Question: Notre dialogue d’aujourd’hui est important pour nous tous, francophones, qui regarderons cette interview précisément en période de tensions dans les relations entre la Russie et la France. À la fin de l’interview, selon la tradition, nous avons déjà sélectionné les questions des abonnés. Je vous transmettrai avec plaisir tous les souhaits de nos téléspectateurs.
En Europe et en Russie, l’opinion répandue veut que Donald Trump soit une sorte de visionnaire, un artisan de la paix capable de dire non aux mondialistes et d’arrêter n’importe quelle guerre. Mais aux États-Unis qui, comme nous le savons, défendent toujours leurs intérêts nationaux, il a toujours existé l’idée qu’il fallait séparer la Russie de l’Europe. Tous les médias parlent maintenant du fait que Donald Trump a présenté son nouveau plan de règlement « pacifique » en 28 points. Vladimir Zelenski semble même d’accord. Qu’avez-vous à dire à ce sujet?
Sergueï Lavrov: Trop de choses incompréhensibles se produisent. Tantôt Vladimir Zelenski déclare à Istanbul qu’il est prêt à discuter de ce plan et à convenir de certaines formulations acceptables. Tantôt ses représentants déclarent (y compris le représentant permanent adjoint de l’Ukraine à l’ONU) que c’est exclu.
Il m’est difficile de commenter de telles spéculations. Nous restons sur notre position selon laquelle, bien sûr, un règlement diplomatique est préférable. La rencontre en Alaska a été précédée par la visite à Moscou de l’envoyé spécial du Président américain Steve Witkoff, porteur d’instructions directes du Président américain Donald Trump. Steve Witkoff a apporté à la rencontre avec le Président russe Vladimir Poutine des paramètres concrets de règlement qui tenaient compte de nos approches fondamentales, à savoir qu’il est nécessaire de se concentrer sur l’élimination des causes profondes de ce conflit, que nous connaissons tous bien.
L’histoire de ce drame a commencé avec la tentative de l’Occident d’absorber l’Ukraine dans l’Alliance nord-atlantique, de créer une menace militaire pour la Russie directement à nos frontières, en violation de toutes les promesses faites à l’Union soviétique et contrairement aux accords conclus avec la Fédération de Russie dans le cadre de l’OSCE, sur l’indivisibilité de la sécurité, sur le fait qu’aucune organisation, aucun pays en Europe ne renforcera sa sécurité au détriment de celle des autres. Cela a été approuvé au plus haut niveau. L’Otan a fait exactement le contraire.
La deuxième cause profonde est le cap législativement ancré du régime nazi de Kiev, que l’Occident a porté au pouvoir en février 2014 par un coup d’État anticonstitutionnel sanglant, visant à l’extermination de tout ce qui est russe. Vladimir Zelenski a directement conseillé aux Russes, bien avant l’opération militaire spéciale, de partir en Russie s’ils se sentent, en tant que citoyens ukrainiens, attachés à la culture russe. C’était son appel direct. En fait, le Donbass et la Nouvelle-Russie suivent ses conseils.
Quant au tout début de votre question sur la façon dont les Américains (actuellement l’administration Trump) traitent l’Europe et, en général, tout ce qui se passe dans le monde, leurs actions suscitent des évaluations contradictoires. Avant tout, parce que Donald Trump est arrivé au pouvoir avec le slogan MAGA (Make America Great Again), critiquant Joe Biden pour son ingérence idéologique dans tous les processus mondiaux, pour l’imposition d’approches néolibérales et la propagation d’idées néolibérales, le soutien aux élites néolibérales. Il a dit que sous sa présidence, les États-Unis ne s’engageraient pas dans de telles choses. Ils feront ce qui est bénéfique et qui répond à leurs intérêts nationaux.
En pratique, bien sûr, il y a d’autres méthodes. Aucune idéologie. Ils ont démantelé l’Agence américaine pour le développement international, ainsi que d’autres instruments de répression idéologique de tous et de tout sur tous les continents, qui étaient effectivement très étroitement liés à la politique des démocrates. Mais l’objectif de dicter sa volonté à tous a été préservé, et peut-être même plus exposé, une fois que l’enveloppe idéologique en est tombée.
