Par Michel Raimbaud

Cauda: Produite par la télévision syrienne, la série «Hares Al Qods», le gardien de Jérusalem, a été diffusée durant le mois du Ramadan 2020, en hommage au combat du prélat pour la Palestine, alors que les chaînes pétro monarchiques diffusées la série «Oum Haroun», plaidant en faveur de la normalisation israélo-arabe, déblayant la voie au «Pacte d’Abraham» entre Israël et deux pétro monarchies Abou Dhabi et Bahreïn.

Par Michel Raimbaud (1), Ambassadeur de France.

Entre la pandémie des sanctions, les incendies criminels ici et là (l’oasis de Palmyre est à nouveau en feu) et les menées tortueuses du mégalomane Mamamouchi, le Ramadan n’a amené aucun répit à la Syrie martyrisée.

Gavée de blocus et d’embargos, harcelée par des agresseurs pourtant sinistrés, elle attend de pied ferme les lois «Caesar» bêtes et méchantes de l’oncle Donald. L’intox et l’infox ayant fait très bon ménage avec le Coronavirus, il est toujours dans le vent d’ostraciser la Syrie et de lui prêter tous les péchés du monde, y compris celui d’intolérance.

Certes il serait vain d’attendre des «dévots» qu’à l’instar de Saint Paul il y a deux mille ans ils trouvent leur chemin de Damas, mais on pourrait rêver que le ciel éclaire leur lanterne en leur rappelant le lien indestructible entre le christianisme et son berceau syrien.

Ils comprendraient alors pourquoi le «cœur battant du monde arabe», haut lieu d’un Islam prestigieux et œcuménique, respecte tant une diversité religieuse qui fait partie de son patrimoine.

La vénérable Grande Mosquée des Omeyades n’héberge-t-elle pas le tombeau de Saint Jean le Baptiste tandis que son minaret de Jésus veille sur la «perle de l’Orient»? Non, les chrétiens –au nombre de 2,5 millions (10% de la population) au début du conflit- n’ont pas été persécutés par le gouvernement, n’en déplaise aux imposteurs.

Ceux-ci seraient-ils amnésiques ou aveugles au point d’absoudre les fanatiques travestis en démocrates qui à l’été 2011 promettaient le tombeau aux alaouites (le «tabout») et sommaient les chrétiens de partir «à Beyrouth».

Il semble donc juste de saluer les hardiesses d’un Etat mal traité mais résilient, où l’on sait avoir du courage et de la tenue. En témoigne la décision de produire et présenter à la télévision nationale une série dont le héros est un prêtre syrien natif d’Alep, devenu évêque de l’Eglise melkite de Jérusalem.

Il fallait en outre de la détermination et de la clairvoyance pour choisir un calendrier porteur d’une symbolique si lourde: il n’est pas anodin d’avoir choisi le Ramadan pour proposer un feuilleton tel que Hares al Qods (le Gardien de Jérusalem).

Mais le personnage vedette n’a rien de banal. Ordonné prêtre en 1947, Hilarion Cabbougi est nommé archevêque de Césarée en Palestine et Vicaire patriarcal melkite de Jérusalem en juillet 1965. Sa «consécration» épiscopale par le Patriarche d’Antioche intervient en septembre.

S’imposant vite comme une icône de la résistance palestinienne et une figure de proue de la cause arabe, il est arrêté en 1974, emprisonné et torturé par l’occupant israélien, il est libéré en 1977 après des tractations difficiles entre Tel-Aviv et la papauté qui lui imposent un exil à vie loin de la Palestine et de tout pays arabe.

Le prélat sera donc propulsé de poste en poste jusque dans la lointaine Amérique du Sud. Bien que son nom soit déjà célèbre, c’est grâce à l’impact de cette série à succès en trente épisodes qu’un certain grand public arabe ou arabophone verra désormais en Mgr Cabbougi, le Gardien d’un lieu saint pas comme les autres.

Arabe depuis des siècles Al-Qods est en effet pour les croyants des trois religions abrahamiques l’objet d’une vénération commune qui résulte de leur parenté.

