Le 17 novembre 2025, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté
pour remettre à Donald Trump l’acte de propriété de Gaza
Avec l’instauration d’un cessez-le-feu intermittent, la « solution finale à la question palestinienne » par Israël entre dans une nouvelle phase, tout aussi meurtrière mais plus discrète. En lui donnant son feu vert, le Conseil de sécurité abolit le droit international, efface huit décennies de reconnaissance des droits palestiniens et se rend complice du génocide, conférant les pleins pouvoirs à Israël et à Trump sur la bande de Gaza et l’existence des Palestiniens, comme à l’époque du colonialisme.
Voici la conclusion du nouveau livre de Norman Finkelstein intitulé GAZA’S GRAVEDIGGERS: An Inquiry into Corruption in High Places (Les fossoyeurs de Gaza : enquête sur la corruption au sommet), publié par OR Books et consacré à la dénonciation des biais pro-israéliens flagrants des instances internationales. Voir également Norman Finkelstein : les accusations de crimes sexuels contre le Hamas sont infondées.
Source : normanfinkelstein.com, 10 décembre 2025
Traduction et notes entre crochets Alain Marshal
Le 17 novembre 2025, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté, par 13 voix contre zéro et deux abstentions [celles de la Chine et de la Russie, voir les discours de leurs représentants ici], une résolution historique imposant un cessez-le-feu à Gaza et traçant une voie à suivre fondée sur le « plan global du président Donald J. Trump pour mettre fin au conflit à Gaza ».¹ Cette résolution constituait simultanément une révélation d’insolvabilité morale et une déclaration de guerre contre Gaza. En proclamant le droit international nul et non avenu, le Conseil de sécurité se proclamait lui-même nul et non avenu. Face à Gaza, le Conseil se métamorphosait en conspiration criminelle. Le Conseil et Gaza ayant été précipités dans l’antichambre de l’état de nature, leurs relations mutuelles redevenaient régies par les lois de la nature, selon lesquelles les membres du Conseil qui « ont déclaré la guerre […] peuvent être détruits comme un lion ou un tigre, l’une de ces bêtes sauvages et féroces avec lesquelles les hommes ne peuvent avoir ni société ni sécurité ».² Le peuple de Gaza n’a aucune obligation d’obéir à cette résolution grotesque ; au contraire, le Conseil, du fait même de cette résolution, « devient dangereux pour l’humanité » et « tout homme, à ce titre, par le droit qu’il a de préserver l’humanité en général, peut restreindre, ou si nécessaire, détruire les choses qui lui sont nuisibles ».³ Le Conseil n’a pas seulement signé l’arrêt de mort de Gaza : il a également signé le sien.
Une résolution de l’ONU, même lorsqu’elle se limite à appeler à un cessez-le-feu immédiat, s’ouvre généralement sur un préambule minutieux « Rappelant », « Réaffirmant », « Soulignant », « Réitérant », etc., les paramètres et les spécificités du droit pertinent défini par les organes de l’ONU.⁴ Cette nouvelle résolution, qui prescrivait non seulement les modalités d’un cessez-le-feu mais aussi une feuille de route pour résoudre l’ensemble du conflit israélo-palestinien, est apparue ex nihilo, tracée sur une tabula rasa. Selon le droit établi, entériné par la Cour internationale de justice (CIJ), Gaza constituait, avec la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, un « territoire palestinien occupé » ; « En tant que puissance occupante, Israël doit s’abstenir de […] faire obstacle à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, y compris son droit inaliénable à l’intégrité territoriale sur l’ensemble du territoire palestinien occupé » ; « La présence continue d’Israël dans le territoire palestinien occupé est illégale. […] Par conséquent, Israël a l’obligation de mettre fin à sa présence dans le territoire palestinien occupé aussi rapidement que possible. »⁵ Ce consensus juridique solide et durable s’était cristallisé au terme de délibérations prolongées sur près de huit décennies entre de multiples organes des Nations unies, et s’enracinait dans deux normes fondamentales du droit international : l’interdiction d’acquérir un territoire par la guerre et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La nouvelle résolution de l’ONU a jeté ce cadre juridique complet à la poubelle. Il n’en a subsisté qu’un fragment pathétique : « prenant note des résolutions antérieures pertinentes du Conseil de sécurité relatives à la situation au Moyen-Orient, y compris la question palestinienne » (italique dans l’original).⁶ Qui plus est, la résolution a laissé le statut juridique de Gaza en suspens, dans un vide juridico-politique. Nulle part elle ne laisse entendre que Gaza fait partie du territoire palestinien occupé, encore moins qu’il s’agit d’un territoire occupé illégalement, que le peuple palestinien possède un droit inaliénable à exercer son autodétermination sur l’intégralité de ce territoire palestinien, ou qu’Israël doit s’en retirer « aussi rapidement que possible ». Privée de toute reconnaissance publique, laissée pendante dans un vide juridique, Gaza a été réduite d’un seul coup, par le Conseil de sécurité, au statut extralégal de res nullius (« chose n’appartenant à personne »), selon l’expression employée lors de la conquête européenne de l’Afrique [pour désigner un territoire considéré comme n’ayant pas de propriétaire, et que peut donc faire sien le premier venu].
