Par Régis de Castelnau

À la suite de la publication par France–soir d’un long article du chanteur Francis Lalanne dans lequel il appelle l’armée à renverser Emmanuel Macron et à le juger pour haute trahison, nombreux ont fait semblant de prendre cette diatribe au sérieux. Et ont considéré que Francis Lalanne pourtant un habitué des proclamations fantaisistes s’était transformé en un terrible factieux qu’il convenait de mettre hors d’état de nuire. Allant, comme l’ont fait quelques juristes approximatifs, jusqu’à brandir des articles du code pénal en réclamant l’embastillement du saltimbanque.

Front populaire m’a posé quelques questions à ce sujet.

Front Populaire : Dans sa longue tribune, Francis Lalanne parle à la fois de tyrannie, de dictature et de totalitarisme. Ces trois notions souvent confondues sont pourtant différentes. Selon vous, l’une d’elle peut-elle être invoquée contre Macron ?

Régis de Castelnau : Je crois nécessaire de dire au préalable que la longue tribune de Francis Lalanne est un joli fouillis. Il avance des faits difficilement contestables concernant la gestion de la pandémie par le pouvoir exécutif d’Emmanuel Macron depuis un an, mais il le fait en utilisant un jargon juridique complètement inapproprié, et en en tirant des conséquences inapplicables. Pour le dire plus crûment, ce texte n’est ni fait ni à faire et relève des foucades auxquels cet artiste nous a déjà habitués. Tyrannie, dictature et totalitarisme sont des concepts dont vous avez raison de dire qu’ils ne se recouvrent pas. En tout cas, ils ne sont pas des concepts juridiques et ne peuvent donc pas être invoqués juridiquement contre Emmanuel Macron. Ils permettent, pour en tirer des conséquences politiques, de qualifier dans le langage courant des systèmes d’exercice du pouvoir. Alors, celui d’Emmanuel Macron est-il une tyrannie ? Quoi que l’on puisse penser de la façon dont celui-ci est arrivé au pouvoir et l’exerce, ce ne serait pas sérieux de le prétendre. Le concept de totalitarisme popularisé par la philosophe Hannah Harendt qui renvoie à un mode d’organisation sociale complètement intégrée ne peut pas non plus s’appliquer au fonctionnement actuel de notre république. En revanche le terme de dictature pourrait d’une certaine façon être invoqué, puisqu’incontestablement le mode d’exercice du pouvoir par Emmanuel Macron pose de sérieux problèmes. Aujourd’hui le pouvoir exécutif a absorbé le législatif incarné par une Assemblée nationale devenue chambre d’enregistrement des décisions du président de la République. Ensuite, la justice s’est mise complètement à son service. Et enfin force est de constater que le cadre juridique « d’état d’urgence sanitaire » entretient des rapports assez lointains avec le respect de la Constitution et permet la multiplication de mesures liberticides. Parler d’une forme de dictature n’est pas complètement absurde.

FP : Lalanne invoque la pyramide de Kelsen pour considérer que les libertés fondamentales protégées par la Constitution (en haut de la pyramide) ne peuvent être bafouées par « l’urgence sanitaire » ou un quelconque « principe de précaution ». Cela est-il recevable ?

RDC : Comme sur beaucoup d’autres points notre baladin dit un peu n’importe quoi. Hans Kelsen est un juriste austro-américain qui a théorisé la hiérarchie des normes, voyant celle-ci comme une espèce de pyramide. Au sommet de celle-ci, on trouverait les textes fondamentaux (la Constitution) dont découleraient les textes inférieurs (lois, décrets, arrêtés) avec l’application du principe selon lequel la norme inférieure doit être conforme à la norme supérieure. La loi doit être conforme à la Constitution, le décret conforme à la loi, l’arrêté conforme au décret etc. Lalanne nous rappelle que la Constitution est en haut de l’édifice et que les mesures prises pour la gestion de la pandémie ne doivent pas être contraire à celle-ci. Il n’était pas nécessaire de faire ce name-droping et ce détour par Kelsen pour proférer une évidence. En revanche Francis Lalanne pointe la vraie difficulté due au fait de l’existence de cet « état d’urgence sanitaire » non-prévu dans la Constitution et sur la base duquel un certain nombre de mesures contraignantes sont prises. Celles-ci sont peut-être utiles ou nécessaires, mais le cadre juridique dans lequel elles interviennent est inexistant. Ce qui en théorie devrait les frapper d’arbitraire. On constatera seulement qu’elles sont globalement assez massivement acceptées par les Français, et que les juridictions saisies, le Conseil d’État en particulier, les ont en général validées. Concernant le « principe de précaution », on rappellera que celui-ci, sur proposition de Jacques Chirac, figure effectivement dans notre Constitution…

FP : Francis Lalanne fait remarquer que la séparation des pouvoirs n’est pas assurée et que selon l’Article 16 de la DDLHC de 1789, la France n’a plus de constitution. N’est-ce pas une position que vous partagez dans votre dernier livre ?