Elle est au cœur de la «Terre Sainte», région centrée sur la Palestine et se confondant avec la Grande Syrie (incluant le Liban, la Jordanie, une partie de l’Irak et un morceau de Turquie): c’était le cadre prévu pour le «grand royaume» promis aux Arabes pour l’après-califat mais qui n’avait pu voir le jour suite aux «bricolages» franco-anglais (Sykes-Picot, Balfour), la Syrie historique étant dépecée, l’immigration juive lancée et l’Etat d’Israël créé (peu après le départ des Français de Damas en 1946).

Le feuilleton met bien en lumière la nostalgie d’une appartenance commune restée vivace, en Syrie, au Liban, en Palestine, ce qui est loin de déplaire aux autorités de Damas dans le contexte actuel.

C’est cette aspiration «arabe» que Mgr Cabbougi assumera avec une ardeur particulière, se posant comme un évêque loyal mais engagé, témoin indigné de la nakba (catastrophe) de 1948 et du calvaire infligé aux Palestiniens, de la négation de leurs droits et libertés, des arrestations et détentions sans jugement, des expulsions. «Gardien» de Jérusalem, il conserve pieusement les reliques du monde d’avant, la clé d’une maison confisquée symbolisant l’exil, et le couteau, la lutte contre l’usurpateur.

Sayedna Hilarion le martèlera en toute occasion, la Palestine appartient aux Palestiniens, ses habitants autochtones, et elle restera à jamais leur propriété, quand bien même auraient-ils tous été chassés. On croirait entendre le discours tenu à Damas ces années passées, face à la sauvagerie, à l’arbitraire, aux crimes des occupants, au silence indigne de la «communauté internationale».

Mais c’est par conviction et non pour plaire que l’évêque Cabbougi évoque avec flamme l’unité de destin entre son pays natal et la Palestine, cause sacrée des Arabes. Le Père Elias Zahlaoui, conseiller du réalisateur, aura veillé à la fidélité du récit. Les responsables syriens ne brillent pas toujours par leur sens de la communication.

Mais cette fois-ci, ils auront visé juste en choisissant un héros qui cultive avec soin ses racines. S’il est palestinien parmi les palestiniens, Mgr Hilarion Cabbougi est un militant, qui inscrit sa lutte, qui inscrit sa lutte, sans ambigüité, dans un cadre syrien et palestinien à la fois, au nom d’une identité arabe pleinement revendiquée: «L’arabité n’est pas une question de religion ou d’ethnie, elle est fondée sur les bases de la langue, de la culture, de la civilisation», clame-t-il. Les identités de circonstance dénichées par des intellectuels qu’inspire un air du temps délétère surgissent de partout et nulle part: «Nous ne sommes pas arabes, nous sommes phéniciens, cananéens, chaldéens, syriaques, assyriens, coptes, Berbères, kurdes etc…».

Cet évêque qui n’a pas la langue dans sa poche les récuse, et son franc-parler résolu vient à point nommé dans un État en guerre où les requêtes identitaires dégagent souvent un parfum d’ailleurs ou d’autrefois.

Mais il est bien en phase avec le Président Assad qui répète volontiers: «La Syrie est arabe, les Syriens sont viscéralement arabes».

Dans l’un des derniers épisodes, en présence d’un nonce apostolique tétanisé, l’indomptable Mgr Cabbougi réitère sa profession de foi, en guise d’apothéose en quelque sorte: «Mon christianisme et mon arabisme ne font qu’un; chrétien ou musulman, tout palestinien est mon frère, tout arabe est mon frère, tout pays arabe est ma patrie».

Un encouragement pour la Syrie d’aujourd’hui, une bouffée d’espoir pour la Palestine devenue prison et objet de «transaction», un défi pour les «régimes arabes» et Israël toujours appliqué à assimiler Arabes et musulmans pour mieux isoler les chrétiens, banalisant la judéité de l’Etat d’Israël.

Entre l’évêque militant et la Syrie résiliente, il y a à l’évidence tant de proximité que cela méritait bien un feuilleton de Ramadan…

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Source : Madaniya
https://www.madaniya.info/…