Alok Sharma, président de la COP26, lors du sommet de Glasgow en 2021.
Photo : Christopher Furlong/PA Images/Alamy

Par Nafeez Ahmed

Le professeur James Hansen estime que les politiques inadaptées arrêtées lors du sommet des Nations unies sur le changement climatique de novembre dernier conduiront la planète à dépasser la zone de danger de 1,5°C au cours de cette décennie.

Source : Byline Times, Nafeez Ahmed
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

En seulement quelques décennies, les engagements insuffisants pris par le gouvernement lors de la conférence sur le climat COP26 conduiront à une hausse des températures moyennes mondiales de 2°C, ce qui entraînera la destruction de centaines de villes côtières tout en perturbant les flux océaniques de l’Atlantique qui régulent le climat.

Cette analyse alarmante nous vient du professeur James Hansen, le premier scientifique à avoir tiré la sonnette d’alarme quant au réchauffement climatique. Selon lui, au cours de la décennie actuelle, la planète franchira la zone de danger de 1,5°C, ce qui démentit les déclarations triomphalistes des responsables britanniques au lendemain du sommet de l’ONU en novembre.

Le professeur Hansen, ancien directeur de l’Institut Goddard d’études spatiales de la NASA, est célèbre pour avoir publié, en 1981, la première alerte au changement climatique fondée sur une modélisation, il dirige le programme Science du climat, conscientisation et solutions à l’Institut de la Terre de l’université Columbia.

Dans un mémo publié en décembre dernier – non encore publié – le professeur Hansen a prévenu que les gouvernements dans le monde mais aussi le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies sous-estiment grandement la rapidité et l’impact du réchauffement climatique au cours de ce siècle.

Selon lui, les modèles climatiques conventionnels ne tiennent pas suffisamment compte de l’histoire paléoclimatique de la Terre ni des observations en cours du système climatique.

Un dépassement de 1,5°C au cours de cette décennie

Le professeur Hansen a vivement critiqué Boris Johnson, qui a affirmé que « la COP26 avait permis de préserver la capacité de maintenir le réchauffement de la planète en deçà de 1,5 °C » et qui a également déclaré que « la COP26 sera considérée comme le moment où l’humanité a enfin pris conscience du changement climatique ».

Qualifiant les affirmations du gouvernement britannique sur le succès de la COP26 de « pures conneries », il avertit dans son mémo que « le plafond de 1,5°C de réchauffement de la planète sera franchi au cours de la décennie actuelle » et que, selon son analyse, les engagements pris par l’administration de Johnson lors de la COP26 ne feront rien pour empêcher le monde de subir un changement climatique violent.

L’universitaire affirme que, dans les six prochains mois, il y aura une augmentation de la température moyenne sur 12 mois en raison du cycle El Nino, qui sera « accélérée par le plus grand déséquilibre énergétique de la Terre depuis un demi-siècle. »

D’ici la seconde moitié des années 2020, l’augmentation de l’irradiance solaire ajoutera encore 0,1°C supplémentaire. L’effet combiné signifie qu’il n’y « a plus actuellement aucune chance, quelle qu’elle soit, de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C », précise-t-il.

Le professeur Hansen a également fustigé le président de la COP26, Alok Sharma, qui, à l’issue du sommet de Glasgow, a déclaré : « Nous pouvons affirmer de façon crédible que nous avons réussi à maintenir la barre des 1,5°C à notre portée, mais le résultat est fragile ».

« D’où Sharma tient-il son allégation de crédibilité ? » demande le professeur Hansen.

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Deux degrés, c’est pour bientôt – et les villes côtières en seront dévastées.

Selon le professeur Hansen, si l’extraction des combustibles fossiles se poursuit au rythme actuel, le grave réchauffement de la planète se confirmera au cours des trois prochaines décennies, ce qui entraînera une augmentation de 2°C, soit le seuil maximal à respecter pour éviter une menace climatique.

Sur la base des engagements actuels pris lors de la COP26, il voit peu de chances que cette trajectoire s’infléchisse, rendant les 2°C pratiquement inévitables.

