Par Ziad Medoukh

L’année 2020 pour les Palestiniens de Gaza. 
Une crise sanitaire, une crise économique, une crise humanitaire 
Et une population qui souffre mais qui patiente ! 

Une nouvelle année qui s’écoule, et une autre qui commence. Mais pour toute la population civile dans la bande de Gaza-une région enfermée et isolée, une enclave côtière laissée à son sort depuis plus de quatorze ans-  rien ne change, et cela depuis des années, voire des dizaines d’années. 

Au contraire, la situation est devenue plus difficile pour plus de deux millions de palestiniens de Gaza, notamment avec la crise sanitaire qui ,depuis le début de cette année a causé la mort de centaines de personnes . Des milliers de personnes ont été infectées par le virus mortel, Les conséquences économiques et sociales sont très graves sur toute une population en souffrance permanente. .   

La poursuite de cette crise de Covid-19 en 2021 sans solution radicale, va sans aucun doute accroître les difficultés pour ces Palestiniens qui souffrent déjà d’un blocus israélien inhumain et de la poursuite des agressions israéliennes contre les civils de Gaza. 

Même si la bande de Gaza a continué à vivre et à exister , contrairement aux rapports internationaux qui prédisaient que Gaza serait une région « invivable  » en 2020, la population civile a vécu une année très particulière et absolument catastrophique.  

Oui, l’année 2020 a été une année terrible et chaotique à tous les niveaux surtout sur le plan humanitaire et sanitaire pour ces habitants qui essayent au début de chaque nouvelle année d’oublier ce qu’ils ont vécu l’ année précédente, et de former le vœu d’ un changement de leur situation épouvantable dans leur prison à ciel ouvert. 

A part un petit espoir qui raccroche cette population à la vie et à l’avenir, rien ne semble avoir changé durant toute l’année 2020 pour plus de deux millions de citoyens. Au contraire, durant cette dernière année, tout est allé de mal en mal. Et je dis ici un « petit espoir » parce que le mot espoir est devenu un luxe à Gaza. 

Oui, c’est inimaginable que l’on puisse acculer un peuple, tout un peuple, à un tel désespoir.

Nous avons assisté en 2020 à une détérioration des conditions économiques, sociales et sanitaires dans cette région isolée.   

L’année 2020 a connu la poursuite des événements tragiques pour les habitants de cette région, enfermés et laissés à leur sort, une région abandonnée par une communauté internationale officielle dont le silence assourdissant et la passivité  les a rendus complice. Mais surtout, elle n’a connu aucun changement sur le terrain. 

La crise sanitaire a ajouté une lourde charge pour les habitants avec des conséquences économiques et sociales désastreuses dans cette région très densément peuplée au système sanitaire en faillite et le manque de moyens médicaux, notamment avec les longues périodes de couvre-feu imposées, et la fermeture totale de toutes les régions, villes, quartiers, marchés publics, et lieux publics durant plusieurs mois en cette année écoulée. Malgré une réouverture partielle et très limitée pour quelques semaines ces derniers mois, cet état d’urgence a accru les souffrances de la majorité des habitants de cette enclave isolée et a augmenté leurs charges financières. 

Oui, le blocus et la crise sanitaire ont aggravé une situation économique déjà fragile. 

Tous les secteurs économiques et commerciaux de l’enclave palestinienne ont connu un déclin important en 2020 : leur capacité de production a diminué de 70 % selon la Chambre de commerce et d’industrie de Gaza, en raison de la faiblesse du pouvoir d’achat des habitants, qui se limitent aux dépenses de première nécessité. 

La population de Gaza est déjà éprouvée par plusieurs offensives israéliennes et le blocus imposé depuis plus de14 ans, un blocus renforcé jour après jour par les forces d’occupation israéliennes. 

Ce blocus mortel a coûté presque 1.5 milliards de dollars à l’économie de l’enclave palestinienne cette année, qui a vu son PIB par personne baisser de 19% et le chômage grimper de 63%, selon un rapport de l’ONU publié mi-décembre 2020. 

Le bureau des Nations-Unies pour le commerce et le développement ( CNUCED), a aussi souligné que Gaza a enregistré une croissance de moins de 2% cette année. Le taux de pauvreté a dépassé les 73%. Le taux de chômage est le plus élevé au monde, aux alentours de 59%. Le chômage chez les jeunes de moins de 30 ans atteint 77%. De ce fait, le nombre de familles menacées d’insécurité alimentaire atteint 75 %. 