Leurs approches peuvent être décrites de différentes manières, mais le fond est que l’Amérique doit être première partout et que tout le monde doit lui obéir. Cette approche s’applique non seulement à l’Europe, mais à tous les autres également. Une autre chose est que l’Europe dépend davantage des États-Unis en matière de sécurité et du point de vue des perspectives de sa ligne de politique étrangère. En l’occurrence, la ligne de l’Europe concernant l’Ukraine. Personne ne l’écoute, parce que l’Europe et les élites européennes ont mis en jeu leur conviction qu’elles pourraient, par les mains et les corps du régime nazi de Kiev, infliger une « défaite stratégique » à la Russie.
Ils ont même rejeté la possibilité même de négociations. Le Premier ministre de l’époque Boris Johnson, en avril 2022, a simplement interdit à Vladimir Zelenski de signer le document qui avait déjà été paraphé et qui se fondait sur les principes de règlement proposés par les Ukrainiens eux-mêmes. Ce rôle de la Grande-Bretagne a eu des conséquences lui aussi. Ils aiment manipuler l’Europe tout comme le font les États-Unis.
Il est dans l’intérêt des États-Unis d’attirer le plus d’investissements possible dans leur économie. Il y a eu récemment un sommet avec le prince héritier d’Arabie saoudite. À chaque visite, on annonce des investissements en milliards ou en milliers de milliards de dollars. Tout cela est présenté comme un afflux d’argent vers l’économie américaine.
Chaque pays doit réfléchir à la manière de rendre son économie indépendante, solide, productive, comment rapatrier (dans le cas des États-Unis) les capacités de production qui ont été « dispersées » dans le monde entier, dans des pays où la main-d’œuvre était plusieurs fois moins chère qu’aux États-Unis, et donc les produits fabriqués de cette façon par les monopoles et corporations américaines, mais en utilisant une main-d’œuvre bon marché à l’étranger, étaient compétitifs.
Nous verrons à quoi ressemblera la situation lorsque et si le projet du Président américain Donald Trump et de son équipe de rapatrier les capacités de production sur le territoire américain se réalise, quels seront les coûts et les dépenses, comment ces dépenses et coûts affecteront le prix final. Dans le processus d’utilisation des sanctions, qui n’a pas été lancé par Donald Trump (bien qu’il ait également imposé des sanctions contre la Russie sous prétexte des « affaires ukrainiennes » déjà lors de son premier mandat), sous Joe Biden, les États-Unis « se sont lâchés ». Et les Européens, « poussent la charrue avant les bœufs » dans cette affaire de sanctions.
Puis sont apparus les droits de douane et les tarifs. L’économie mondiale n’est plus du tout mondialisée, car tous les principes et règles de la mondialisation que les Américains, avec leurs alliés, inculquaient pendant des décennies dans les institutions mondiales (FMI, Banque mondiale, OMC) n’ont été respectés par aucun d’entre eux. Les principes fondamentaux sur lesquels elles reposent ont été violés depuis longtemps, parce que la composition des organes directeurs, la répartition des voix ne reflètent plus depuis longtemps la situation réelle de l’économie mondiale et l’équilibre des forces. Les principes de concurrence loyale, les méthodes de marché pour déterminer le meilleur, l’inviolabilité de la propriété, tout cela a disparu.
Je me souviens, il y a de nombreuses années, lorsque le dollar a cessé d’être lié à l’étalon-or (c’était sous le Président américain Richard Nixon), les Américains disaient: ne vous inquiétez pas, le dollar est l’unité la plus fiable qui n’est pas la propriété des États-Unis. C’est un bien de toute l’humanité. Le dollar appartient à l’humanité, sert les intérêts de tous, et il en sera toujours ainsi. Voilà où nous en sommes. Le « toujours » est déjà passé. Une autre époque est arrivée.
