Par Moustafa Barghouti

Le soir du 5 novembre, Gaza est à nouveau isolée sans communications ni Internet, alors que les raids monstrueux de l’armée d’occupation frappent toute la bande de Gaza et particulièrement la ville éponyme, que le silence des gouvernements complices des massacres de sa population se prolonge, et que Netanyahou ne se lasse pas d’affirmer que la guerre ne s’arrêtera pas.

Cela, au lendemain de la tournée du secrétaire d’État américain, Antony Blinken, présenté par les médias comme le messager de la trêve préconisée par l’administration américaine, en dépit du fait que les États-Unis et leurs vassaux ont très récemment voté contre, soit au Conseil de sécurité, soit à l’Assemblée générale des Nations Unies, considérant qu’Israël a le droit de se défendre, pour ne pas dire qu’il a le droit de se venger.

Un droit discutable d’après l’avocate libanaise, Me Bouchra al-Khalil [1]. Elle considère que l’attaque palestinienne du 7 octobre est une « opération de libération » et que ce sont plutôt les Palestiniens qui ont le droit de se défendre, en rappelant que l’enveloppe de Gaza, où se sont infiltrées les forces de la Résistance palestinienne et notamment les forces du Hamas, fait partie du territoire de Gaza en vertu de la Résolution 181(1947) ; une résolution internationale [2] reconnue de surcroît par la Cour de justice internationale en 2004 [3], lors de la construction du mur de séparation par Israël :

« la Cour a indiqué qu’elle n’avait pas été convaincue que la poursuite des objectifs de sécurité avancés par Israël nécessitait l’adoption du tracé choisi pour le mur, concluant à la violation par Israël, du fait de la construction de ce dernier, de certaines de ses obligations en vertu du droit humanitaire et des droits de l’homme. La Cour a enfin estimé qu’Israël ne pouvait se prévaloir du droit de légitime défense et de l’état de nécessité, comme excluant l’illicéité de la construction du mur, et a conclu, en conséquence, que la construction du mur ainsi que le régime qui lui était associé étaient contraires au droit international ». [Ndt].

Mais Netanyahou se moque de la Cour de justice internationale et Blinken n’a pas amené la trêve. Au contraire, il a été accueilli par encore plus de massacres et de destructions, au point que les observateurs ont déclaré qu’en cette nuit du 5 novembre 2023 les Gazaouis ont plus que jamais subi les horreurs d’un enfer de feu et de sang.

Nous traduisons ici les points essentiels de la lecture des événements par le Docteur Moustafa Barghouti [4], médecin résidant à Ramallah, promoteur de plusieurs centres de santé publique en Palestine, ex-candidat à la présidence de l’Autorité palestinienne et, actuellement, secrétaire général de l’« Initiative nationale palestinienne » qui promeut une résistance non violente à l’occupation israélienne, ce qui n’a pas empêché qu’elle l’ait emprisonné à maintes reprises pour raisons politiques. [NdT]

***

La seule explication de ce qui s’est passé au lendemain de la visite de Blinken en Israël est qu’il a donné le feu vert à Netanyahou pour qu’il agisse comme il l’entend. Il se dit que l’envoi du directeur de la CIA, William Burns, dans la région est dû au fait que l’administration américaine n’a plus confiance dans ce qu’il raconte. En l’occurrence, comment comprendre qu’il n’ait pas pu obtenir une trêve pour laquelle il a été missionné ? De deux choses l’une : soit l’administration américaine persiste dans son soutien aux massacres monstrueux de la population gazaouie, soit Blinken est totalement acquis à la politique du gouvernement de Netanyahou et serait allé jusqu’à omettre de lui transmettre les directives d’assouplissement de son administration. Quoi qu’il en soit, je pense que l’administration américaine a commis trois grandes erreurs ces derniers temps :

  • La première erreur est d’avoir refusé ces trois dernières années ne serait-ce que d’obliger Israël à étudier les possibilités d’une solution politique.
  • La deuxième erreur est que cette administration ainsi que le président Joe Biden adoptent tous les mensonges de Netanyahou, des mensonges qui ont été réfutés par les médias américains, non par les médias russes…
  • La troisième erreur est le soutien absolu à Israël qui a fait dire à Biden : « Nous sommes une même équipe ». Auquel cas comment peut-il se poser en arbitre ?