La résolution se divisait en trois mandats : un Conseil de paix (BoP), une Force internationale de stabilisation (ISF) et une feuille de route politique :
Conseil de paix. La résolution autorisait « la création du Conseil de paix (BoP) en tant qu’administration transitoire dotée de la personnalité juridique internationale, qui établira le cadre et coordonnera le financement du redéveloppement de Gaza ». Elle restait muette quant aux modalités du BoP — sa composition, ses procédures, ses membres — à l’exception d’un détail crucial. Son premier paragraphe opérationnel « approuve » sans réserve le plan Trump (annexé à la résolution) et « appelle toutes les parties à le mettre en œuvre dans son intégralité » (italiques dans l’original). Le plan Trump stipule, quant à lui, que le Conseil de paix — surprise, surprise ! — « sera dirigé et présidé par le président Donald J. Trump ». Pour dissiper tout doute à ce sujet, le représentant américain a affirmé, immédiatement après le vote du Conseil de sécurité, que « le Conseil de paix, qui sera dirigé par le président Trump, demeure la pierre angulaire de nos efforts ». Dans leurs remarques ultérieures, aucun des membres du Conseil ayant voté en faveur de la résolution n’a formulé la moindre objection [pas même l’Algérie, à qui la résistance palestinienne avait pourtant lancé cet appel solennel].⁷ La résolution ne rendait pas le Conseil responsable devant l’ONU ni devant aucune autre entité ; hormis le fait qu’elle « demande » au Conseil de soumettre tous les six mois un rapport d’étape au Conseil de sécurité, elle ne prévoyait aucune modalité de contrôle externe (italique dans l’original). On peut s’étonner qu’elle n’ait pas annexé le transfert formel du titre de propriété à la Trump Organization. Provoquant une consternation générale, le président Trump s’était vanté, début 2025, que « les États-Unis prendront le contrôle de la bande de Gaza » et que « nous en serons propriétaires ».⁸ Si, dans le monde de Trump, « nous » signifie « moi » — l’État, c’est moi [en français dans le texte original] — alors ses paroles se sont révélées prémonitoires : grâce au Conseil de sécurité, Gaza figure désormais comme un bien supplémentaire dans son portefeuille. Sa prochaine action sera-t-elle, à l’instar du jeu Monopoly, de construire des maisons et des hôtels dans sa Riviera fantasmée sur la Méditerranée ? Le BoP était un retour à la Conférence de Berlin de 1884-1885, lorsque les grandes puissances avaient cédé le titre de propriété du Congo à l’Association internationale du Congo, créée et contrôlée par l’un des hommes les plus riches d’Europe, le roi Léopold II de Belgique. Il fut alors déclaré propriétaire unique du Congo : « C’était un État personnel, la propriété d’un capitaliste de génie, le roi-souverain. »⁹ Léopold s’était engagé à « ouvrir à la civilisation la seule partie de notre globe où elle n’avait pas encore pénétré, à percer l’obscurité qui enveloppe des populations entières ». Dans l’ombre de cette « croisade digne de ce siècle de progrès », Léopold supervisait une activité parallèle lucrative dans le commerce de l’ivoire et du caoutchouc, où il fit travailler à mort jusqu’à 15 millions de Congolais. C’était un précédent de bon augure, et le Conseil de sécurité en transmit le flambeau à un héritier digne de ce nom : Trump ne possédait-il pas en abondance la « personnalité juridique internationale » idoine — celle d’un mégalomane criminellement dérangé ?
