Par [A/Kader Tahri]
L’article présenté comme « explosif » sur les accords franco-algériens de 1968 a suscité de nombreux échos, notamment au Maroc. Pourtant, à la lecture du rapport parlementaire qu’il prétend résumer, on découvre une tout autre réalité : un document budgétaire instrumentalisé à des fins idéologiques. Réponse à un récit biaisé qui confond expertise et stigmatisation.
Oui, Monsieur, j’ai lu et parcouru le rapport parlementaire dont vous parlez avec tant d’assurance et de superlatifs. Et c’est précisément parce que je l’ai lu que je m’étonne de la manière dont vous le présentez : sélective, approximative, et, osons le mot, idéologique. Vous en tirez des conclusions politiques qu’il ne contient pas, en le transformant en instrument de dénonciation plutôt qu’en base d’analyse.
Un rapport administratif devenu arme polémique
Le document en question, rédigé par les députés Charles Rodwell et Matthieu Lefebvre, relève d’un travail budgétaire de la Commission des finances. Il n’a ni vocation à juger de la politique migratoire française, ni à dresser un réquisitoire contre un peuple en particulier. Son objectif est strictement administratif : évaluer les implications financières et juridiques des accords bilatéraux, dont celui de 1968 conclu avec l’Algérie.
Vous en faites pourtant un « rapport explosif », un mot que vous répétez jusqu’à l’épuisement (Le mot « explosif » revient pas moins de six fois : une répétition volontaire qui cherche à dramatise le propos et à lui donner une dimension de scandale d’État.) comme s’il s’agissait d’une découverte subversive. En réalité, les auteurs du rapport eux-mêmes prennent soin de nuancer leurs propos et d’appeler à une révision concertée des dispositifs existants, non à une rupture unilatérale ni à une stigmatisation. Nulle part ils ne parlent de « privilèges », encore moins de « largesses accumulées ». Ces termes sont les vôtres, pas les leurs.
Des faits transformés en procès d’intention
Vous affirmez que « les Algériens bénéficient d’un dispositif exceptionnel et dérogatoire à toutes les étapes du parcours migratoire ». Ce raccourci spectaculaire ignore les bases historiques et juridiques de l’accord franco-algérien de 1968, signé dans un contexte postcolonial où la France reconnaissait les liens humains, économiques et sociaux hérités d’un siècle de cohabitation.
Cet accord n’a rien d’un privilège : il constitue un régime spécifique comparable à ceux existant avec d’autres États (Tunisie, Maroc, Sénégal), établi dans un cadre de réciprocité diplomatique. Les dérogations qu’il contient sont encadrées par le droit français et régulièrement adaptées aux réalités contemporaines.
Vous évoquez des chiffres – « 2 milliards d’euros par an » – sans préciser qu’il s’agit d’une estimation partielle, qui ne prend en compte ni les cotisations sociales, ni la contribution économique, ni les recettes fiscales générées par les travailleurs immigrés algériens. Ce déséquilibre méthodologique est d’ailleurs souligné dans le rapport lui-même.
En d’autres termes, vous transformez une question budgétaire complexe en argument identitaire, au service d’une narration binaire : la France paierait, les Algériens profiteraient.
Une indignation à sens unique
Votre texte se veut indigner par le « manque de transparence des administrations » et par la « dérive jurisprudentielle du Conseil d’État ». Ces reproches, adressés indistinctement aux fonctionnaires et aux juges, relèvent d’une méfiance généralisée à l’égard des institutions françaises elles-mêmes. Vous leur reprochez de respecter la loi, de garantir les droits fondamentaux, d’interpréter les textes en faveur de l’État de droit.
Vous omettez de rappeler que le Conseil d’État, loin d’être « hors sol », a précisément pour mission de veiller à la cohérence juridique entre les accords internationaux et le droit interne. S’il a parfois étendu les effets de l’accord de 1968, c’est dans le cadre de la hiérarchie des normes et des principes constitutionnels que la République française s’impose à elle-même.
Faire passer cela pour une « folie jurisprudentielle » relève moins de l’analyse que du slogan politique.
L’Algérie, cible commode d’un discours sur commande
Permettez-moi de vous retourner sur une note condescendante la formule : « Manifestement, il ne connaissait pas le sujet dont il parlait. » Vous n’avez pas lu le rapport dans son intégralité, ou qui avez choisi d’en retenir uniquement ce qui servait un propos préétabli.
Votre indignation, loin d’être spontanée, s’inscrit dans un discours médiatique désormais bien rodé : celui qui consiste à transformer chaque dossier technique impliquant l’Algérie en argument de tension bilatérale.
Et la reprise de votre texte par une certaine presse étrangère, notamment marocaine, confirme ce glissement. Loin d’informer, il nourrit une guerre narrative où le sujet n’est plus l’immigration, mais l’Algérie elle-même. Le journalisme cesse alors d’éclairer pour devenir un instrument diplomatique déguisé.
Lire avant d’accuser
Oui, Monsieur, j’ai lu le rapport. Et j’en retiens autre chose que des indignations à la chaîne :
- la nécessité de réviser des accords anciens, sans céder à la caricature ni à la stigmatisation ;
- la volonté des parlementaires de rétablir une transparence administrative, non de désigner des coupables nationaux ;
- l’importance d’un débat serein sur l’avenir des liens franco-algériens, débarrassé des réflexes de l’époque coloniale et des simplifications électoralistes.
Il n’y a rien « d’explosif » dans un travail parlementaire. Ce qui l’est, en revanche, c’est la facilité avec laquelle certains s’en servent pour rallumer de vieilles rancunes. La polémique ne remplacera jamais la lecture.
Et dans un contexte international où la manipulation de l’opinion devient un outil politique, la rigueur intellectuelle reste notre meilleure défense.
A/Kader Tahri / Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »   https://kadertahri.blogspot.com/
Note de contexte : l’accord franco-algérien de 1968
Signé le 27 décembre 1968, cet accord bilatéral encadre les conditions d’entrée, de séjour, d’emploi et de protection sociale des ressortissants algériens en France.
Il repose sur la reconnaissance de liens historiques spécifiques entre les deux pays, hérités de la période coloniale. Modifié à plusieurs reprises (1985, 1994, 2001), il reste le principal cadre juridique des migrations algériennes en France.
Toute réforme ou dénonciation de cet accord suppose une négociation diplomatique bilatérale, et non une décision unilatérale.
Lien de l’article  d’un rapport devenu prétexte à polémique :
https://www.lefigaro.fr/vox/societe/xavier-driencourt-pourquoi-il-faut-lire-le-rapport-parlementaire-sur-l-immigration-algerienne-en-france-20251023
Source : auteur
Notre dossier Algérie