Maintenant, nous observons tous que quelque chose proche du chaos arrive dans le commerce international et les investissements. Il n’est pas du tout certain que les actions des États-Unis n’ont pour but que de soumettre l’Europe. Leur objectif est de tirer profit, n’importe où, de n’importe quelle manière, et d’en obtenir un certain avantage pour cela.
Il en va de même en politique étrangère. Les « huit guerres » que Donald Trump a « arrêtées » (effectivement, nous apprécions son désir de ne pas déclencher de guerres, comme l’ont fait ses prédécesseurs, mais de les arrêter), se sont figées pour un temps. Des cessez-le-feu ont été annoncés. Maintenant, au Moyen-Orient, entre le Pakistan et l’Afghanistan, entre le Cambodge et la Thaïlande, en RDC et au Rwanda, des cessez-le-feu ont été instaurés pratiquement partout. Mais les causes profondes n’ont pas été touchées par ces initiatives. Des problèmes ont déjà commencé à la frontière cambodgienne-thaïlandaise, entre le Pakistan et l’Afghanistan, et tout est loin d’être rose, pour le dire avec modération, sur le front israélo-palestinien.
Par conséquent, le désir de mettre fin immédiatement aux effusions de sang mérite tous les encouragements. Mais pour régler cela à long terme, il faut des initiatives beaucoup plus minutieuses, patientes et sans précipitation.
Question: Nous sommes au Dialogue franco-russe. Pour nous, les relations entre la France et la Russie sont une priorité. Commençons par les sujets qui ont été le plus souvent discutés dans les médias français depuis de nombreux mois, notamment dans le contexte du conflit en Ukraine. Premièrement, c’est que les militaires russes cibleraient délibérément la population civile et les infrastructures civiles de l’Ukraine. Et deuxièmement, malheureusement, l’affirmation la plus populaire actuellement, qui vient à l’origine du Président français Emmanuel Macron, déclarant cet été que « la Russie a choisi la France comme ennemi ». Plus tard, le chef d’état-major des armées françaises a également « repris » cette idée et dit maintenant que « la Russie se prépare à une guerre à grande échelle avec les pays de l’Otan dans quelques années ». Il y a littéralement deux jours, l’actuel chef d’état-major des armées françaises, dans son message au maire de France et aux citoyens français, a dit que « les Français doivent être prêts à sacrifier leurs enfants dans une guerre contre la Russie ». Comment pouvez-vous commenter ces déclarations?
Sergueï Lavrov: Vous ne prononcez pas intentionnellement le nom du chef d’état-major des armées françaises?
Question: C’est le général Fabien Mandon.
Sergueï Lavrov: J’ai entendu parler de cette déclaration. Il me semble que sa « sentence » sur la disposition à sacrifier la vie de ses propres enfants (d’ailleurs, il a aussi parlé de l’économie), sur le fait qu' »il faut souffrir » parce qu' »on ne peut pas permettre que la Russie gagne et envahisse l’Europe », a déjà suscité l’indignation en France même. Je ne sais pas d’où viennent de tels chefs militaires et dans quelles universités ils sont éduqués. Probablement veulent-ils tous « jouer le jeu » de leur dirigeant actuel, Emmanuel Macron.
Je ne sais pas d’où il tire cette conviction que « la Russie a déclaré la France ennemie ». À mon avis, c’est tout le contraire. La France traitait depuis assez longtemps la Russie de façon malhonnête. À commencer par les Accords de Minsk, que la France en 2015, en la personne du prédécesseur d’Emmanuel Macron, le Président de l’époque François Hollande, a garantis de sa signature avec l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, le Président russe Vladimir Poutine et le Président ukrainien de l’époque Piotr Porochenko. Et en 2020, quand tout le monde a commencé à comprendre comment cela s’était passé, comment ces actions avaient commencé et pourquoi personne n’avait respecté les Accords de Minsk, ils (François Hollande, Angela Merkel et Piotr Porochenko) ont honnêtement admis qu’aucun d’entre eux n’avait l’intention de le faire.
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La suite sur le site du MAE
https://mid.ru/fr/…
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