La résolution a chargé le BoP de coordonner à la fois l’aide humanitaire et la reconstruction. Ni l’une ni l’autre ne verront le jour. Un avis consultatif de la CIJ rendu en 2025 avait conclu que l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA) était la seule organisation humanitaire à Gaza techniquement capable de fournir une aide à grande échelle, et qu’Israël devait coopérer avec elle.¹⁰ Toutefois, arguant mensongèrement que l’UNRWA était infiltrée de membres du Hamas détournant l’aide, Israël s’est acharné à la discréditer et à la démanteler. Le projet initial des États-Unis pour la nouvelle résolution du Conseil de sécurité reprenait les allégations fallacieuses d’Israël, puisqu’il stipulait que « toute organisation reconnue coupable d’avoir détourné l’aide ne serait plus habilitée à fournir une assistance continue ou future », disposition perçue comme visant l’UNRWA.¹¹ Cette attaque frontale contre l’avis de la CIJ était si effrontée que les États-Unis furent contraints de l’atténuer, mais le texte adopté contenait encore une formulation — le BoP était chargé de « veiller à ce que cette aide soit utilisée uniquement à des fins pacifiques et ne soit pas détournée par des groupes armés » — qu’Israël pouvait exploiter pour refuser de coopérer avec la seule agence de secours capable de répondre aux besoins humanitaires de Gaza. À en juger par son bilan remontant à des décennies, Israël n’autorisera pas plus qu’un « minimum humanitaire » d’aide, si tant est qu’il en tolère autant, car la réalité sera probablement bien moindre. L’usage de la famine comme arme de guerre ne prendra fin que lorsque la « question » de Gaza aura été « résolue ».¹² La reconstruction de Gaza n’aura pas lieu, parce qu’elle ne peut pas avoir lieu et parce qu’Israël ne la permettra pas. Le simple fait de déblayer les plus de 60 millions de tonnes de décombres mêlés de substances toxiques et de munitions non explosées — sans parler des cadavres — prendrait plus de quinze ans, tandis que la reconstruction proprement dite pourrait nécessiter jusqu’à huit décennies.¹³ Et, de toute façon, Israël ne le permettra pas. Il n’a pas passé plus de deux ans à transformer Gaza en paysage lunaire pour la rendre inhabitable, afin de faire ensuite volte-face, serrer la main des habitants de Gaza, psalmodier om, chanter Give Peace a Chance et Kumbaya, et, comme les sept nains, se mettre à joyeusement Heigh-ho, heigh-ho, On rentre du boulot ! en reconstruisant les infrastructures pulvérisées de Gaza. Israël justifiera sans doute une interdiction d’entrée du ciment et de l’acier en invoquant de nouveau le prétexte fallacieux selon lequel le Hamas pourrait les détourner pour construire des tunnels. La résolution du Conseil de sécurité ne prévoyait aucun mécanisme de contrôle externe, et nul ne peut donc contraindre ni le BoP ni Israël — pas que cela préoccupe le moins du monde les puissants — à coopérer avec l’UNRWA ou à autoriser l’entrée de matériaux de reconstruction.¹⁴ Il est presque certain que la nouvelle résolution aura pour effet de ramener Gaza au statu quo ante du 7 octobre — ses habitants, oubliés du monde extérieur, laissés à l’abandon et promis à la mort dans un camp de concentration — à ceci près, et c’est une différence cruciale, que Gaza, désormais, n’existe plus. Les Palestiniens de Gaza se retrouvent face aux deux options indiquées par Israël lorsqu’il a entrepris le génocide : rester et mourir, ou fuir.15 Israël a tout mis en œuvre pour provoquer la panique et une fuite généralisée ; il devra désormais se contenter d’un exode au compte-gouttes. Avec l’instauration du cessez-le-feu intermittent, la solution finale d’Israël est entrée dans une nouvelle phase, tout aussi meurtrière mais plus discrète.16En lui donnant son feu vert, le Conseil de sécurité s’est placé sur le banc des accusés de l’histoire en tant que complice de génocide.