Des erreurs qui ont nui à la crédibilité des États-Unis et les ont privés du rôle qu’ils auraient pu tenir dans notre région. Je suis persuadé que Blinken a entendu des paroles fort désagréables de la part des ministres des États arabes qu’il a rencontrés au cours de cette dernière tournée dans la région. Les propos tenus par le ministre jordanien des Affaires étrangères témoignent de la grande inquiétude de son pays, lequel se sent en grand danger devant l’opération de nettoyage ethnique qui se déroule à Gaza et qui s’accompagne maintenant d’un autre nettoyage ethnique en Cisjordanie dans les régions de la zone C [5] :

« La zone C est sous contrôle total d’Israël pour la sécurité et l’administration. La zone C représente la plus grande portion des terres de la Cisjordanie (62%). Et c’est la seule zone possédant une continuité territoriale en Cisjordanie, encerclant et divisant les zones A et B. De plus, la zone C constitue la plus grande part des terres fertiles et de ressources de Cisjordanie. Elle contient également l’intégralité des routes menant aux colonies israéliennes, les zones tampons (près des colonies, du Mur, des routes, des zones stratégiques et d’Israël) et quasiment toute la Vallée du Jourdain, de Jérusalem-Est et du désert. Toutes les frontières sont situées en Zone C, où les Israéliens bénéficient toujours du contrôle total». [Ndt].

Nous sommes actuellement face à un gouvernement israélien fasciste déchaîné qui ne se contente pas de pratiques racistes et de crimes de guerre. Il est fasciste dans le vrai sens du terme. Sinon, que signifie que l’un de ses ministres déclare aujourd’hui qu’une frappe nucléaire contre la bande de Gaza serait une option [6]? Traduit-il la pensée de Netanyahou et de son gouvernement pour lesquels c’est déjà chose faite, vu la somme de toutes les bombes qu’ils ont fait pleuvoir ces dernières semaines sur la bande de Gaza ?

Ici, je voudrais attirer l’attention sur deux autres déclarations :

  • La déclaration d’aujourd’hui de Yaïr Lapid considéré comme le chef de l’opposition israélienne qui s’oppose à tout sauf quand il s’agit de taper sur les Palestiniens, après avoir entendu le résumé de la vision sécuritaire de Netanyahou : « Israël n’est pas un endroit sûr et il ne gagne pas la guerre ».
  • La déclaration d’un responsable israélien de la sécurité dans la bande de Gaza, rapportée il y a peu par le quotidien Maariv : « La responsabilité de la sécurité dans la bande de Gaza restera entre les mains d’Israël après la fin de la guerre ».

Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu’Israël a prévu trois scénarios pour Gaza :

  • Expulsion vers l’Égypte de la totalité des Palestiniens de Gaza, lequel scénario a échoué jusqu’ici à cause du refus des autorités égyptiennes et de la résistance héroïque du peuple palestinien.
  • Nettoyage partiel du nord et du centre de la bande de Gaza, lequel scénario a également échoué jusqu’ici ; ce qui explique les terrifiantes destructions ayant ciblé les hôpitaux, ceux qui restent étant en grand danger.
  • Annexion de toute la bande de Gaza ; ce qui dément qu’Israël planifie sérieusement l’octroi de la gestion de Gaza à l’Autorité palestinienne ou à un gouvernement quelconque sous tutelle internationale.

« Mardi, au Congrès, M. Blinken avait affirmé que l’Autorité palestinienne devrait reprendre « à un moment donné » le contrôle de la bande de Gaza au Hamas, et que de tierces parties internationales pourraient peut-être jouer un rôle lors d’une période intérimaire. « A un moment donné, ce qui aurait le plus de sens, ce serait qu’une Autorité palestinienne efficace et revigorée ait la responsabilité de la gouvernance et, à terme, de la sécurité de Gaza », a-t-il déclaré ». [7]

Et quand je dis ne plus savoir si Blinken travaille pour Biden ou pour Netanyahou, je rappelle que dès sa première tournée dans la région [sur un total de trois tournées depuis le 7 octobre, NdT], il projetait d’obtenir la condamnation du mouvement Hamas par les pays arabes, ainsi que leur accord quant au transfert de la population gazaouie vers leurs pays respectifs. Ce n’est que quand il n’a pas réussi à les convaincre qu’il s’est tourné vers le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, pour lui proposer d’étendre son autorité sur Gaza moyennant certaines conditions.

Par conséquent, je voudrais que l’Autorité palestinienne m’entende : tout ce qu’ils vous racontent n’est que mensonges et illusions. Ils ne veulent ni d’une Autorité palestinienne, ni de n’importe quel Palestinien. Ils veulent une domination totale et absolue. Si jamais ils accordaient un travail à l’un d’entre vous, ce serait pour en faire un agent de sécurité, un vassal qui travaille pour eux à la manière du gouvernement de Vichy ; ce qui ne peut ni ne doit trouver sa place dans le dictionnaire palestinien.