RDC : Comme je l’ai dit plus haut, il y a un réel problème de séparation des pouvoirs dans notre pays. Depuis la réduction du mandat du président de la République à cinq ans et l’inversion du calendrier des élections législatives qui se déroulent désormais dans la foulée du scrutin présidentiel, les Français n’élisent plus un pouvoir législatif mais bien une assemblée destinée exclusivement à fournir au nouveau président les moyens techniques de la mise en œuvre de son programme. Cette dérive a pris des formes caricaturales avec les élections législatives de 2017 qui ont envoyé au Palais-Bourbon une assemblée de godillots complètement caporalisés qui se contentent d’entériner les décisions prises à l’Élysée. Emmanuel Macron récemment s’étant plaint que ses « arbitrages » sur le projet de loi sur le séparatisme n’aient pas été scrupuleusement appliqués lors du débat parlementaire ! À cela, s’est ajouté le ralliement de la justice et de la magistrature qui se sont mises au service du pouvoir d’Emmanuel Macron, ce dévoiement est l’objet de mon dernier livre auquel vous faite référence. Effectivement, au sens de l’article 16 DDLHC, la France peut être considérée comme n’ayant plus de constitution.

FP : Francis Lalanne appelle l’armée à renverser le pouvoir macronien pour le faire comparaître pour haute trahison devant un tribunal constitué en Haute Cour. Que risque-t-il pénalement pour cet appel et pourquoi ?

RDC : Il a d’abord fait référence à la procédure constitutionnelle de mise en accusation du président de la République devant la haute cour qui doit s’effectuer à l’initiative des parlementaires et avec des conditions assez strictes. Probablement conscient qu’en l’état actuel de la composition du Parlement, cette hypothèse est invraisemblable et en tout cas irréalisable, il se rabat classiquement dirions-nous, sur un appel à l’armée pour déposer Emmanuel Macron. Cet appel est une rodomontade passablement ridicule qui n’a absolument aucune chance d’être considérée comme autre chose qu’une pitrerie, dont Francis Lalanne est coutumier. Cela n’a pas empêché certains de brandir immédiatement le Code pénal et d’appeler à la répression contre l’abominable factieux. Il existe un certain nombre d’articles dans ce code réprimant l’appel à l’insurrection ou à la rébellion. Dans le cas qui nous occupe où c’est un appel explicite à l’armée, c’est plutôt l’article 413–3 qui pourrait être invoqué : « Le fait, en vue de nuire à la Défense nationale, de provoquer à la désobéissance par quelque moyen que ce soit des militaires ou des assujettis affectés à toute forme du service national est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. » On se permettra trois remarques : Tout d’abord, on rappellera le contenu de l’article 2 de la DDLHC : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». Par conséquent nous avons là un principe qui normalement peut exonérer ceux qui s’opposent à un pouvoir oppressif de ces poursuites. Encore faut-il que le système Macron soit considéré judiciairement comme un pouvoir oppressif… Ensuite, il faudrait aussi que cet appel soit lancé dans le but de « nuire à la Défense nationale », ce qui ne semble pas être l’objectif de Francis Lalanne. Enfin je crois qu’il serait sage d’éviter de se couvrir de ridicule en entamant des poursuites contre quelqu’un, coutumier d’initiatives extravagantes et que personne ne prend au sérieux.

FP : Certains considèrent les risques encourus comme disproportionnés et font valoir la liberté d’expression de Francis Lalanne. La liberté d’expression, en France, n’est pourtant pas sans limite. Jugez-vous ces arguments recevables ?

RDC : la liberté d’expression prévue à l’article 11 de la DDLHC est un principe absolu, mais qui peut connaître des exceptions. Dès lors qu’un intérêt général supérieur l’impose, il est possible à la loi de la limiter. Malheureusement, nous vivons une époque où la censure, appelée « cancel culture » outre-Atlantique est devenue une véritable passion. On aboutit dans notre pays à un système où cette fameuse liberté est effectivement enserrée dans pas moins de 400 textes qui la limitent. Le pouvoir d’Emmanuel Macron revient régulièrement devant le Parlement pour le saisir de textes liberticides, et les tribunaux saisis ont du mal à résister à cette pression. Concernant Francis Lalanne, je crois que la meilleure chose serait de le laisser tranquille. Son galimatias relève effectivement de sa liberté d’expression, il n’a à mon sens commis aucune faute répréhensible et en tout cas provoqué aucun préjudice. Cette volonté de tout pénaliser est quand même assez malsaine.

Source : Vu du Droit
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