Force internationale de stabilisation. La résolution a autorisé la création d’une « Force internationale de stabilisation (ISF) temporaire », chargée de « stabiliser l’environnement sécuritaire à Gaza en assurant le processus de démilitarisation de la bande de Gaza ». L’ISF est censée opérer en « étroite consultation et coopération » avec l’Égypte et Israël. Il faut reconnaître que la résolution a recruté deux virtuoses de la pacification : l’homme fort égyptien Abdel Fattah al-Sissi s’est emparé du pouvoir lors d’un coup d’État militaire qui s’est conclu par « l’un des plus grands massacres de manifestants en une seule journée dans l’histoire récente du monde »17, tandis qu’Israël a consacré les deux années précédentes à stabiliser Gaza de manière exhaustive, en l’effaçant purement et simplement. Bien que la résolution insiste sur le fait que Gaza doit être désarmée « en utilisant toutes les mesures nécessaires », elle reste ostensiblement silencieuse sur les raisons pour lesquelles cela serait nécessaire. Cette omission n’est pas difficile à expliquer. Si Gaza devait être démilitarisée en raison du massacre du 7 octobre, une question évidente se posait : après avoir commis un génocide ayant tué un nombre incomparablement plus élevé d’innocents, Israël ne devait-il pas également être démilitarisé ? À en juger par le contenu de la résolution (ou plutôt son indigence), le comportement d’Israël était aussi immaculé que la feuille blanche sur laquelle elle était rédigée. Son blocus criminel et ses tueries high-tech périodiques avant le 7 octobre 18, ainsi que le génocide qui a suivi le 7 octobre, ont disparu des annales de l’ONU. Seule la Gaza barbare devait être civilisée, sous la menace des armes. 19 Malgré toute l’horreur du 7 octobre [lire Comment Israël a tué des centaines de ses propres citoyens le 7 octobre et La vérité sur le 7 octobre : Tsahal a déclenché la directive Hannibal (Haaretz)], un fait subsistait : un peuple sous occupation n’est pas légalement privé du droit de résister par les armes. Le droit international interdit le recours à la force militaire « par une puissance administrante pour réprimer une insurrection populaire généralisée dans une unité d’autodétermination », tandis que « le recours à la force par une entité non étatique dans l’exercice d’un droit à l’autodétermination est juridiquement neutre, c’est-à-dire qu’il n’est pas régi du tout par le droit international ».20 Un peuple occupé doit respecter les lois de la guerre, mais il conserve néanmoins le droit de résister violemment à une occupation violente. La résolution du Conseil de sécurité a donc triplement violé le droit international : elle a puni le plus petit mais non le plus grand contrevenant au droit international humanitaire ; elle a accordé à Israël un droit de réprimer la résistance armée qui n’est accordé à aucun autre occupant ; elle a refusé aux Gazaouis un droit à la résistance armée qui n’est refusé à aucun autre peuple vivant sous occupation [lire le récit du 7 octobre fait par le Hamas : Le 7 octobre, le Hamas n’a ciblé ou capturé aucun civil israélien].
Feuille de route politique. La résolution stipule que l’État palestinien ne cédera son pouvoir souverain sur Gaza que lorsque « l’Autorité palestinienne (AP) aura mené à bien son programme de réforme » et qu’« une fois le programme de réforme de l’AP fidèlement mis en œuvre et le redéveloppement de Gaza avancé, les conditions pourraient enfin être réunies pour ouvrir une voie crédible vers l’autodétermination et la création d’un État palestinien ». En conditionnant l’autodétermination et l’accession à l’État palestiniens, l’ONU est revenue à l’ère de la Société des Nations. Dans le système des mandats établi après la Première Guerre mondiale, les anciennes colonies des puissances centrales vaincues, prétendument « incapables de se gouverner seules dans les conditions difficiles du monde moderne », étaient placées sous la « tutelle » des « nations avancées » jusqu’à ce qu’elles démontrent leur aptitude à l’indépendance. Après la Seconde Guerre mondiale, les principes jumeaux de décolonisation et d’autodétermination ont occupé le devant de la scène à l’ONU (héritière de la Société des Nations). La conception paternaliste et intéressée, inscrite dans le Pacte de la SDN, selon laquelle les « territoires non autonomes » devaient passer par une période de tutelle avant de devenir indépendants, a été abandonnée. À sa place, la résolution fondatrice de l’Assemblée générale des Nations unies de 1960, intitulée « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux » (1514), affirmait que « l’insuffisance de la préparation politique, économique, sociale ou éducative ne devrait jamais servir de prétexte pour retarder l’indépendance ». La nouvelle résolution du Conseil a annulé 65 ans de pratique onusienne.