Les États-Unis, s’ils le voulaient, sont la seule force capable de brider Netanyahou et Israël immédiatement et les obliger à accepter bien plus qu’un cessez-le-feu. Mais évidemment qu’ils ne veulent pas et qu’ils sont les complices de leurs crimes.

Qu’est-ce qui pourrait arrêter Israël ? À mon avis, il existe trois facteurs, dont deux sont disponibles alors que le troisième ne l’est pas.

  • Le premier facteur et le plus important est la courageuse Résistance palestinienne. Depuis 3 semaines ils nous racontent que les résistants palestiniens se cachent derrière les civils de Gaza. Je n’ai pas vu les résistants palestiniens se cacher derrière des civils, je les ai plutôt vus attaquer des tanks en ne disposant que d’armes légères sans commune mesure avec les chars dans lesquels se cachaient les soldats israéliens.
  • Le deuxième facteur est l’« intifada internationale » en faveur de la Palestine et de sa résistance contre la barbarie criminelle d’Israël. Jusqu’ici, le nombre réel des enfants martyrs de cette guerre tend vers 6000. Un chiffre hallucinant en dépit duquel ils poursuivent leurs crimes pendant que les États-Unis continuent de les couvrir. Nous avons tous vu cette intifada internationale en Malaisie, en Indonésie, en France, en Grande Bretagne et même en plein milieu de Washington, où le plus impressionnant fut la réponse des manifestants au mensonge de Netanyahou, repris par Biden, quant aux chiffres prétendument inexacts des martyrs palestiniens. Ils se sont dirigés vers la Maison blanche en portant une énorme banderole sur laquelle ils avaient inscrit tous les noms des martyrs.
  • Le troisième facteur est le facteur indisponible : celui qui dépend des gouvernements arabes. Or, ce n’est pas seulement le peuple palestinien qui est massacré, ce qui est massacré c’est aussi la dignité et l’avenir des peuples arabes. Si jamais ils permettaient à Israël de sortir victorieuse de cette guerre, tous deviendraient esclaves de l’organisation qui veut une dominance économique, militaire et informationnelle.

C’est pourquoi j’appelle tous les peuples arabes à sortir manifester sans se contenter du Vendredi. Il faut une renaissance arabe immédiate qui réclame l’expulsion des ambassadeurs israéliens de tous les pays arabes, exige l’arrêt de toutes les formes de normalisation avec Israël, et demande à ce que les États-Unis soient informés qu’il n’y aura pas une goutte de pétrole arabe tant que coulera une goutte de sang palestinien du fait de la hideuse vengeance contre les civils.

Quant à ce qui se passe à la frontière nord d’Israël, je sais que le Hezbollah est face à une équation extrêmement difficile avec d’une part, la sécurité de son pays ; d’autre part, la certitude que le Liban est le prochain sur la liste au cas où Israël gagnerait la guerre contre Gaza. Je sais aussi que les options qu’il prendra dépendent du comportement d’Israël.

Si les Israéliens continuent à commettre les pires massacres au nord et au centre de Gaza afin d’exécuter leurs plans en racontant les pires mensonges, je suis sûr que la frontière nord explosera et qu’ils paieront un prix plus élevé qu’ils ne croient. D’autant plus que leur capacité à supporter une guerre longue et autant de pertes humaines et économiques est limitée, d’où les dissensions internes qui commencent à apparaître.

Dr. Moustafa Barghouti

05/11/2023

Source : Vidéo d’Al-Mayadeen TV

المسائية- غزة معزولة وتحت القصف… انعكاس لجولة بلينكن؟
11/05/2023
https://www.youtube.com/watch?v=cC7Ex1qVvCU

Transcription et traduction par Mouna Alno-Nakhal

Notes :

[1] Bouchra al-Khalil / Vidéo PTV Lebanon
https://www.youtube.com/watch?v=LcnTWjoCo8w&t=2524s

[2][Résolution 181 (II) de l’AG de l’ONU, 29 novembre 1947]

[3][Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé]

[4][Initiative nationale palestinienne et Mustafa Barghouti]

[5][Les différentes zones dans les Territoires Palestiniens occupés]

[6][« Atomiser Gaza »: L’Arabie saoudite, la Jordanie et la Ligue arabe fustigent Amichaï Eliyahu]

[7][Guerre Israël – Gaza : Mahmoud Abbas lie un retour de son Autorité à Gaza à un « règlement » pour tous les Territoires palestiniens]

Source : Mouna Alno-Nakhal