Un véhicule Himars en déploiement dans l’est de l’Ukraine (photo de fichier)

Par MK Bhadrakumar

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En lisant et en relisant la déclaration du président américain Joe Biden lundi dernier à l’occasion de la fête de l’indépendance de l’Ukraine, on se souvient de la phrase immortelle du poète anglais John Keats, « Les mélodies entendues sont douces, mais celles qui ne sont pas entendues sont encore plus douces ». Trois choses sont frappantes.

Biden a invoqué à plusieurs reprises la nature durable des relations des États-Unis avec le peuple ukrainien. Mais dans toute la déclaration, il n’a jamais mentionné le gouvernement ukrainien ou la direction du président Volodymyr Zelensky. Une omission par inadvertance ?

Deuxièmement, Biden a minimisé, au point de l’ignorer, l’intense partenariat américano-ukrainien au niveau d’État à État. Troisièmement, le plus important, Biden est resté silencieux sur la guerre en tant que telle, qui se trouve actuellement à un stade décisif.

Lorsqu’il a parlé de la dernière tranche d’armements pour l’Ukraine d’une valeur de 2,98 milliards de dollars, Biden a exprimé l’espoir que les systèmes d’armes puissent garantir que l’Ukraine « puisse continuer à se défendre sur le long terme ». (Soulignement ajouté.)

Cela mérite attention. Les analystes américains estiment que le paquet d’armes de 2,98 milliards de dollars est radicalement différent dans son mécanisme de dispense. Ainsi, alors que l’aide militaire était jusqu’ici puisée dans les stocks préexistants d’armes et d’équipements US, cette fois-ci, l’aide sera achetée ou commandée auprès d’entrepreneurs de la défense.

John Kirby, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, a admis aux journalistes qu’une partie de l’aide du dernier paquet pourrait être distribuée plus lentement que d’autres parties du paquet en fonction des stocks actuels des sous-traitants de la défense. Il a dit vaguement : « Cela dépendra, très franchement, de l’élément dont nous parlons. Certaines choses auront probablement encore besoin de temps de production pour se développer. »

Le complexe militaro-industriel pourrait effectivement avoir d’avantage à fêter l’annonce de Biden que Zelensky. L’administration Biden s’éloigne du danger d’épuisement des stocks actuels des États-Unis, comme le font également les alliés européens.

Selon Mark Cancian, Conseiller principal au Center for Strategic &  International Studies, le dernier paquet de 2,98 milliards de dollars de Biden « soutiendra l’armée ukrainienne sur le long terme mais prendra des mois, voire des années, pour être pleinement mis en œuvre… Ainsi, ce (paquet) soutiendra l’’armée ukrainienne sur le long terme, probablement pour l’après-guerre, plutôt que d’augmenter ses capacités à court ou moyen terme… »

 « Cela signifie que la capacité des États-Unis à fournir rapidement des équipements pourrait diminuer… L’administration devra peut-être bientôt demander plus d’argent au Congrès. Bien que le consensus bipartisan pour soutenir l’Ukraine reste fort, il pourrait y avoir un conflit avec la gauche progressiste et la droite isolationniste sur la sagesse d’envoyer de l’argent à l’étranger lorsqu’il y a des besoins pressants dans le pays. »

C’est presque la même situation difficile à laquelle sont confrontés les alliés européens des États-Unis. Comme l’a rapporté la semaine dernière le prestigieux groupe de réflexion allemand Kiel Institute for the World Economy : « Le flux de nouveaux soutiens internationaux pour l’Ukraine s’est tari en juillet. Aucun grand pays de l’UE comme l’Allemagne, la France ou l’Italie n’a pris de nouveaux engagements significatifs. »

Le groupe dit que la Commission européenne fait pression pour des programmes d’aide plus importants et plus réguliers à l’Ukraine, mais l’enthousiasme fait défaut au niveau des pays membres – « Les principaux pays de l’UE tels que la France, l’Espagne ou l’Italie ont jusqu’à présent fourni très peu de soutien ou restent très opaque sur leur aide. »

Jeudi, le chancelier allemand Olaf Schulz a fait une remarque importante lors d’un événement public à Magdebourg selon laquelle Berlin ne fournirait pas à Kiev des armes qui pourraient être utilisées pour attaquer la Russie. Scholz a expliqué que l’objectif de Berlin en envoyant des armes est de « soutenir l’Ukraine » et « d’empêcher une escalade de la guerre vers quelque chose qui serait très différent« . Il a déclaré qu’il faisait écho à la pensée de Biden.

