Par René Naba
Ce papier est publié à l’occasion du premier anniversaire de la chute du régime baasiste et le départ en exil en Russie de l’ancien président syrien Bachar Al Assad. Il se fonde sur les témoignages de l’ancien chef du bureau de la presse présidentielle Kamel Saqr, et de l’ancien premier ministre Mohammad Ghazi Al Jamali.
- La dernière visite de Bachar al Assad à Moscou a été infructueuse.
- Le président syrien n’a pu entrer en contact avec le président russe Vladimir Poutine.
Bachar Al Assad était déconnecté de la réalité durant cette période.
Prologue
L’attaque contre le régime de Bachar el-Assad, via les milices d’Idlib, est intervenue le jour même de la conclusion de l‘accord de cessez-le-feu entre le Liban et Israël, le 27 novembre 2024. Hayat Tahrir As Sham a combattu en Ukraine contre la Russie; Il n’a, en revanche, pas tiré un coup de feu contre Israël en soutien aux combattants du Hamas, qui sont comme eux des combattants islamistes sunnites arabes.
Retour sur ce mic mac.
Du jour au lendemain, la Syrie est passée du camp de la résistance au théâtre d’une «révolution islamique» menée par la Turquie et justifiée par le président Recep Tayyip Erdogan par l’incapacité de son homologue syrien Bachar al-Assad à répondre à sa demande des réformes internes.
Sur le rôle des services britanniques, notamment le M6 dans la chute du régime baasiste, cf ce lien:
Dès l’entrée des milices de Abou Mohammad Al Joulani à Damas, le dimanche 8 décembre 2024, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahu a déclaré que la chute du régime baasiste était une victoire historique pour Israël.
Il s ‘est donc empressé de faire entrer ses chars dans le territoire syrien et a occupé le reste du Golan jusqu’au mont Hermon, tandis que ses avions bombardaient les infrastructures militaires, les dépôts d’armes, l’aviation, les bases navales et tout ce qui concernait de près ou de loin la Défense Nationale, avec environ 800 raids.
Le récit de Kamel Saqr, Directeur du bureau d’information de la présidence syrienne du temps du mandat de M. Bachar Al Assad
Saqr a affirmé que «la Russie n’a pas fait droit à la requête du président syrien de faire usage de la base de Hmeimine en vue de transférer du matériel militaire d’Iran vers l’armée syrienne, après la chute d’Alep, en décembre 2024».
Affectée à la Russie depuis 2015, Hmeimine est située au sud-est de Lattaquieh, ville côtière sur la Mer Méditerranée.
«Assad a échoué à entrer en contact avec le président russe pendant les trois jours qui ont précédé le 8 décembre 2024, date de la chute de Damas aux mains des insurgés», a-t-il dit, ajoutant que Téhéran a avisé Assad qu’elle n’avait pas reçu des garanties des Russes concernant l’atterrissage d’appareils iraniens à la base de Hmeimine.
Saqr a affirmé en outre que «Téhéran a affirmé à Damas que les Américains ont menacé d’abattre les avions iraniens s’ils franchissaient l’espace aérien irakien».
Ces révélations ont été publiées par le site en ligne «Ar Rai al Yom», de l’influent journaliste Abdel Bari Atwane, en date du 6 Janvier 2025.
Kamel Saqr a indiqué en outre que l’Irak avait informé les Syriens, le 5 décembre, que la Turquie refusait désormais tout dialogue avec Damas.
L’ancien porte-parole a estimé que le refus d’Assad de négocier avec Erdogan a constitué un «déni de la réalité, une fuite en avant visant à éviter les conséquences de la négociation avec la Turquie».
Alexander Lavrentiev, émissaire russe en Syrie, a tenté de convaincre Assad de négocier avec Erdogan, mais le président syrien a refusé, tout comme il a refusé une rencontre entre les ministres des affaires étrangères de la Syrie et de la Turquie, s’en tenant à une réunion entre les responsables sécuritaires des deux pays.
Le refus d’Assad de rencontrer Erdogan a contrarié les Russes, ajoute l’ancien responsable syrien.
Le message du Président Assad à la nation.
Le message présidentiel devait être diffusé jeudi. Mais sa diffusion a été reportée à vendredi, puis de nouveau à samedi. Assad a finalement décidé de l’annuler purement et simplement, alors que les combats faisaient rage autour de Homs et de Damas.