Plus de 80% de la population de Gaza dépend désormais de l’aide internationale, c’est-à-dire 4 personnes sur 5- plus de 1.500.000 personnes ont bénéficié du programme de l’aide alimentaire en 2020- 

Selon ce rapport, tous les secteurs économiques et commerciaux ont été affectés. Les investissements ont pratiquement disparu et ne représentent que 1.6 du PIB. Ce qui augmente le chômage et la pauvreté dans la bande de Gaza. 

« Gaza a connu l’une des pires performances économiques au monde », affirme la CNUCED qui estime qu’il est urgent de mettre fin au blocus afin que ses habitants puissent commencer librement avec le reste des territoires palestiniens occupés et le monde. 

Le bureau des Nations Unis a mis en garde contre les répercussions de cette situation alarmante sur la survie de l’économie du territoire assiégé ainsi que sur la cohésion sociale. Il a appelé la communauté internationale à fournir une aide urgente et une assistance technique . 

La première conséquence de cette dégradation,  c’est la perte de plusieurs milliers d’emplois dans différents secteurs, en particulier les travailleurs journaliers. 

L’Union générale des travailleurs palestiniens a indiqué que plus de 100.000 travailleurs , employés et ouvriers de Gaza ont perdu leur emploi, totalement ou partiellement en 2020 à cause de la crise économique et la fermeture. 

Selon le syndicat du travail dans la bande de Gaza, 320 usines et petites entreprises ont fermé leurs portes à cause de cette crise économiques et sanitaire. 

90 % des travailleurs sont dépendants du revenu quotidien, et leur contribution au PIB a diminué de 40%,  

Beaucoup de commerçant ont été obligé de fermer leurs magasins en raison de leur incapacité à payer les loyers . 

De simples vendeurs de rue ont perdu leurs moyens de subsistance, eux qui vendaient leurs produits à bas prix dans les marchés populaires et les marchés hebdomadaires , et qui avaient déjà une faible marge de bénéfices. 

Le problème ne réside ici pas seulement dans l’ampleur des pertes  économiques énormes, mais aussi dans la durée qui sera nécessaire pour relancer l’économie après cette année catastrophique. 

L’année 2020 a été marquée surtout par la poursuite des agressions, incursions, bombardements et attaques de l’armée israélienne contre la bande de Gaza. Les derniers bombardements datent de la fin de 2020. Selon le Comité populaire contre le blocus de Gaza, on compte plus de trois cents violations israéliennes en 2020 : 270 bombardements et raids, 75 incursions dans différentes zones frontalières au sud, au centre et au nord de la bande de Gaza:7 palestiniens ont trouvé la mort, et 65 ont été blessés à Gaza suite à ces attaques et bombardements.  

En plus de ces agressions, cette année a connu l’arrestation de 52 palestiniens sur les frontières par les soldats israéliens, dont 13 enfants moins de 16 ans, 24 d’entre eux sont toujours détenus dans des prisons israéliennes, sans le moindre jugement. 

Les restrictions sur les zones de pêche réduites à 6 milles marins voire moins durant l’année 2020, ont empêché les pêcheurs de gagner leur vie. Cette année a connu l’augmentation des attaques de la part de la marine israélienne contre les pêcheurs de Gaza, selon le syndicat des pêcheurs de Gaza, 160 attaques ont été enregistrées contre les pêcheurs et leurs bateaux de pêche:32 pêcheurs blessés, 24 arrêtés, 18 bateaux de pêche détruits et 32 confisqués . 

Les autorités israéliennes ont poursuivi leurs mesures pour détruire le secteur agricole dans la bande de Gaza.  En plus des incursions militaires et des attaques contre les paysans, elles ont inondé des terres agricoles en ouvrant les vannes de barrages qui retenaient l’eau pluviale afin de rendre ces terres incultivables, et ont causé d’énormes pertes aux agriculteurs de Gaza. 

Le blocus israélien inhumain et mortel est imposé de façon illégale par les forces de l’occupation depuis plus de quatorze ans, et la quasi -totalité des passages qui relient la bande de Gaza à l’extérieur est fermé. 

Concernant les passages commerciaux : actuellement, 240 à 270 camions entrent chaque jour à Gaza via le seul passage commercial situé au sud de la bande de Gaza, ouvert cinq jours par semaine, mais la moitié de ces camions sont pour les organisations internationales et leurs projets de reconstruction d’écoles et de stations d’eau. 

