliminaire dans l’affaire Afrique du Sud contre Israël, concernant la violation par Israël de la Convention de 1951 pour la prévention et la répression du crime de génocide, à laquelle les deux pays ont souscrit.

Dans cet article, M. Nasser Kandil n’entre pas dans les détails, mais se contente d’expliquer en quoi cette décision est importante, en dépit du fait que la Cour a refusé de mettre en œuvre la requête des juristes africains quant à la suspension immédiate des opérations militaires dans et contre Gaza.

Reste à espérer que le délai d’un mois accordé à Israël, pour présenter un rapport exposant ses actions de mise en application des mesures conservatoires ordonnées par la Cour, n’allonge de manière encore plus dramatique la liste des familles palestiniennes entièrement effacées des registres d’état civil… [NdT].

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Des analyses concernant la décision rendue par la Cour internationale de Justice (CIJ) ont rapidement émergé et répandu la frustration au motif qu’elle n’incluait pas d’appel à un cessez-le-feu immédiat par l’armée d’occupation.

Bien entendu, l’absence de cet appel constitue une lacune par rapport à des décisions rendues dans des situations similaires par cette même cour, dont l’ordonnance du 16 mars 2022, par laquelle la CIJ a estimé que la Fédération de Russie devait suspendre « immédiatement » les opérations militaires (commencées le 24 février 2022) sur le territoire de l’Ukraine ; d’autant plus que dans le cas des opérations militaires d’Israël à Gaza, le caractère génocidaire est incomparablement plus puissant que dans le cas des opérations de la Russie en Ukraine.

En effet, selon les estimations internationales, le nombre de victimes civiles en Ukraine depuis février 2022 était voisin de dix mille, alors qu’il y a eu plus de vingt-cinq mille victimes civiles à Gaza en cent jours, parmi lesquelles le nombre d’enfants est, en lui-même, un argument suffisant en faveur du concept de génocide. Un argument auquel s’ajoutent l’état de siège, la famine, la destruction des habitations, le déplacement forcé de la population, en plus de l’incitation au génocide par de hauts responsables du gouvernement et de l’armée d’Israël.

Ce précédent juridique russo-ukrainien a laissé penser que la CIJ pouvait inclure dans son ordonnance un appel à la cessation immédiate des opérations guerrières, mais il semble qu’elle ait choisi le modèle adopté le 23 janvier 2020 dans le cadre de la requête de la Gambie contre le Myanmar. À l’époque elle avait rendu une ordonnance qui n’incluait pas la cessation des hostilités, mais exigeait du Myanmar qu’il prenne des mesures pour prévenir le risque ou l’éventuelle répétition d’un génocide contre la minorité musulmane des Rohingya.

Il n’en demeure pas moins que les approbateurs de la décision de la CIJ, notamment l’Afrique du Sud, soutiennent que la décision inclut indirectement un appel à arrêter la guerre car la mise en œuvre des mesures conservatoires imposées à Israël passe obligatoirement par un cessez-le-feu. Par conséquent, l’important est de savoir sous quel angle nous devons considérer la décision de la CIJ.

Devons-nous considérer que la CIJ aurait-dû décider d’arrêter la guerre criminelle contre Gaza, alors que nous savons que la mise en œuvre d’une telle ordonnance nécessite une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, conformément au chapitre VII et des procédures qu’il contient en cas de non respect des mesures contraignantes exigées ; des procédures allant de la prise de sanctions jusqu’aux actions militaires ? Ce qui ne risque pas d’arriver, compte tenu du veto des États-Unis toujours prêt à protéger Israël. D’autant plus que dès le premier jour de la guerre, nous n’avons cessé d’entendre leurs justifications des crimes de l’armée d’occupation israélienne, leur recours au veto pour empêcher un cessez-le-feu, leurs déclarations selon lesquelles le procès intenté contre le gouvernement israélien est sans fondement, comme ce fut le cas du secrétaire d’État américain, Anthony Blinken, le jour même où l’Afrique du Sud a déposé la plainte devant la CIJ et avant même qu’il n’examine le dossier.