«Nous avons aménagé le lieu où Bachar devait prononcer son allocution télévisée, mais la chute du régime était prévisible depuis le samedi 7 décembre, soit quelques heures seulement avant l’effondrement du pouvoir baasiste.
Les préparatifs logistiques avaient été engagés dans la perspective de la libération de Homs par les forces gouvernementales. Le discours devait être prononcé non du palais présidentiel, mais du palais Al Mouhajirine.
«Assad était déconnecté de la réalité. Il pratiquait l’autosuggestion et rejetait tout avis contraire », a soutenu l’ancien responsable de presse à la présidence syrienne.
Saqr, qui a pris connaissance du texte de l’allocution, précise que « le ton était vif sans rapport avec la crise que vivait le régime. Il passait sous silence des revendications réalistes telles qu’un retrait du pouvoir ou la conclusion d’un arrangement avec l’opposition.
«Le point principal du discours mettait l’accent sur le fait que l’offensive de l’opposition déboucherait sur la partition du pays. Assad devait s’adresser aux Syriens en ces termes: «Si nous ne défendons pas notre pays, qui d’autre que nous allait devoir le faire ?»
Le 2me point du discours était une attaque contre la Turquie l’accusant d’avoir déjà occupé Alep et de ne pas être franc dans ses rapports avec la Syrie.
Le 3me point du discours portait sur l’attitude des pays arabes à l’égard de la Syrie. «Il était prévu que se tienne une conférence des ministres des Affaires étrangères des pays arabes, mais la conférence ministérielle a été remplacée par une réunion des délégués arabes auprès de la Ligue arabe. Mais même cette réunion n’a pas ru lieu. La concertation inter-arabe portait déjà sur l’unité et l’indépendance de la Syrie, avec ou sans Bachar», souligne Kamel Saqr.
Saqr a affirmé avoir tenté d’alerter Assad sur le fait que son message n’allait pas modifier l’évolution de la situation, mais qu’il n’a pas osé proposer à Bachar de renoncer au pouvoir.
Saqr a précisé qu’un fonctionnaire du palais présidentiel l’a informé vers 02.05 minutes que Bachar avait tantôt quitté les lieux, en compagnie du ministre de la défense, du chef d’état-major de l’armée, du secrétaire général de la présidence et de son officier d’ordonnance, mais qu’il n’était «pas absolument sûr que Maher Al Assad, frère du président et commandant d e la 4eme division blindée a pu être au courant» de ce départ.
Une autre version du récit des derniers jours de Bachar Al Assad sur ce lien : https://www.mondialisation.ca/la-chute-de-damas-un-plan-soigneusement-prepare/5696766?doing_wp_cron=1741925646.5930991172790527343750
Asma Al Assad
Le jugement de Kamel Saqr sur l’épouse de Bachar al Assad, diplomée du King’s College de Londres, ancienne femme d’affaires. L’épouse de Bachar al Assad et mère de ses trois enfants, «a gagné en influence dans les domaines économique, social, administratif et militaire, prenant des initiatives humanitaires de pure forme».
«Asma était animée d’une forte personnalité et exerçait une grande influence discrète sur son époux dans de nombreux domaines».
Ramy Makhlouf
Le conflit avec le cousin maternel de Bachar Al Assad était «réel. Asma a exercé de très fortes pressions pour que le pouvoir économique soit retiré a Ramy… L’état a justifié la saisine du patrimoine de Ramy en prétextant une évasion des capitaux».
En retour, Ramy a estimé que son patrimoine a été spolié «dans une démarche visant à renforcer le pouvoir financier d’Asma», a soutenu Kamel Saqr.
Le cancer d’Asma.
Asma a annoncé qu’elle était atteinte d’un cancer et «a chargé le service de presse de la présidence de diffuser la nouvelle en vue de s’assurer la sympathie de la population…Mais le service de presse de la présidence n’a jamais eu connaissance d’un quelconque rapport médical.
Toutefois, «l’annonce diffusée par Asma mentionnait un cancer du sein, il fut par la suite question d’une leucémie et son apparition à la télévision visait à entretenir la fibre sentimentale au sein de la population syrienne», conclut M. Saqr.