« Un réchauffement planétaire d’au moins 2°C est désormais inscrit dans l’avenir de la Terre », écrit Hansen dans le mémo coécrit avec les climatologues Makiko Sato et Pushker A Karecha de l’Institut de la Terre. « Ce niveau de réchauffement se produira d’ici le milieu du siècle. »

Si le professeur Hansen a raison, cela signifie qu’au cours des prochaines décennies, la planète se réchauffera plus que pendant la période Eémien – une période interglaciaire qui a eu lieu il y a environ 130 000 à 115 000 ans. C’est la période la plus récente où la Terre a connu un réchauffement supérieur à celui connu pendant l’Holocène.

Les scientifiques reconnaissent l’Holocène comme une sorte de période « idéale » pour le climat – ni trop chaud ni trop froid – parfaite pour une planète habitable. Plus nous nous éloignons de ces conditions, plus la planète devient inhabitable.

Le professeur Hansen affirme que le passage rapide dans la zone de danger climatique de 2°C se produira en raison de « l’incapacité chronique du monde à développer un système énergétique propre pour produire de l’électricité », ainsi que de la réticence actuelle à investir dans les technologies coûteuses qui permettraient de débarrasser l’atmosphère des quantités dangereuses de gaz à effet de serre.

Les conséquences catastrophiques des 2°C

Le mémo de l’universitaire met en évidence deux des conséquences bien précises du non-respect du seuil de danger climatique qui auraient des effets catastrophiques : une élévation rapide et exponentielle du niveau de la mer et l’arrêt du flux de circulation océanique mondial connu sous le nom de Gulf stream.

Une élévation du niveau de la mer de plusieurs mètres signifierait la « perte de la plupart des villes côtières et c’est un phénomène qui serait irréversible dans une échelle de temps dont quiconque pourrait se soucier, dit-il. Il existe de solides preuves qui démontrent qu’un tel événement s’est produit au cours de l’Eémien. »

Le professeur Hansen a mis en évidence une série d’éléments qui vont dans le sens d’une élévation rapide et imminente du niveau de la mer, notamment une brève période de « migration » rapide des récifs coralliens [Le back-stepping implique la disparition du développement des récifs peu profonds sur un site, et la relocalisation sur un autre site plus en amont et plus près du rivage, NdT] et la vulnérabilité des calottes glaciaires de l’Antarctique occidental et, plus tard, de l’Antarctique oriental. « L’élévation éventuelle du niveau de la mer cohérente avec les températures mondiales prévues d’ici le milieu du siècle est d’au moins 10 à 15 mètres », conclut-il.

Les principales villes qui risquent d’être ainsi submergées sont New York, Bombay, Lagos, Shanghai, Miami, Dacca et Tokyo.

« La réalité est que la dislocation de la couche de glace est un processus exponentiel dont l’échelle de temps caractéristique (temps de doublement ou de repli qui caractérise la croissance exponentielle) est de 10 à 20 ans au maximum », indique le mémo du Pr Hansen. « Cette affirmation est corroborée par le fait que l’élévation du niveau de la mer de plusieurs mètres par siècle s’est produite à maintes reprises au cours de l’histoire de la Terre. »

Le GIEC a sous-estimé ce danger en raison de ses modèles simplistes relatifs aux calottes glaciaires, lesquels « sont inaptes à reproduire les changements rapides du niveau de la mer qui se répètent dans les données relatives au paléoclimat », déclare Hansen.

Selon lui, l’augmentation des gaz à effet de serre « au rythme du statu quo » entraînera probablement l’arrêt des gyres marins de circulation océanique dans l’Atlantique Nord et l’océan Austral d’ici le milieu du siècle.

Ces deux systèmes de circulation jouent un rôle essentiel dans la régulation du système climatique de la Terre. Des modèles récents montrent que leur arrêt pourrait entraîner un froid extrême en Europe et dans certaines parties de l’Amérique du Nord, augmenter le niveau des mers le long de la côte Est des États-Unis, perturber les moussons saisonnières qui fournissent de l’eau à une grande partie du monde, et mettre davantage en danger la forêt amazonienne et les calottes glaciaires de l’Antarctique.

Selon le professeur Hansen, la conséquence la plus importante pourrait en être la diminution du transfert de chaleur de l’hémisphère sud vers l’hémisphère nord, ce qui augmenterait le réchauffement de l’océan Austral en profondeur, accélérant ainsi la fonte des glaces dans l’Antarctique et entraînant une élévation du niveau de la mer.