La résolution n’a précisé aucun critère objectif permettant d’évaluer si l’Autorité palestinienne « a mené à bien son programme de réforme de manière satisfaisante », tandis que la « reconstruction de Gaza » prendra presque certainement et au minimum plusieurs décennies. De plus, même si l’Autorité palestinienne « menait à bien » et « appliquait fidèlement » les réformes, et même si la reconstruction de Gaza était suffisamment avancée, la perspective de l’autodétermination et de la création d’un État palestinien resterait indéterminée : satisfaire à ces critères « pourrait » — ou non — faire progresser le processus politique, et même si tel était le cas, le peuple palestinien ne serait encore qu’engagé sur une « voie » menant à la création d’un État, c’est-à-dire qu’il n’y serait pas encore parvenu. Ce résultat resterait suspendu dans l’attente d’un « dialogue entre Israël et les Palestiniens afin de convenir d’un horizon politique pour une coexistence pacifique et prospère ». En d’autres termes, même si les Palestiniens remplissaient toutes les exigences – nébuleuses – qui leur sont imposées, ils ne pourraient toujours pas exercer leur « droit inaliénable » à l’autodétermination et à la création d’un État, même dans un avenir lointain, tant qu’Israël n’y aurait pas consenti. La résolution précise en outre que « les Forces de défense israéliennes (FDI) se retireront de la bande de Gaza selon des normes, des étapes et un calendrier liés à la démilitarisation, qui seront convenus entre les FDI, la l’ISF, les garants [?] et les États-Unis, à l’exception d’une présence dans le périmètre de sécurité qui restera en place jusqu’à ce que Gaza soit correctement protégée contre toute menace terroriste renaissante ». En d’autres termes, la résolution a conféré à Israël un droit de veto sur l’exercice de l’autodétermination palestinienne et sur tout retrait des forces israéliennes de Gaza, garantissant ainsi que ni l’un ni l’autre ne se produirait jamais.
Une multitude de résolutions de l’ONU ainsi que des avis de la CIJ ont établi, de manière convergente et cumulative, que les Palestiniens constituaient un « peuple » ; que la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et la bande de Gaza constituaient des « territoires palestiniens occupés » (TPO) ; que le peuple palestinien possédait un « droit inaliénable » à l’autodétermination et à la création d’un État sur « l’ensemble » des TPO ; que l’occupation des TPO par Israël était « illégale » ; et qu’Israël était légalement tenu de se retirer des TPO « aussi rapidement que possible ». La feuille de route politique définie dans la résolution a vidé de sa substance l’immense corpus documentaire produit par l’ONU sur le conflit israélo-palestinien, constitué au fil de plusieurs décennies dans un accord quasi unanime. En approuvant la résolution 2803 (2025), le Conseil de sécurité s’est suicidé. L’ironie ultime est que l’organe politique suprême de l’ONU s’est immolé pour complaire à un gangster tout-puissant à Washington, qui ne lui témoignait que mépris, au point de la saboter en lui retirant son financement ; et, même si l’administration Trump a réussi à extorquer — à la demande de son double gangster, quoique moins influent, à Tel-Aviv — cette résolution criminelle, elle n’en a pas moins poursuivi sa croisade délirante, dans laquelle aucun moyen de coercition n’était exclu, pour écraser (ou neutraliser) l’ONU et tout ce qui se dressait sur sa route. L’appétit grandit à chaque bouchée. Gaza, désormais prostrée, est-elle vraiment hors de danger dans le rétroviseur des États arabes/musulmans – Algérie, Égypte, Indonésie, Jordanie, Pakistan, Qatar, Arabie saoudite, Palestine, Turquie, Émirats arabes unis – qui se sont alignés sur le Grand et le Petit Moloch, ou est-elle le signe funèbre de leur propre avenir ?
