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Par Alexandre Aoun

Source : Sputnik

Les Forces libanaises ont démantelé 17 réseaux d’espionnage liés à Israël. Moyennant finances, les espions devaient fournir des informations sur le Hezbollah et le Hamas. Le parti chiite n’est pas en reste dans cette guerre de l’ombre.

Israël mène une guerre sur tous les fronts contre le Hezbollah. L’armée israélienne a lancé le 31 janvier un énième raid aérien en Syrie pour frapper le parti chiite dans la banlieue de Damas. Le même jour, 17 réseaux d’espionnage israéliens étaient démantelés au Liban par la branche du renseignement des Forces de sécurité intérieure. Ces différentes cellules, non connectées entre elles, étaient dans le viseur des services libanais depuis cinq semaines. Il s’agit de « l’opération de sécurité la plus importante contre l’espionnage israélien » au Liban, souligne le quotidien libanais Al Akhbar.

Pas moins de 35 personnes, parmi lesquelles des Libanais, des Syriens et des Palestiniens, ont été arrêtées. Elles étaient chargées de collecter, pour le compte de Tel-Aviv, des informations sur l’armée libanaise, le Hezbollah, le mouvement palestinien Hamas, ainsi que sur des responsables officiels libanais, des chefs de partis et des ONG. L’enquête précise de surcroît que le Mossad aurait notamment recruté des espions sur les réseaux sociaux. En pleine crise économique, alors que de nombreux Libanais peinent à joindre les deux bouts, le renseignement israélien a profité de cette situation pour soudoyer des sources.

Des proches du Hezbollah au service d’Israël?

Pour passer sous le radar des autorités libanaises, les paiements transitaient par des réseaux comme Western Union ou OMT et les versements –dont les sommes ne dépassaient pas 200 dollars– provenaient de plusieurs pays. D’ailleurs, l’un des suspects arrêtés a souligné qu’il travaillait pour l’un des mouvements de contestation du 17 octobre au Liban et que son opérateur lui avait envoyé la somme de 300 dollars pour acheter des masques sur lesquels était écrit « Tous veut dire tous… et Nasrallah en fait partie« , l’un des slogans de la « révolution libanaise  » de 2019.

Le démantèlement de ces nombreux réseaux d’espionnage dévoile l’ampleur des ambitions et moyens de l’État hébreu, mais aussi des efforts de Beyrouth pour contrer ces derniers. « La guerre de 2006 a intensifié cette guerre d’espionnage« , observe Daniel Meier, chercheur associé au laboratoire Pacte et enseignant à Science Po Grenoble.

« Les réseaux d’intelligence du Liban se sont professionnalisés et développés. Il y a eu une progression significative dans la collecte des informations, notamment sur les réseaux liés à Daech* à la frontière syrienne. Cette activité de contre-espionnage contre Israël avait également fait ses preuves en 2010 », souligne-t-il encore au micro de Sputnik.

Cette année-là en effet, près de 150 espions présumés avaient été arrêtés au Liban pour intelligence au profit d’Israël. Cette opération de grande ampleur lancée par les Forces de sécurité libanaises avait révélé des liaisons pour le moins étonnantes: « des personnes avaient vendu des informations pour le compte d’Israël, parmi lesquelles des soldats de l’armée libanaise et des proches du Hezbollah« , précise le chercheur. Il s’agissait notamment de Fayez Karam, ancien général de l’armée libanaise, également cadre éminent du Courant patriotique libre, parti allié du Hezbollah.

L’ingéniosité des services de renseignements israéliens donne du fil à retordre aux autorités libanaises. En octobre dernier, profitant une fois de plus de la crise économique, l’État hébreu avait décidé d’ouvrir temporairement ses frontières aux agriculteurs libanais. Une mesure non dénuée d’intérêt stratégique, puisque sous couvert d’action humanitaire, les habitants à la frontière peuvent également servir « d’indics« , précise Daniel Meier.

Joseph Khalil Aoun, commandant de l’armée libanaise, a par ailleurs accusé le Mossad de tenter d’entrer en lien avec des citoyens libanais via Facebook, mettant en garde les habitants du pays du cèdre contre de telles approches.

Hezbollah: 2.000 drones?

Israël et le Liban étant toujours officiellement en guerre, des contacts entre Tel-Aviv et des Libanais entraînent de facto des poursuites judiciaires pour ces derniers. La militante libanaise Kinda el-Khatib avait ainsi écopé d’une peine de trois ans de prison pour avoir collaboré avec des services israéliens en Jordanie. L’accusée avait affirmé ignorer la nationalité de son contact.

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Pour l’État hébreu, l’enjeu est de connaître les moindres faits et gestes du Hezbollah. D’autant plus que le parti chiite en fait de même.

« La question de l’information va également dans l’autre sens. Le Hezbollah avait utilisé des réseaux de passeurs de drogue et avait réussi à atteindre le commandement nord d’Israël. Une subversion de quelques officiers à l’aide de drogue contre des renseignements. Chaque parti y va avec ses propres moyens », résume Daniel Meier.

En effet, bien que moins équipé que le Mossad, le Hezbollah ne manque pas de créativité pour obtenir des informations sur son ennemi. Le parti chiite avait réussi à obtenir les services d’une jeune Arabe israélienne grâce à une approche en hébreu sur les réseaux sociaux. Se faisant passer pour un journaliste indépendant, le membre du Hezbollah avait demandé des clichés de sites militaires proches de la frontière libanaise. En décembre dernier, Mai-Bat Masarwa a finalement été arrêtée et condamnée à 30 mois de prison par les autorités israéliennes. Le parti de Dieu entretient de surcroît « des liens avec des agriculteurs et des bergers de l’autre côté de la frontière« , ajoute le spécialiste du Liban.

Crainte supplémentaire pour l’État hébreu, le Hezbollah se modernise:((citation))

« Les drones font maintenant partie intégrante de ce dispositif de renseignement et ils sont largement répandus chez les deux acteurs », souligne Daniel Meier.

De part et d’autre de la frontière israélo-libanaise, Tsa20hrti chiite sont sur le qui-vive et interceptent régulièrement des appareils ennemis. Selon une étude publiée en décembre dernier par le centre de recherche israélien Alma, le parti chiite disposerait de plus de 2.000 avions téléguidés sans pilote à vocation offensive ou pour de simples opérations de renseignement.

« Cette guerre d’espionnage multiforme alimente de fait les tensions« , estime le chercheur:

« Ce sont des ennemis irréductibles, mais ce sont surtout des ennemis intimes. Ils se connaissent et finissent par avoir besoin l’un de l’autre. Dans un certain sens, les animosités entre les deux acteurs servent leurs propres agendas sécuritaires et leur permettent de mobiliser leurs partisans », conclut Daniel Meier.

Après tout, « qui vit de combattre un ennemi a tout intérêt de le laisser en vie« , écrivait Nietzsche dans Humain, trop humain. Le Hezbollah et Tsahal peuvent-ils se passer l’un de l’autre?

*Organisation terroriste interdite en Russie.

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