En effet, au cours des deux derniers mois, Washington a signalé à plusieurs reprises qu’il ne recherchait pas la victoire, mais une solution finale au problème ukrainien par le biais de négociations pacifiques. Comme en Allemagne, il y a aussi une énorme pression anti-guerre aux États-Unis, en particulier au sein du Parti démocrate et de l’élite universitaire, ainsi que des hauts fonctionnaires et des chefs d’entreprise à la retraite, appelant l’administration à cesser d’aggraver la situation autour de l’Ukraine.

Il est tout à fait concevable que la déclaration de Biden lundi ait pris en compte le fait que la guerre en Ukraine pourrait prendre une tournure fondamentalement différente du fait des pressions politiques qui s’accumulent aux États-Unis en raison des élections de mi-mandat et d’un changement dans la dynamique du pouvoir.

Déjà, la diminution de l’impact des sanctions européennes et étatsunienne contre la Russie parle d’elle-même. The Economist, qui est un critique virulent du Kremlin, a admis cette semaine que le coup de grâce attendu des sanctions anti-russes « ne s’est pas matérialisé« .

Le magazine écrit : « Les ventes d’énergie généreront un excédent du compte courant de 265 milliards de dollars cette année [pour la Russie], le deuxième au monde après la Chine. Après une crise, le système financier russe s’est stabilisé et le pays trouve de nouveaux fournisseurs pour certaines importations, dont la Chine ».

The Economist note sombrement : « Le moment unipolaire des années 1990, lorsque la suprématie de l’Amérique était incontestée, est parti depuis longtemps, et l’appétit de l’Occident à utiliser la force militaire a diminué depuis les guerres en Irak et en Afghanistan. »

De manière intéressante, le magazine allemand Der Spiegel rapporte que Scholz est également confronté à la dissidence au sein de son propre parti de la part de ceux qui veulent que Berlin arrête de fournir des armes à Kiev et souhaitent plutôt que le chancelier engage un dialogue avec la Russie.

Sur le plan international, le soutien à l’Ukraine a bien sûr chuté de façon spectaculaire. La proposition de Kiev mercredi de condamner la Russie n’a attiré le soutien que de 58 des 193 États membres de l’ONU, alors que, lors de la session de l’AG du 2 mars, 141 pays membres avaient voté pour une résolution non contraignante condamnant Moscou.

De même, le revêtement en téflon de Zelensky se décolle. Sa toxicomanie est connue. Le régime est fragile, comme le montre la vague de purges dans l’establishment sécuritaire ukrainien. Selon le président turc Recep Erdogan qui a récemment rencontré Zelensky à Lvov, ce dernier semblait peu sûr de lui et ne savait pas s’il était tenu informé de la situation sur le terrain.

Le comportement erratique de Zelensky n’est pas particulièrement attirant. Le pape François est le dernier personnage à être réprimandé par Kiev – parce que le pontife a fait remarquer que Darya Dugina était « innocente ». L’ambassadeur du Vatican a été convoqué au ministère des Affaires étrangères pour recevoir la protestation de Kiev.

Le quotidien allemand Handelsblatt écrit aujourd’hui que la « cohésion interne [du gouvernement ukrainien] est en danger. Il y a de graves accusations contre le président… Chez lui, le président ukrainien, célébré à l’étranger comme un héros de guerre, est sous pression… L’humoriste est devenu un chef de guerre… L’homme de 44 ans a jusqu’à présent su agir à sa guise avec son équipe composée en partie de collègues de sa société de production télévisuelle. Mais la période de grâce semble désormais expirée. » Le quotidien prévoit un bouleversement politique d’ici l’hiver.

Biden a soigneusement pris ses distances avec le régime de Kiev et a mis le focus sur les relations de peuple à peuple. Même si les Américains connaissent les couloirs byzantins du pouvoir à Kiev, ils ne peuvent pas être aussi explicites que l’ancien président russe Dmitri Medvedev, qui a prédit la semaine dernière que l’armée ukrainienne pourrait organiser un coup d’État et entamer des pourparlers de paix avec la Russie.

Source et traduction : Groupe « Alerte Otan »

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