Des combattants talibans patrouillent dans le quartier de Wazir Akbar Khan
dans la ville de Kaboul, en Afghanistan, le mercredi 18 août 2021.

Par Patrick Martin

Dans les jours qui ont suivi l’évacuation désespérée des troupes américaines d’Afghanistan, la presse bourgeoise a lancé une campagne de propagande internationale quant à une menace pesant sur les «droits de l’homme» des résidents de ce pays d’Asie centrale.

Au cours des 20 dernières années, les grands médias et les puissances impérialistes du monde n’ont soulevé aucune objection alors que les États-Unis ont tué plus de 100.000 personnes, installé des chambres de torture dans des prisons secrètes, procédé à des assassinats par drones et dépouillé le pays de ses ressources. Les principales puissances impérialistes ont rejoint les États-Unis dans l’invasion et l’occupation du pays. La presse bourgeoise a facilité ces crimes horribles en présentant la guerre comme une «cause juste», une réponse nécessaire au 11 septembre 2001. Ceux qui ont révélé la véritable nature de la guerre en Afghanistan – dont Julian Assange, Chelsea Manning et Daniel Hale – se sont retrouvés en prison.

Mais aujourd’hui, tous les clichés employés par les médias bourgeois pour «vendre» à l’opinion publique mondiale l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan en 2001, aussi usés soient-ils, sont remis au goût du jour.

Cela sert deux objectifs: dissimuler les crimes de guerre commis par les États-Unis dans le passé et préparer l’opinion publique à une intensification de la pression impérialiste sur la population ravagée par la guerre.

Les rapports sur la répression d’une poignée de petites manifestations contre le nouveau gouvernement donnent peu de détails sur la nature de cette «opposition». Notamment, sur la question de savoir si les personnes engagées dans ces manifestations agissent à l’instigation des milliers d’agents de la CIA et d’«entrepreneurs» laissés en Afghanistan par le gouvernement américain.

La campagne médiatique sur la répression, cependant, est entièrement cynique. Rien de ce qui s’est passé à Jalalabad ou à Kaboul cette semaine n’est comparable aux massacres hebdomadaires perpétrés par les États-Unis au cours des vingt dernières années.

Les médias ne s’insurgent pas contre le dictateur militaire égyptien Abdel Fattah al-Sisi, dont les troupes et la police ont tué plus de mille manifestants lors d’une seule manifestation antigouvernementale organisée après son coup d’État militaire de 2013. Al-Sisi – avec des dizaines de milliers de personnes emprisonnées, dont des milliers sous le coup d’une condamnation à mort – est désormais l’un des piliers de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient.

Les partis démocrate et républicain et l’ensemble des médias bourgeois regorgent de dénonciations pieuses du traitement des femmes afghanes. Ce même establishment politique n’a prêté aucune attention lorsque des dizaines de milliers d’Afghanes ont été tuées par des soldats américains lors de frappes de drones ou par l’effondrement social dévastateur causé par l’invasion et l’occupation.

Le New York Times, le porte-parole du parti démocrate et de la politique identitaire, a pris les devants sur cette question. Le journal a publié une tribune de Malala Yousefzai, l’ancienne adolescente qui défendait l’éducation des filles et qui a survécu à une tentative d’assassinat par les taliban pakistanais. Celle-ci exhorte les Américains à «écouter les voix des femmes et des filles afghanes. Elles demandent la protection, l’éducation, la liberté et l’avenir qu’on leur a promis…».

Mais là encore, le double standard médiatique est d’une hypocrisie stupéfiante. En Arabie saoudite, le principal allié des États-Unis parmi les nations arabes, les femmes ne peuvent pas conduire, voter ou apparaître en public sauf sous l’escorte d’un parent masculin. L’adultère est un crime puni de mort, bien que les chiites engagés dans l’opposition politique à la monarchie sunnite soient les principales victimes des décapitations massives qui ont lieu régulièrement.

Aucune de ces pratiques barbares n’a menacé l’étroite collaboration du Pentagone qui rend possible la guerre saoudienne en cours au Yémen. Le régime saoudien utilise la famine massive comme arme principale, renforcée par un blocus naval et des frappes aériennes guidées par les renseignements satellitaires américains.

Les médias et l’establishment militaro-politique répètent également leurs craintes de voir l’Afghanistan devenir un «refuge» pour Al-Qaïda. Nous avons déjà entendu ça. C’était, après tout, le principal prétexte de l’invasion américaine en octobre 2001, un mois après les attaques terroristes du 11 septembre.

On sait depuis longtemps qu’Al-Qaïda a été créé sous la direction d’Oussama Ben Laden dans les années 1980, dans le cadre de la guérilla menée par les fondamentalistes islamiques, avec le soutien des États-Unis, contre le gouvernement afghan soutenu par les Soviétiques. Mais après l’intervalle d’hostilité féroce qui a inclus les attaques terroristes de 2001, Al-Qaïda est revenue à ses racines en tant qu’instrument de l’impérialisme américain, tant en Libye qu’en Syrie.

En Libye, le commandant de la campagne de bombardement de l’OTAN a décrit son rôle comme étant celui de «l’armée de l’air d’Al-Qaïda», puisque les islamistes menaient la guerre terrestre contre le régime de Mouammar Kadhafi. En Syrie, tant Al-Qaïda que son rejeton Daech ont reçu le soutien d’alliés américains comme l’Arabie saoudite et le Qatar, ainsi que le soutien direct de la CIA.

Pendant ce temps, les efforts de Daech pour prendre pied en Afghanistan ont donné lieu à de violents affrontements avec les taliban et leurs milices alliées, comme le réseau Haqqani. Ceux qui évoquent le danger supposé d’un regain de terrorisme anti-américain qui émane de l’Afghanistan n’ont pas été en mesure d’identifier de véritables terroristes auxquels le nouveau régime de Kaboul prêterait main-forte.

Biden a fait une concession importante aux pressions exercées pour qu’il revienne sur sa politique lorsqu’il a déclaré, au cours de son entretien avec ABC News diffusé jeudi matin, que la date limite du 31 août pour l’achèvement des opérations d’évacuation des États-Unis de l’aéroport était flexible. «S’il reste des citoyens américains, nous allons rester pour les faire sortir tous», a-t-il déclaré.

Cette formulation s’avère si élastique qu’elle pourrait bien servir à justifier une prolongation presque indéfinie de l’occupation américaine de l’aéroport de Kaboul, voire une nouvelle agression militaire américaine contre le pays.

L’obstacle le plus fondamental à un renouvellement de l’agression américaine contre l’Afghanistan ne se trouve toutefois pas dans ce pays meurtri. Il réside dans l’opposition qui existe au sein même des États-Unis. Un sondage réalisé par l’Associated Press au cours de la dernière semaine de l’effondrement du régime fantoche afghan a révélé que près des deux tiers des personnes interrogées estimaient que la guerre en Afghanistan ne valait pas la peine d’être menée.

Le peuple américain est catégoriquement opposé à toute nouvelle intervention en Afghanistan. C’est l’une des raisons du caractère de plus en plus hystérique de la campagne médiatique en faveur de la guerre. L’élite dirigeante américaine le sent et exprime par le biais de ses médias sa crainte de perdre son emprise politique sur la majorité de la population américaine. Le peuple américain, et surtout la classe ouvrière américaine, arrivent à leurs propres conclusions sur des questions vitales de guerre et de paix et remettent en question les structures sociales, économiques et politiques du capitalisme américain.

(Article paru en anglais le 20 août 2021)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…