Par Faouzia Zebdi Ghorab
Un vacarme devenu atmosphère.
Musique en boucle, incessante, qui martèle vos tympans où que vous vous rendiez, ou que vous vous trouviez.
Annonces vocales répétées, martelées jusqu’à plus soif par une voix qui n’a plus rien d’humain, sinon sa texture, incantant des paroles identifiables, robotiques, recyclées, prêtes à l’écoute.
Bavardages encore et encore sur les ondes, dans les journaux, sur les terrasses de café. Un bruit de fond devenu paysage.
Des outils techniques en perpétuelle évolution qui happent notre temps et notre énergie.
Et au cœur de cette logorrhée : un point nodal, une obsession, le dieu nouveau : la sexualité. Dans son sens le plus large. Sexualisation des corps, mais aussi des discours et des esprits.
La fétichisation du corps comme nouvelle liturgie
Cela commence par un culte hors norme du corps, dans une fétichisation ritualisée qui atteint un niveau jamais égalé.
Vous pouvez – et c’est une réalité – vous faire casser volontairement les deux fémurs, pour gagner quelques malheureux centimètres. Je ne parle pas ici d’un cadre strictement médical, mais bien de personnes en parfaite santé qui, pour quelques centimètres supplémentaires, se rendent en Turquie où un chirurgien sciera leurs deux férums qui sont rappelons-le les 2 os les plus durs, les plus longs et les plus volumineux du squelette. Oui, vous avez bien entendu : on vous scie littéralement les deux fémurs, puis on vous cloue dans un fauteuil roulant pour de longs mois.
Encore plus sidérant : c’est la Turquie, autrement dit un pays musulman, qui se spécialise dans ce type d’intervention, alors que la France l’interdit pour des raisons éthiques.
Bien sûr, le fait d’être un pays musulman n’implique pas mécaniquement un rejet de ces pratiques, mais la contradiction culturelle perçue participe au vertige moral qui nous saisit.
Le choix aujourd’hui semble tragiquement binaire : soit faire partie de ces pays martyrisés, bombardés, réduits à l’état de cimetières à ciel ouvert, où les vivants côtoient les ruines et l’errance ; soit habiter ces nations épargnées par la guerre, mais ravagées autrement, par l’effondrement intérieur, la perte des repères, l’oubli du sens qu’une industrie culturelle bien huilée se charge d’achever, d’étouffer et de dissoudre.
Deux formes de désolation, deux visages d’un même monde qui a tué le désir en l’orientant vers des objets qui ne nécessitent pas d’être désirés mais trivialement consommés.
Le vrai danger n’est pas toujours là où on croit
Mais gardons-nous d’un manichéisme réducteur. Le danger ne vient pas seulement de la « méchante » société moderne, qui pousserait toutes les limites avec pour seul mot d’ordre : “transgression”.
Non. L’ennemi de la santé mentale se cache aussi dans nos propres rangs. De façon sibylline. Drapé dans les oripeaux d’une fausse affectabilité. D’une fausse bienveillance. D’une sensibilité qui n’est qu’un voile jeté sur la complaisance doctrinale.
Un islam tellement vidé de sa substance qu’il ne ressemble plus à rien – sinon à une matière gluante, insipide, que l’on devrait absorber à dose homéopathique. Le mot d’ordre est : flou. Opacité. Relativisme généralisé.
Cette dérive interne n’est pas un phénomène isolé ; elle prolonge la même logique de dilution que celle opérée par le vacarme extérieur.
La fragilité fabriquée
Tout est nivelé vers le bas. Mis au niveau du sentiment, de l’affect. Et le résultat est là : des individus fragilisés, non pas par accident, mais par des années de matraquage soft aussi bien laïc que religieux.
Fragilisés, nous avons désormais peur de tout. Au point d’avoir peur… d’avoir peur.
Fragilisés par un crédit que nous avons fini par accepter.
Fragilisés par un halal fatigué, usé par la ténacité des marchands.
Fragilisés par des années de propagande sur la liberté, l’égalité et autres fétiches républicains, dont on a vidé le sens en les déconnectant des réalités concrètes qui leur donnaient autrefois un sens.
Mais cela ne nous empeche pas de constater combien la communauté musulmane reste digne lors des grandes crises. Et combien elle a été digne lors de la dernière crise dite du COVID 19. Endurante, patiente, résiliante, sacrificielle à certains égards, face au harcèlement médiatique et systémique.
Contre-attaque spirituelle : restaurer la verticalité
Mais il lui faut rester forte. Non seulement face à l’adversaire extérieur. Mais surtout face à l’ennemi intérieur.
« Seigneur, fais de nous deux des soumis pour Toi, et de notre descendance une communauté soumise à Toi. Montre-nous nos rites, et accepte notre repentir. En vérité, c’est Toi, le Grand-Accueillant au repentir, le Très Miséricordieux. » (El Baqarat, 28)
Et cette force ne peut venir que d’une seule source : la foi. Seul véritable combustible. Une foi qui se nourrit en se consumant pour Dieu. Contre tous ces faux discours qui ont abandonné les fidèles dans un relativisme instable, les faisant virevolter à droite puis à gauche, telles des feuilles mortes un jour froid d’automne.
Mais, loin d’être nourris et rassasiés, nous errons…
De discours en discours. De lieu en lieu. De vidéo en vidéo. À la recherche d’une authenticité, d’une conformité, que nous ne reconnaissons plus. La « sincérité » du cœur suffit nous dit-on.
Le désir d’adorer Dieu ne suffit pas. Nous avons besoin de connaitre la voie correcte. L’homme ne peut inventer son propre chemin vers Dieu. Il doit le recevoir comme un don, à travers la Révélation. Ce n’est pas un caprice juridique, c’est une soif existentielle. Multiplier les occasions de purification. Approfondir le lien en l’organisant et en le créant chaque jour que Dieu fait.
Même Ibrāhīm, déjà élu comme khalīlullAllāh (l’ami de Dieu), demande encore à Dieu dans une nième invocation : comment mieux Te servir ?
Une main tendue aux chrétiens : contre l’uniformisation nihiliste
Il est bien dommage que de nombreux chrétiens, peut-être victimes d’un discours médiatique qui a fait du musulman son épouvantail préféré, se soient laissés contaminer par une peur qui ne reflète pas la réalité.
Il est bien dommage qu’ils n’aient pas vu que les musulmans sincères, qui forment la majorité, sont leurs alliés. Et non leurs ennemis. Des alliés dans la lutte contre cette uniformisation forcée, qui a pour projet final l’effacement du sacré et la liquidation du spirituel.
Car dans cette lutte, l’enjeu n’est pas identitaire mais métaphysique : préserver ce qui élève l’homme au-dessus de sa simple fonction de consommateur.
Deux métaphores pour conclure
Comment rester forts, patients, endurants, résilients, quand tout ce qui devrait nous y aider part à vau-l’eau ?
Nous sommes en danger. Et deux scénarios s’ouvrent à nous : être rongés peu à peu et un jour découvrir que la barque sur laquelle nous voguons est percée de toutes parts. Ou alors… être comme la grenouille : ébouillantée doucement, lentement, insensiblement.
Les deux images disent la même chose : la dissolution n’est jamais brutale, toujours progressive, imperceptible, jusqu’à devenir irréversible.
L’eau chauffe. Elle chauffe encore. Et bientôt… il sera, qu’à Dieu ne plaise, trop tard pour sauter.
Source : auteure
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