Par Régis de Castelnau

La campagne de l’élection présidentielle 2022 est un grand révélateur de la déshérence politique dans laquelle se trouve notre pays. En 2017, un trio constitué de la haute fonction publique d’État, de l’oligarchie économique et de la magistrature politisée, a organisé de longue main un coup d’État pour faire élire à la magistrature suprême un parfait inconnu.

S’appuyant sur l’essentiel de l’armature politique du Parti socialiste, Emmanuel Macron a ainsi réalisé un hold-up mettant la dernière main à la destruction des institutions républicaines. Une Constitution en lambeaux, plus de séparation des pouvoirs, plus de mécanismes de contrôle démocratique, corps intermédiaires mis hors-jeu, multiplication des règles et des initiatives proprement liberticides : la France, si elle ne peut être qualifiée de dictature, ne peut plus être considérée aujourd’hui comme une démocratie. En dehors des serviteurs du pouvoir c’est un diagnostic qui est largement partagé chez nous, comme à l’étranger. Le caractère chaotique du mandat d’Emmanuel Macron, y compris dans la gestion erratique de la crise sanitaire, est le produit de cet acte fondateur avec l’installation à l’Élysée d’un président illégitime.

Comprenons-nous bien, une certaine légalité formelle a été respectée, mais force est de constater qu’en dehors des béni-oui-oui et des profiteurs du bloc élitaire, personne ne peut considérer qu’Emmanuel Macron est à sa place. Et c’est cela qui est d’ailleurs assez étrange, l’essentiel des acteurs continue depuis cinq ans, et malgré les évidences à faire comme si. Comme si la France avait un président respectable, comme si le Parlement pourtant pitoyable chambre d’enregistrement fonctionnait normalement, comme si notre pays avait un premier ministre présentable. Comme si les corps de contrôle Conseil Constitutionnel et Conseil d’État remplissaient leurs missions, comme si les syndicats groupusculaires et inaudibles servaient encore à quelque chose. Comme si les collectivités locales et territoriales, structures pourtant essentielles fonctionnaient normalement, après des élections sabotées et des élus représentant 10 % des électeurs. Comme si ce que l’on appelle la classe politique avait une consistance digne d’une république de démocratie représentative. Alors, cynisme tranquille ou peur du vide et de ses conséquences, on fait semblant.

La campagne présidentielle est de ce point de vue un révélateur, en ce qu’elle s’est transformée en un véritable théâtre d’ombres. Arrêtons-nous à deux exemples tellement significatifs.

« Un tissu de coups de poignards… »

Éric Zemmour tout d’abord. Bien sûr, le système médiatique décline d’abord la propagande voulue par les oligarques propriétaires des supports (ça vaut aussi pour le service public transformé en Pravda de l’Élysée). Mais ce système auquel participent aujourd’hui les réseaux, a aussi besoin, à la fois pour faire diversion, mais également pour alimenter son audimat, d’un « récit », d’un « story telling », que tout le monde peut reprendre et qu’il va rabâcher jusqu’à plus soif.

C’est ainsi que nous avons eu l’automne dernier la grossesse nerveuse, électorale, médiatique autour d’Éric Zemmour. Ce qui n’a pas peu contribué à sa surprenante progression dans les sondages. Certes, CNews l’a soutenu ouvertement, mais les autres ont suivi et on l’a vu partout. Transmutation soudaine d’un vieux routier du journalisme polémique en homme providentiel à la stature gaullienne, d’homme d’État susceptible de « sauver la France » ! Une bourgeoisie ivre de la transgression qu’elle s’autorise en soutenant l’infréquentable, se procure quelques sensations, avant probablement de réintégrer le domicile électoral familial. Souvenons-nous de Philippe de Villiers, soutien ardent de Zemmour aujourd’hui, triomphant aux européennes de 1994 avec ses 12,5% pour se retrouver avec 4 % à la présidentielle de l’année suivante…

Dans le fond, à quoi sert Éric Zemmour, dont les chances d’arriver à l’Élysée sont infinitésimales ? On dirait bien, que comme le canard de Robert Lamoureux, ou le matou de Steve Waring, Marine Le Pen est toujours vivante. Il est donc nécessaire de s’occuper d’elle. Elle présente d’abord aux yeux de cette bourgeoisie le principal défaut d’être soutenue par les couches populaires, ce qui l’amène à mettre le social en bonne place dans son programme. Et c’est là qu’on constate que curieusement Éric Zemmour, au lieu de se battre prioritairement contre Valérie Pécresse où il disposerait peut-être de réserves, préfère s’acharner contre Marine Le Pen. Et les médias d’embrayer et de se jeter sur le nouveau story telling : la mise en scène des coups de couteau dans le dos que recevrait Marine Le Pen. Et qui devrait l’expulser du deuxième tour.

Pas sûr que cela fonctionne. D’abord, la marionnette d’un Chirac en 1995, rendu sympathique par la trahison dont il était victime, est encore dans beaucoup de mémoires. On connaît le résultat.