« La progression persistante de la fonte actuelle des glaces de l’Antarctique au rythme caractéristique de doublement de la durée indiqué par les données paléoclimatiques entraînera une élévation du niveau de la mer de plusieurs mètres vers la fin de notre siècle », écrit-il.

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Est-il vraiment trop tard ?

Selon le successeur du professeur Hansen au Goddard Institute for Space Studies de la NASA – le climatologue Gavin Schmidt – même si, au cours de la présente décennie, il est « possible » que la Terre dépasse la barre des 1,5°C, il est « certain » que cela se produira au cours des années 2030.

« Je partage son pessimisme quant à la barre des 1,5°C, toutefois je suis plus dubitatif concernant les affirmations selon lesquelles nous dépasserons inéluctablement les 2°C, a déclaré le Dr Schmidt au Byline Times. Il est très difficile de mettre un niveau de probabilité quant à la capacité de la société à mettre en œuvre des politiques. »

Il y a également de bonnes raisons de croire, à rebours du pessimisme du professeur Hansen concernant les énergies renouvelables, que nous serons en mesure de transformer le système énergétique mondial bien plus rapidement que ce que l’on croit généralement possible.

L’une des plus récentes études réalisées à ce sujet par l’Institute for New Economic Thinking de l’université d’Oxford a révélé que les énergies solaire, éolienne et photovoltaïque pourront remplacer complètement les combustibles fossiles dès 2040, ce qui permettra d’économiser 26 000 milliards de dollars en coûts énergétiques.

Au final, la transition vers les énergies propres est inéluctable, parce qu’elle est dictée par des facteurs économiques majeurs qui rendront les énergies solaire, éolienne et photovoltaïque bien moins chères et plus compétitives que le pétrole, le gaz, le charbon, le nucléaire et l’hydroélectricité. Ces secteurs seront ébranlés et remplacées dans les vingt prochaines années environ, mais nous pourrons prolonger leur vie un peu plus longtemps grâce à des politiques régressives. Si nous tardons trop en essayant futilement de maintenir le statu quo, le professeur Hansen a raison : nous entrerons quand même dans un monde à +2°C d’ici le milieu du siècle.

Un porte-parole du Cabinet Office a déclaré à Byline Times que « la COP26 a été un succès historique avec le rassemblement au Royaume-Uni de près de 200 pays qui se sont engagés à prendre des mesures contre le changement climatique et à forger le Pacte climatique de Glasgow. Ce bilan signifie que nous pouvons maintenir l’objectif de limiter la hausse des températures mondiales à un maximum de 1,5 degré. »

« Le Royaume-Uni assure désormais la présidence jusqu’à la COP27 qui se tiendra en Égypte plus tard dans l’année, a ajouté le porte-parole. Nous passerons les mois à venir aux côtés des gouvernements, des entreprises et de la société civile pour nous assurer qu’ils respectent le Pacte de Glasgow pour le climat, transformant ainsi l’élan en action. »

Même s’il semble désormais pratiquement inexorable que nous atteignions la zone de danger climatique, nous pouvons encore éviter certaines des conséquences les plus catastrophiques décrites par le professeur Hansen – et agir rapidement pour sortir de la zone de danger aussi rapidement que possible.

Comme le Byline Times l’a déjà signalé, les recherches menées par le groupe de réflexion RethinkX, spécialisé dans les prévisions technologiques, indiquent que nous pouvons atteindre une énergie 100 % propre d’ici le début des années 2030, si nous faisons les bons choix sociétaux. Plus important encore, ce système produirait trois à quatre fois plus d’énergie que le système actuel à base de combustibles fossiles à des coûts marginaux nuls lors de la plupart des périodes de l’année – ce qui rendrait les technologies de désengagement du carbone, dont le coût est aujourd’hui exorbitant, vraiment abordables pour la première fois. Cela nous permettrait de réduire les nouvelles émissions à zéro et puis de commencer à retirer de l’atmosphère les émissions existantes.

L’analyse percutante du professeur Hansen montre bien à quel point nous marchons sur la corde raide. Tous les outils de transformation sont non seulement à notre portée, mais déjà à notre disposition – mais ce n’est que si nous cessons de nous bercer d’illusions avec des événements spectaculaires tels que la COP26 qu’il nous sera possible de nous en saisir.

Source : Byline Times, Nafeez Ahmed, 16-02-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Source : Les Crises
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