Des Palestiniens dans un camp de réfugiés à Rafah, mardi. 
Photo : Mohammed Salem / Reuters

Par Gideon Levy

Gideon Levy, Haaretz, 13/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Nous n’avons jamais connu une guerre comme celle-ci, une guerre de consensus total, une guerre de silence total, une guerre de soutien aveugle; une guerre sans objection, sans protestation, sans refus de servir, sans opposition, ni au début ni au milieu. Une guerre unanimiste, avec une approbation mur à mur – à l’exclusion des citoyens arabes de l’État, à qui il a été interdit de s’opposer – et sans points d’interrogation ni même le moindre doute.

Une guerre qui a déjà tué près de 20 000 personnes, dont une grande majorité de civils innocents, et qui a détruit la quasi-totalité des maisons et des vies des habitants de la bande de Gaza, est-elle la guerre la plus juste de l’histoire d’Israël ? Une guerre qui cause tant d’horribles souffrances à plus de deux millions de personnes est-elle la plus morale des guerres d’Israël ? Et si ce n’est pas le cas, comment se fait-il qu’aucune voix ne s’élève pour réclamer l’arrêt du bain de sang ? Même l’effusion croissante de sang parmi les Israéliens n’a pas encore soulevé les questions “jusqu’à quand ?” et “combien d’autres ?”.

La plupart des guerres d’Israël ont été des guerres de choix. Presque tout le monde les a soutenues au début, mais peu après, lorsque le prix terrible et la futilité sont devenus évidents, la résistance a commencé. À la fin de ces guerres, beaucoup étaient contre. Rétrospectivement, d’innombrables Israéliens étaient contre elles.

Ce fut le cas lors des deux folles guerres du Liban et de toutes les attaques contre la bande de Gaza et la Cisjordanie. Chacune a été plus courte que la guerre actuelle, dont personne ne peut prévoir la fin. Et cette fois-ci, tout le monde est pour et personne ne pose de questions.

Le lavage de cerveau opéré par les médias est un véritable feu d’artifice qui jaillit jour et nuit des studios de télévision, et même ceux qui commencent à douter n’osent pas le faire publiquement. Tous unis, nous vaincrons.

Tel est le résultat d’une guerre qui a éclaté à la suite d’un attentat barbare et atroce, mais qui, depuis qu’elle a éclaté, ne connaît plus de limites. Elle n’a pas de limites et personne ne la conteste ni ne s’y oppose. Aux yeux des Juifs israéliens, la justesse de son déclenchement justifie tout ce qui s’ensuit. Aujourd’hui, après deux mois terribles, des doutes commencent peut-être à naître.

Il n’y a personne dans la société arabe israélienne qui ne soit pas choqué par les images de la bande de Gaza. Ces gens sont leurs frères, leurs parents, et contrairement aux Juifs israéliens, ils sont également exposés à la réalité de Gaza qui est cachée aux Juifs par les médias sans valeur et propagandistes. Mais les Arabes israéliens ne peuvent pas protester.

Le gouvernement menace cette communauté plus que n’importe lequel de ses prédécesseurs, en bâillonnant brutalement sa voix et en emprisonnant certains de ses membres. Les Arabes israéliens vivent aujourd’hui dans la peur, du gouvernement et de la populace juive, une peur qu’ils n’ont pas connue depuis la Nakba de 1947-48.

Dans la société juive israélienne également, parallèlement au soutien massif apporté à la guerre et à tous ses crimes, certains commencent certainement à comprendre l’horreur causée par Israël, mais là aussi, les gens ont peur de s’exprimer, par crainte du gouvernement actuel et des masses. Résultat : une guerre sans opposition.

Dans la Russie de Poutine, il y a plus de manifestations de résistance à la guerre en Ukraine qu’il n’y en a dans l’Israël supposé démocratique à la guerre à Gaza. Ce n’est pas que la justice des deux guerres soit similaire – la guerre en Ukraine est infiniment plus contraire à l’éthique [ah bon, NdT] – mais les moyens et les résultats des deux guerres sont de plus en plus similaires. Des scènes horribles dans les deux cas, des souffrances indescriptibles pour des millions de civils innocents, et tout cela en vain.

Les souffrances de Gaza n’apporteront rien à Israël. L’hiver arrive, et ces souffrances vont doubler et tripler. Israël n’a jamais semé autant de destruction et tué autant d’enfants et d’adultes qu’au cours de cette guerre. Lorsque la conversation publique se concentre exclusivement sur l’élaboration des réalisations militaires, réelles et imaginaires, tout en se complaisant sans cesse dans la souffrance israélienne – et elle seule – ainsi que sur l’étouffement de toute manifestation d’opposition, le résultat est clair.

Pour les Israéliens, il est possible de poursuivre cette guerre éternellement, de tuer tous les habitants de la bande de Gaza et de la détruire entièrement, pour de bon. C’est la solution la plus morale, la plus juste.

Source : TLAXCALA
https://tlaxcala-int.blogspot.com/…

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