Ensuite, parce que pour des raisons morales, la trahison ne paye jamais. Elle conduit à la corde, au poteau, ou aux poubelles de l’Histoire, Judas ou Balladur pourraient nous en parler. Et c’est une règle politique, on n’a jamais raison contre le Parti. Xavier Bertrand a probablement payé sa trahison des LR en 2018, et la même chose va peut-être finalement coûter cher à Valérie Pécresse.

En attendant, on conseillera à Marine Le Pen de relire la plaidoirie de Me Bafouillet, l’avocat du sapeur Camember qui rappelait que : « la vie, hélas ! n’est qu’un tissu de coups de poignards qu’il faut savoir boire goutte-à-goutte ».

Taubira : la statue en toc

Christiane Taubira ensuite. Il nous faut supporter le ridicule feuilleton éploré de la déshérence de la « gauche ». Et, là aussi, il est assez impressionnant de constater que les débats et les commentaires continuent à faire comme si. Comme si c’était une surprise que la gauche soit effondrée et divisée, comme si c’était le contraire de ce qui devait arriver. Mais enfin, cette gauche a été au pouvoir pendant plus de 30 ans, depuis 1981, sachant qu’Emmanuel Macron était le véritable candidat du Parti socialiste en 2017. C’est elle qui a installé le néolibéralisme en France dans tous ses aspects. Destruction de l’État-providence, désindustrialisation de notre pays, affaiblissement drastique des grands services publics, abandon des couches populaires, elle a absolument tout trahi. Parfois avec entrain comme pendant le quinquennat cuisant et humiliant de l’ectoplasme politique François Hollande. Et les traîtres voudraient qu’on les acclame ?

Alors certes, on peut reprocher au peuple de s’être laissé faire, en oubliant la répression brutale dont les Gilets jaunes ont été l’objet.
Mais il ne faut quand même pas trop lui en demander et aujourd’hui il vomit cette gauche et on aurait du mal à le lui reprocher. Surtout que le spectacle qu’elle donne et dont le système médiatique s’empare avec gourmandise est particulièrement calamiteux. Il y a d’abord bien sûr les candidats, comme Jadot ou Hidalgo qui se prétendent de gauche alors qu’ils incarnent la quintessence du néolibéralisme atlantiste et eurobéat soumis à l’Allemagne. Concernant Hidalgo, comment ce qui reste du Parti socialiste a-t-il pu choisir une telle nullité politique, dont chaque apparition plonge dans la gêne ? Comment des militants peut-être sincères peuvent ainsi continuer à foncer vers le mur sans frein et sans airbag ? En faisant comme si

L’épisode de la soi-disant « Primaire Populaire » est aussi une étonnante illustration de cette volonté partagée de rester dans le théâtre d’ombres. Christiane Taubira était décidée à poursuivre le seul objectif qui l’occupe depuis son retour en 2012 : sculpter sa statue « d’icône de gauche ». Modèle de femme politique armée d’abord son cynisme et de son absence de principe, dépourvue de la moindre parcelle d’honnêteté, elle a fait monter une opération sur laquelle personne ne pouvait se tromper.

De bout en bout illégale, recélant probablement quelques infractions pénales, – soutenue par Plenel, c’est dire – cette primaire populaire mal nommée a donné le « résultat » prévu, et servi de pas de tir au lancement de la candidature Taubira. Et comme d’habitude, alors que l’évidence de la manipulation sautait aux yeux, au lieu de se détourner de cette escroquerie, le système continue à faire semblant, à faire comme si. Et à propulser « l’icône » sur les plateaux pour nous infliger à nouveau sa pénible et grotesque grandiloquence. Les objectifs, et bien sûr nul ne le relève, apparaissent pourtant clair : porter préjudice à Jean-Luc Mélenchon.

C’est vrai qu’avec lui il faut se méfier. En 2017, donné à 11 % à quelques semaines du scrutin, il avait fini à près de 20, ratant finalement d’assez peu le deuxième tour. Il est très peu probable qu’il réitère son exploit cette fois-ci. En politique comme à la guerre, la tactique se déduit étroitement de la stratégie. Il semble que Jean-Luc Mélenchon néglige celle-ci, et ne s’intéresse qu’à la tactique. D’où cette impression depuis 2018 d’une navigation à la godille et le sentiment d’une ligne consistant à juxtaposer des propositions, quitte à ce qu’elles soient parfois  contradictoires. Juxtaposition qui le prive d’abord d’une cohérence qui serait bien utile, le rend ensuite vulnérable en l’obligeant à tenir plusieurs fronts en même temps, et recèle enfin quelques solides absurdités. Lui aussi essaie de rejouer la pièce de 2017. Taubira ou pas, on peut craindre que cette fois-ci le public ne soit pas au rendez-vous.

La distribution du dernier acte de la pièce « présidentielle 2022 » sera connue le 7 mars avec la déclaration des recevabilités de candidatures par le Conseil constitutionnel. Malheureusement, le système des parrainages, complètement vicié par la réforme Hollande de la publicité, risque de priver des courants, pourtant importants aux yeux des électeurs français, de leurs candidats naturels. Aussi médiocres soient-ils.

Sera-t-il pourtant possible d’échapper au théâtre d’ombres, et éviter, après 2017 une nouvelle confiscation de l’élection majeure ?

Source : Vu du Droit
https://www.vududroit.com/…

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