Pour le locuteur arabophone, cf ce lien
Le témoignage de l’ancien premier ministre Mohamad Ghazi Al Jamali
Al Jamali a été premier ministre pendant trois mois (septembre décembre 2024)
«L’effondrement de l’économie et des structures étatiques de la Syrie ont été les conséquences directes des décisions de Bachar Al Assad. De même que l’effondrement de l’armée syrienne est imputable à la modicité des soldes des soldats de l’armée gouvernementale.
«Au plus fort de l’offensive rebelle, le gouverneur de Homs prend contact avec le premier ministre pour demander l’autorisation de détruire le Pont Al Rostan en vue d’entraver la progression des insurgés. Le premier ministre refuse de donner l’ordre en raison de l’importance que revêt cet ouvrage pour l’économie du pays et la circulation des personnes. L’armée passera outre cette interdiction et procède à la destruction du pont, deux heures après avoir reçu l’interdiction du premier ministre, assure l’ancien premier ministre.
«La plupart des centrales téléphoniques de l’armée ne répondait plus aux appels. La plupart des militaires affectés à la protection du Premier ministre avaient déserté leur poste », a-t-il ajouté.
Le ministre de l’Intérieur téléphone alors au premier ministre pour lui annoncer, tout à trac: «tout est fini. Je quitte mon bureau. Je me dirige vers la zone côtière» où se trouvent les bases russes, autour de Lattaquieh et de Tartous.
Mohamad Ghazi Al Jamali raconte : C’est alors le sauve qui peut généralisé. «Tous les hauts fonctionnaires proches de Bachar Al Assad, de même que les grandes familles qui étaient proches du Président ont alors déserté Damas et Homs pour les villes côtières, indice indiscutable de l’effondrement du régime bien avant la défaite militaire».
Le premier ministre décide alors de prendre contact avec le président pour l’informer de «l’hystérie» qui s’est emparée des partisans du président, précisant que 20.000 (vingt mille) voitures évacuaient ses partisans apeurés».
S’ensuit ce dialogue
Réponse d’Assad: Où se dirigent-ils? Ravitaillez les quand même.
Le premier ministre: La question n’est pas de ravitailler la population, mais de rassurer les gens.
Assad: «Nous verrons cela demain».
Le premier ministre décide alors de prendre contact avec le ministre de la Défense, mais celui-ci ne décroche pas l’appareil.
Le ministre de l’Intérieur, qui assurait pourtant qu’il demeurerait à son poste jusqu’au bout, prend contact avec le Premier ministre pour lui annoncer que tout était fini et qu’il quittait son bureau. «Sauve toi, toi aussi», conseille-t-il à son chef de gouvernement.
Le ministre avait contacté son premier ministre vers 03H00 du matin, peu de temps avant le départ d’Assad de Syrie.
Le premier ministre tente une dernière fois d’entrer en contact avec Bachar Al Assad. En vain.
Le premier ministre déclare qu’il ignorait alors que le président préparait ses valises pour prendre la fuite.
Le témoignage de l’ancien premier ministre syrien Mohammad Ghazi Al Jamali, sur ce lien pour le locuteur arabophone.
Pour aller plus loin :
- https://www.madaniya.info/2024/10/22/de-la-duplicite-de-la-turquie-dans-la-guerre-de-gaza/
- https://www.renenaba.com/le-parti-baas/
- https://www.madaniya.info/2023/05/08/lenclave-kurde-du-nord-est-de-la-syrie-une-zone-de-non-droit-soumise-a-la-loi-de-la-jungle-1-4/
- https://www.madaniya.info/2023/05/14/syrie-kurdes-lenclave-kurde-du-nord-est-de-la-syrie-une-zone-de-non-droit-2-4/
- https://www.madaniya.info/2023/05/20/etats-unis-syrie-kurdes-3-4-lassaut-de-daech-contre-la-prison-de-gweran-nord-est-de-la-syrie/
- https://www.madaniya.info/2023/05/27/lenclave-kurde-du-nord-est-de-la-syrie-une-zone-de-non-droit-4-4/
Illustration
Un portrait brisé du président syrien Bachar al-Assad, dans un bâtiment de la Direction de la sécurité politique du régime syrien à la périphérie de la ville centrale de Hama, après la prise de la zone par les forces anti-gouvernementales, le 7 décembre 2024. © OMAR HAJ KADOUR / AFP
Source : auteur
https://www.madaniya.info/…
Notre dossier Syrie