Mais ce passage se ferme à n’importe quel moment et sous n’importe quel prétexte, par décision israélienne unilatérale, sans prendre en considération les besoins énormes d’une population civile en augmentation permanente, et les besoins médicaux face à la crise de Covid-19. 

Gaza n’a droit qu’à 130 produits au lieu de 950 avant le blocus. Quelques produits et médicaments n’entrent pas, ce qui a aggravé la situation déjà difficile. Selon les estimations des organisations internationales, l’entrée de 1200 camions par jour dans la bande de Gaza serait nécessaire pour répondre aux besoins énormes de cette population. Sans oublier la liste de 110 produits toujours interdits d’entrer par ordre militaire israélien sous prétexte qu’ils ont un possible double usage. 

Cette fermeture a empêché la libre circulation des importations et des exportations des biens et produits de Gaza, en particulier les matières premières, les fruits et légumes, et les produits semi-finis. 

L’armée d’occupation refuse toujours l’ouverture de cinq passages qui relient la bande de Gaza à l’extérieur et maintient son blocus sur Gaza. 

Concernant les passages pour la circulation des personnes, les deux passages qui relient la bande de Gaza à l’extérieur sont le passage de Rafah au sud de la bande de Gaza sur les frontières avec l’Egypte, et le passage d’Eretz au nord vers la Cisjordanie contrôlé par l’armée israélienne. Ils ont connu une faible ouverture partielle par les deux autorités durant l’année 2020 sous prétexte de la crise sanitaire et une contamination rapide . Tout cela a rendu le déplacement des palestiniens de Gaza très difficile. Le passage de Rafah, en dépit d’ une petite amélioration, a ouvert ses portes une fois tous les deux ou trois mois et seulement 5 heures par jour en 2020, tandis que le passage d’Eretz n’est autorisé qu’à 5 % de la population, surtout les malades, les diplomates et les hommes d’affaires et quelques cas humanitaires. 

Toujours dans le cadre de la stratégie de punitions collectives, l’armée israélienne a poursuivi sa politique visant à empêcher les malades d’aller se soigner dans les hôpitaux de la Cisjordanie. Selon le Centre palestinien pour les droits de l’homme de Gaza, en 2020 l’occupation israélienne a empêché 3000 patients de quitter la bande de Gaza pour se faire soigner et recevoir un traitement en dehors de l’enclave assiégée, notamment pour les maladies chroniques et graves. Et les rares patients qui ont été autorisé à quitter Gaza pour des raisons médicales, ont été soumis à un interrogatoire sur le passage d’Eretz par l’armée israélienne. Une pratique dénoncée par Physiciens for Humain Rights. 

Une autre difficulté concernant les baisses du financement accordé à l’UNRWA, l’agence des Nations-Unies chargée des réfugiés palestiniens par plusieurs pays, en particulier les Etats-Unis. De ce fai ,cet organisme ne parvient pas à payer ni ses fonctionnaires, ni continuer à s’occuper de 65% de la population de Gaza.  

Face à cette situation très difficile, l’aide internationale même limitée a participé à empêcher un effondrement total dans cette région densément peuplée, néanmoins elle a créé une dépendance humanitaire au lieu d’encourager le développement local. 

Suite à cette situation catastrophique dans la bande de Gaza, nous sommes passés d’une économie familiale non-violente à une économie dépendante de l’occupant et des organisations internationales. 

Un autre problème grave qui est resté sans solution c’est la pénurie de l’électricité partout dans la bande de Gaza, durant toute l’année 2020 , chaque foyer à Gaza avait droit à 4 à 6 heures de courant électrique par jour, et rarement 8 heures, et quelques fois, les foyers sont restés deux ou trois jours sans électricité, en particulier durant les bombardements israéliens intensifs et la fermeture totale des passages où les forces d’occupation israélienne réduisaient la fourniture d’électricité à cette région sous blocus, afin de faire pression sur la population civile résistante. 

Cette décision arbitraire aggrave la crise humanitaire dans une région en souffrance permanente, et met en danger les infrastructures sanitaires et en particulier les hôpitaux. 

Cette pénurie d’électricité a des conséquences sur tous les secteurs vitaux dans cette région. Beaucoup d’usines ont été fermées. 

Outre ces coupures, à Gaza, c’est la pénurie d’eau. En effet, tous les puits municipaux qui approvisionnent les habitants fonctionnent à partir du courant électrique. 

Concernant l’eau : en 2020, à peine 7% des puits d’eau potable de Gaza sont propres à la consommation humaine. Les bombardements israéliens réguliers ont encore touché les infrastructures comme les aqueducs et les systèmes d’égout. De plus un aquifère de qualité médiocre qui fait que 90% des puits d’eau potable à Gaza sont en dessous des normes minimales de santé pour la consommation humaine. 