À l’origine, cet ouvrage avait une visée thérapeutique : isoler, afin de permettre à l’ONU d’en extirper, les poches de corruption qui, bien que rares mais néanmoins flagrantes et pernicieuses, entachaient son bilan concernant le génocide de Gaza. L’ONU n’a pas mis fin à l’horreur qui s’est abattue sur Gaza, mais, elle ne l’a pas non plus largement encouragée. Jusqu’à maintenant. La nouvelle résolution implique directement le Conseil de sécurité lui-même dans le génocide en cours. Elle condamne également le peuple de Gaza, tourmenté et supplicié, ou ceux qui n’ont pas été tués, à un martyre éternel. « Le poisson pourrit par la tête. » Ce n’est qu’une question de temps avant que la corruption au sein du Conseil de sécurité ne se propage à l’ensemble du système onusien. Une époque est révolue. Les mains levées en silence pour ratifier la résolution ont sonné le glas. Désormais, la cause de la justice devra être reconstruite sur de nouvelles bases. Il faut le dire sans reculer — car c’est la vérité — mais en étant conscient de la gravité du verdict : après le 17 novembre 2025, l’ONU n’est plus qu’un cadavre en décomposition.
NOTES
[1] « Résolution 2803 (2025) du Conseil de sécurité des Nations unies » (17 novembre 2025, S/RES/2803 ; https://docs.un.org/en/S/RES/2803(2025)). La Russie et la Chine se sont abstenues. L’impulsion première derrière l’initiative du président Trump ne provenait pas du « conflit à Gaza » en tant que tel, mais d’ailleurs. S’il voulait sceller son « accord du siècle », longtemps convoité, intégrant officiellement l’Arabie saoudite dans la sphère d’influence américano-israélienne (sur le modèle des accords d’Abraham), les Saoudiens avaient besoin du prétexte d’un « cessez-le-feu » pour apaiser l’opinion publique arabe. À peine l’encre de la résolution des Nations unies avait-elle séché que le prince héritier saoudien recevait un accueil royal à la Maison Blanche.
[2] John Locke, Second Treatise of Government (1690), paragraphe 11.
[3] Ibid., paragraphe 8.
[4] Voir, par exemple, « États-Unis d’Amérique : projet de résolution » (25 octobre 2023, S/2023/792 ; https://docs.un.org/en/S/2023/792) et « Fédération de Russie, Soudan et République bolivarienne du Venezuela : projet de résolution » (25 octobre 2023, S/2023/795 ; https://docs.un.org/en/S/2023/795).
[5] Voir le chapitre 3 de cet ouvrage.
[6] Il faisait également référence, de manière sporadique, à des « principes juridiques internationaux » non précisés, ainsi qu’au « droit international, y compris le droit international humanitaire ».
[7] Conseil de sécurité des Nations unies, 10046e séance, « La situation au Moyen-Orient, y compris la question palestinienne » (17 novembre 2025 ; https://digitallibrary.un.org/record/4093696?ln=en&v=pdf).
[8] Dave Lawler et Barak Ravid, « Trump affirme que les États-Unis vont “prendre le contrôle” de Gaza et la transformer en une nouvelle “Riviera” », Axios (4 février 2025 ; https://www.axios.com/2025/02/05/trump-gaza-takeover-palestinians-israel).
[9] Thomas Pakenham, The Scramble for Africa: The white man’s conquest of the dark continent from 1876 to 1912 (New York : 1991), passim (« état personnel » à la p. 588).
[10] Voir le chapitre 3 de cet ouvrage.
[11] Security Council Report, « Le Moyen-Orient, y compris la question palestinienne : vote sur un projet de résolution visant à autoriser la mise en place d’une force internationale de stabilisation à Gaza » (16 novembre 2025) ; https://www.securitycouncilreport.org/whatsinblue/2025/11/the-middle-east-including-the-palestinian-question-vote-on-a-draft-resolution-to-authorise-an-international-stabilization-force-in-gaza.php).
[12] Voir le prologue de cet ouvrage et Norman G. Finkelstein, Gaza : An inquest into its martyrdom (Oakland : 2018), p. 33n57.