Devons-nous considérer qu’il est inutile de recourir aux institutions internationales, à l’instar de ceux qui, de bonne ou de mauvaise foi, tiennent un discours émotionnel justifié par le délai d’un mois accordé à Israël pour présenter un rapport exposant ses actions de mise en application des mesures provisoires ordonnées par la CIJ ? En d’autres termes, devons-nous tomber dans leur discours paradoxal qui veut que le recours aux institutions internationales soit inutile et dangereux à la fois, puisque certains d’entre eux parlent de ce délai comme d’une conspiration visant à donner à l’armée d’occupation un mois pour achever son génocide contre le peuple palestinien de Gaza ?

Au delà de ces considérations, nous, nous voyons la tribune de la CIJ sous l’angle d’une plate-forme permettant la poursuite de la bataille du récit palestinien face au récit israélo-américain devant la plus haute autorité juridique internationale, dans le langage des faits, des documents, des preuves et des arguments juridiques, afin de conforter l’opinion publique internationale qui juge que la Palestine, le peuple palestinien et sa résistance sont dans leur bon droit et que l’entité occupante est criminelle. D’ailleurs, telle est la cause pour laquelle l’Afrique du Sud s’est portée volontaire.

En effet, le danger n’était pas que la CIJ n’ordonne pas un cessez-le-feu, mais plutôt qu’elle élude l’examen de l’affaire en raison d’un manque de compétence comme, par exemple, dire que les preuves présentées par l’Afrique du Sud peuvent être classées comme des preuves possibles de crimes de guerre, non de génocide. Auquel cas, il n’appartenait plus à la CIJ d’examiner la violation de la « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide » pour laquelle la plainte sud-africaine a été déposée.

Le fait que la CIJ ait accepté la plainte, que les preuves avancées par l’Afrique du Sud aient été considérées comme suffisantes pour suspecter un risque de génocide, que le procès se soit ouvert sur cette base et que la demande israélienne de la considérer comme déplacée ait été rejetée signifie, en pratique, que la plate-forme juridique dispose de munitions pour poursuivre l’entité occupante ainsi que ses représentants et mener la bataille médiatique, culturelle et politique, commencée pendant les cent jours de guerre.

Et même si les mesures imposées à Israël pour prévenir les actes de génocide ne sont pas respectées, elles constituent néanmoins un scandale qui s’ajoute aux scandales des États-Unis empêchant les institutions internationales de jouer leur rôle lorsqu’il s’agit des crimes de l’occupation israélienne ; ce qui fait partie de la bataille politique, médiatique et culturelle.

C’est pourquoi la décision de la Cour doit être portée devant le Conseil de sécurité de l’ONU, non pas pour parier sur autre chose que la résistance du peuple palestinien et la complémentarité entre les résistances régionales, mais pour maintenir le dynamisme du mouvement favorable à la cause palestinienne, condamner les crimes d’Israël et de leurs alliés, au premier rang desquels figure l’administration américaine.

Ce que l’Afrique du Sud a entrepris est formidable et d’une grande importance. Elle mérite considération, honneur et respect. Quant à la réponse de la CIJ, elle a montré que l’opinion publique mondiale a réussi à créer une sorte d’équilibre face à l’hégémonie américaine sur les institutions juridiques internationales qu’elle exploite, afin de protéger les crimes, innocenter les criminels et limiter leur mission à poursuivre ceux que Washington souhaite poursuivre.

Nasser Kandil
27/01/2024
Source : Al-Binaa  

من أي زاوية يجب النظر لقرار محكمة العدل الدولية؟
https://www.al-binaa.com/archives/393466

Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal

M.Nasser Kandil est un homme politique libanais, ancien député et Rédacteur en chef du quotidien libanais « Al-Binaa ». 

Source : Mouna Alno-Nakhal