 L’eau à Gaza est devenue rare et contaminée. Et avoir une eau potable saine et propre est devenue quasiment impossible pour les habitants. 

Les dommages causés aux canalisations d’eau et d’assainissement ont été immenses. En décembre 2020, plus de la moitié des palestiniens de Gaza n’avait plus aucun accès à l’eau selon le rapport de l’Autorité de l’eau de Gaza. 

Cette catastrophe de l’eau et du traitement des eaux usées ont causé une forte augmentation de maladies d’origine hydrique et alimentaire. 

Sur le plan politique au niveau interne et externe, l’année 2020, a connu plusieurs évènements dramatiques pour les Palestiniens comme la poursuite de la politique américaine de Trump négligeant les revendications du peuple palestinien  , le plan israélien d’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie et de la vallée du Jourdan,  mais surtout de la normalisation officielle de quatre pays arabes avec l’occupation israélienne sans aucune concertation avec l’Autorité palestinienne. Ces évènements ont aggravé la situation déjà critique, et ont éloigné une solution du conflit, et ont participé à isoler les Palestiniens. 

Côté palestinien, et malgré quelques rencontres entre les différents partis politiques palestiniens au Qatar, au Liban, en Turquie et en Egypte pour accélérer les efforts de réconciliation et mettre fin à la division inter-palestinienne, notamment entre les deux partis rivaux le Fatah et le Hamas, ces efforts n’ont pas abouti. 

L’absence d’ unité nationale et l’échec des efforts de réconciliation inter palestinienne, avec la non- tenue des élections législatives et présidentielles dans les territoires palestiniens ont aggravé l’amertume des habitants de la bande de Gaza, qui attendent depuis des années cette réconciliation nationale afin d’améliorer leurs conditions de vie et mettre fin à leur souffrance. 

L’élection du président américain Je Biden, saluée par l’autorité palestinienne, a apporté un peu d’espoir, même si la population civile ne compte pas sur un grand changement dans la politique américaine en soutien total à l’occupation israélienne, mais pour les Palestiniens ce nouveau président restera dans ses déclarations mieux que la règne de Trump marquée par sa politique agressive à l’encontre du peuple palestinien et sa direction. 

L’aspect le plus grave de toute cette situation difficile des habitants de la bande de Gaza et qui marque l’esprit de la majorité des habitants est l’absence de perspectives pour ces gens qui ne voient aucun changement, qui constatent que les choses n’avancent pas, ne bougent pas, à tous les niveaux : réconciliation, fin de division, amélioration de leur condition de vie, ouverture des passages, levée du blocus, processus de paix, fin d’occupation. Ce sont des sentiments horribles qui vont influencer l’avenir de cette génération, surtout celle des jeunes, qui commencent à perdre tout espoir en un avenir immédiat meilleur. 

Finalement, une fois encore la bande de Gaza a vécu une année dramatique et une situation humanitaire catastrophique alourdie avec la crise sanitaire, et ses conséquences dramatiques sur les deux millions de Palestiniens qui y vivent et sont de nouveau laissés à leur sort par l’occupation et par une communauté internationale officielle silencieuse, passive et complice. 

La situation stagne, rien ne bouge et les citoyens, sur place, attendent et attendent. Ils attendent une ouverture, ils attendent la levée de ce blocus inhumain, ils attendent une vraie réaction internationale afin de mettre fin à l’impunité de cette occupation illégale. Ils n’ont pas d’autre choix que d’attendre. Ils attendent avec un courage et une volonté remarquables.  

C’est vrai que ces Palestiniennes de Gaza à la vitalité pleine de ressources impressionnent le monde par leur capacité extraordinaire à s’adapter avec cette nouvelle crise économique, sanitaire et sociale dévastatrice, et à supporter l’insupportable,  au travers une solidarité familiale et sociale remarquable et des liens sociaux forts ,avec quelques aides internationales limitées. 

La population civile se bat quotidiennement pour survivre dignement sur sa terre en résistant et existant. 

Oui, les Palestiniens de Gaza essaient simplement de mener une vie aussi normale que possible dans des conditions extrêmement anormales. 

 Mais la question qui se pose à la fin de chaque année : jusqu’à quand cette souffrance pour cette population civile enfermée, double confinée et abandonnée ? 

Comme chaque année, espérons pour 2021.

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