[13] Voir le prologue de cet ouvrage et Paul Brown et al., « “Worse than Starting from Scratch”: How big is the task of rebuilding Gaza? » BBC (15 octobre 2025 ; https://www.bbc.com/news/articles/cr5e4ee9r13o).
[14] On a récemment tiré la sonnette d’alarme quant à une partition de Gaza en une « zone verte » sécurisée couvrant plus de la moitié du territoire, où la reconstruction serait autorisée pour les Gazaouis de retour, et une « zone rouge », regroupant la majeure partie de la population, où la reconstruction serait interdite tant que le Hamas ne serait pas désarmé. Ces craintes sont pourtant infondées, même si c’est pour des raisons peu encourageantes : il n’y aura aucune reconstruction, nulle part à Gaza. Israël annexera soit le périmètre de sécurité, soit le transformera en zone tampon. Dans les deux cas, il n’autorisera la reconstruction que, peut-être, pour une poignée de villages Potemkine destinés à accueillir les « coupeurs de bois et porteurs d’eau » — c’est-à-dire une main-d’œuvre servile — ainsi que des Gazaouis armés collaborant avec Israël. La dernière chose qu’Israël souhaite dans les zones relevant de son contrôle, ce sont davantage d’Arabes ; idéalement, ils seraient des territoires arabes… sans Arabes. Voir Sari Bashi, « Gaza : la menace de la partition », New York Review of Books (23 novembre 2025) ; Dov Lieber et Summer Said, « Les États-Unis poussent à la création d’une “zone verte” sans Hamas à Gaza », Wall Street Journal (21 novembre 2025) ; Jonathan Whittall, « How the US-Israeli ‘Peace Plan’ Will Partition Gaza », Al Jazeera (22 novembre 2025 ; https://www.aljazeera.com/opinions/2025/11/22/how-the-us-israeli-peace-plan-will-partition-gaza) ; Emma Graham-Harrison, « L’armée américaine prévoit de diviser Gaza en deux zones, dont une “zone verte” sécurisée par les troupes internationales et israéliennes », Guardian (14 novembre 2025).
[15] Voir le prologue de cet ouvrage.
[16] Amnesty International, « Après le cessez-le-feu : le génocide perpétré par Israël dans la bande de Gaza occupée se poursuit » (27 novembre 2025 ; https://www.amnesty.org/en/documents/mde15/0527/2025/en/).
[17] Human Rights Watch, Tout se passe comme prévu : le massacre de Rab’a et les tueries massives de manifestants en Égypte (12 août 2014 ; https://www.hrw.org/report/2014/08/12/all-according-plan/raba-massacre-and-mass-killings-protesters-egypt).
[18] Voir le prologue de cet ouvrage.
[19] Alors que plusieurs États (États-Unis, Royaume-Uni, France, Grèce, Panama) ayant soutenu la résolution ont condamné le Hamas dans des déclarations immédiatement après le vote, à l’exception d’une seule phrase de l’Algérie, aucun des États favorables à la résolution n’a émis la moindre critique des actions israéliennes après le 7 octobre.
[20] James Crawford, The Creation of States in International Law, deuxième édition (Oxford : 2006), pp. 135-137, 147. Voir également Heather A. Wilson, International Law and the Use of Force by National Liberation Movements (Oxford : 1988), pp. 135-136 (« [le droit] ne fait toujours pas l’objet d’un consensus » quant au droit des mouvements de libération nationale à recourir à la force, bien que « la tendance […] depuis 1960 […] soit à l’extension du droit de recourir à la force aux mouvements de libération nationale », tandis que « le recours à la force pour empêcher l’exercice libre du droit d’un peuple à l’autodétermination est contraire aux principes du droit international ») ; A. Rigo Sureda, The Evolution of the Right of Self-Determination: A study of United Nations practice (Leiden : 1973), pp. 331, 343-344, 354 (« Le fait que le Conseil de sécurité n’ait jamais condamné expressément les activités de guérilla des Palestiniens peut être interprété comme une reconnaissance implicite de leur droit à récupérer au moins les territoires dont ils ont été chassés lors des hostilités de juin 1967, et à le faire par la force si nécessaire ») ; Finkelstein, Gaza : An inquest, pp. 140-141.
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Source : Le site de Alain Marshal
https://alainmarshal.org/…
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