Par Régis de Castelnau
Lorsqu’il y a une dizaine d’années, j’ai décidé de prendre quelques distances avec la pratique quotidienne du métier d’avocat, j’ai eu l’envie de « rendre » un peu de cette expérience accumulée comme praticien et universitaire du droit. Je souhaitais porter un regard critique sur l’actualité à partir des compétences juridiques et judiciaires que je considère (à tort ou à raison) comme mon lieu d’énonciation privilégié. Inutile de préciser que dans un pays à forte culture administrative et faible culture juridique (et que dire de la culture judiciaire…), c’était un peu jouer sur le velours. Récemment après une conversation avec celui-ci, mon fils me faisait part des interrogations désabusées d’Emmanuel Todd sur l’utilité de son travail. Il m’a alors demandé directement si ce que j’avais fait pendant ces 10 ans (près de 1400 articles et un livre de 600 pages) avait servi à quelque chose. Je lui ai spontanément répondu : « à rien ! » En l’assortissant en rigolant de la fameuse citation de Simon Bolivar à la fin de sa vie : « He arado en el mar » (j’ai labouré la mer). Bon, aucune amertume dans tout ça, simplement le sentiment que même si c’est parfois décourageant, il faut continuer encore et encore. Parce qu’il est essentiel de prendre conscience de la crise que traverse la justice dans notre pays, qui a pris une tournure dramatique depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir. Elle est complètement clochardisée au plan budgétaire et matériel, et rendue par une magistrature sociologiquement, idéologiquement et politiquement à la dérive. Qui s’éloigne jour après jour des missions essentielles qui sont les siennes dans la République, et toujours armée de la bonne conscience de la petite bourgeoisie urbaine, elle le fait au profit d’un soutien féroce à un pouvoir aux abois. La chaîne « Reprenons le contrôle » m’a invité pour son émission « Franc parler ». Comme d’habitude, j’y dit du mal de tout le monde. Mais pour les paresseux qui n’ont pas envie de lire, on y retrouve certaines des choses qu’il y avait dans mon livre. Celui-ci reste d’actualité, en ce qu’il explique (ou tente de le faire) le comment et le pourquoi de cette transformation d’une Justice devenue pouvoir politique autonome. Donc elle vient encore de donner la preuve avec les arrêts de la Cour de cassation qui annulent les ordonnances rendues à l’encontre d’Alexis Kohler, maire du palais de l’Élysée, et chef du gang. Pour la justice, celui-là c’est pas touche et pas besoin d’ordres… Et puis, on va continuer à labourer la mer, peut-être qu’on arrivera, qui sait, à planter quelques petites graines. En tout cas merci de votre soutien.
Source : Vu de Droit
https://www.vududroit.com/…
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