Par Régis de Castelnau

Le théâtre Kabuki, selon l’expression de Pepe Escobar, qui vient de se dérouler à l’occasion de la « guerre des 12 jours », se dévoile au fur et à mesure que les informations dissipent le brouillard de la guerre. Faisant apparaître les foucades du bateleur de Washington pour ce qu’elles sont, des simulacres qui visent à construire une réalité que seuls les imbéciles, et les fanatiques continuent à prendre pour argent comptant. Accompagnés par ceux qui sentent bien que rien ne va, mais tentent de se rassurer en refoulant au plus profond d’eux-mêmes, le spectacle de la défaite. Car ce qui apparaît au-delà des rodomontades réciproques, c’est le nouveau revers d’un Occident en voie de dislocation, une défaite de plus pour les États-Unis après la litanie de celles subies par l’hégémon depuis 1945, mais surtout la nouvelle défaite stratégique d’Israël. Et celle-ci, faisant voler en éclats le mythe de la puissance militaire invincible de l’État hébreu est absolument terrible.

Israël : une litanie de fausses victoire militaires comme autant de défaites stratégiques

Quoi qu’on en pense, Israël souffre depuis le début de son histoire d’une véritable infirmité stratégique. Capable de remporter des victoires tactiques qui pouvaient apparaître brillantes, mais force est de constater qu’ils n’ont pas été capables de les exploiter au service d’un objectif stratégique, qui aurait dû être de pérenniser un État normal dans cette région du monde, choisie par les créateurs du sionisme.

Les Israéliens ont-ils aussi été aveuglés par les imbécillités des historiens militaires anglo-saxons en adoration devant les « exploits » tactiques de la Wehrmacht pendant la deuxième guerre mondiale, oubliant qu’elle fut surclassée sur le plan stratégique par les soviétiques ? L’historiographie occidentale passait son temps à privilégier ces « succès tactiques » portés au pinacle oubliant les opérations de Moscou, Stalingrad, Koursk, Bagration. Les Israéliens, soutenus, armés, financés par l’Occident donnèrent l’impression d’une virtuosité militaire surclassant brillamment des Arabes par nature inférieurs.

Vraiment ?

En 1956 ils s’allièrent avec les socialistes français et les gangsters britanniques pour lancer une opération de piraterie internationale contre l’Égypte. Alliance à courte vue, avec d’anciennes puissances en déclin, sans tenir compte du rapport de force mondial, et qui va lamentablement se terminer en eau de boudin. En 1967 ils ont agressé leurs voisins sans déclaration de guerre, pour profitant de la surprise remporter une victoire tactique. Pourtant acclamée en Occident, elle va se révéler paradoxalement une énorme défaite stratégique. Ivre de ce succès nourrissant leur sentiment de supériorité, refusant d’écouter de Gaulle traité d’antisémite, alors qu’il leur annonçait tout, se croyant tout permis, ils n’ont jamais été capables d’utiliser cette « victoire » pour la mettre au service d’objectifs clairs pour leur pays. Toute la suite ne fut que la succession d’aventures sanglantes dont aucune n’a jamais contribué à renforcer « la sécurité d’Israël » et qui se sont toutes transformées en défaites militaires et morales. La majorité des Israéliens a ensuite porté régulièrement au pouvoir Nétanyahou et son gang plus ou moins élargi, entouré d’une bande de fanatiques corrompus. Qui de fuites en avant en fuites en avant, vient de montrer à la face du monde que le massacre systématique de populations civiles et le génocide de Gaza était devenu la vérité ultime de cet état désormais paria.

Quelle mouche a piqué Nétanyahou pour cette attaque absurde ?

Massacre génocidaire complété par une attaque absurde d’un pays militairement puissant. Donnant ainsi l’aubaine à celui-ci de faire la démonstration de l’énorme vulnérabilité d’un État minuscule qui ne subsistait que parce qu’il était une base avancée d’un Occident désormais en décomposition. Les objectifs annoncés pour cette nouvelle violation grossière du droit international, changeaient tous les jours. Empêcher l’Iran de posséder l’arme nucléaire, renverser les mollahs, embarquer les États-Unis dans l’aventure, assassiner Khamenei etc… aucun n’était simplement réaliste.

Mais catastrophe, la blague du dôme de fer-blanc a vécu, et avec elle le mythe de l’invulnérabilité d’Israël. La censure n’a pas empêché la révélation du spectacle d’un pays que cette faiblesse va rendre invivable. La solution à deux états que beaucoup psalmodiaient en forme de vœux pieux est désormais une mystification. Elle est politiquement, géographiquement, et surtout humainement avec ce qui vient d’être infligé aux palestiniens, absolument impossible, tout le monde le sait. Il suffit d’ailleurs de voir brusquement tous ceux qui ont fermé les yeux sur l’horreur du carnage de Gaza quand ils ne le soutenaient pas, oubliant les décisions de la Knesset, brandir tout d’un coup à nouveau cette fable. Histoire de conjurer l’angoisse devant l’évidence que la question de l’avenir et de la survie d’Israël est désormais clairement posée.

Le 7 octobre 2023, est un événement de portée considérable dont n’avons pas encore mesuré tous les effets et qui a changé la face du Moyen-Orient. Le débat en France est difficile, car la liberté d’expression garantie par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme, est sous surveillance policière et judiciaire. À l’aide d’une circulaire infâme, Éric Dupont Moretti a lancé la chasse contre ceux qui n’adoptaient pas le récit officiel.

Quelques leçons du passé

Au lendemain de l’attaque du Hamas, au spectacle d’une opération militaire de forme terroriste, à l’occasion de laquelle des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont été perpétrés, deux références se rappelaient à ceux qui ont quand même une petite expérience de l’Histoire. Le 1er novembre 1954 l’opération terroriste organisée par le FLN en Algérie qui donna le signal d’une insurrection anticoloniale qui aboutissait sept ans plus tard à l’indépendance algérienne. Le 31 janvier 1968 fut déclenchée « L’offensive du tet » par l’armée nord vietnamienne et le Front National de Libération sud vietnamien. Elle prit également des formes terroristes. Dans un cas comme dans l’autre, on connaît l’importance de l’événement à la lumière de ses conséquences : défaite de la France et indépendance de l’Algérie d’une part, et défaite des États-Unis avec Vietnam réunifié d’autre part. Et dans un cas comme dans l’autre il fallut supporter les mêmes jérémiades : « nous avons gagné militairement, et ce sont les politiques qui nous ont privé notre victoire ». Incantation qui ne démontre qu’une seule chose, c’est l’incompétence radicale de ceux qui la formulent, ignorant ce qu’est la guerre. Clausewitz nous l’a pourtant depuis longtemps bien expliqué, la guerre poursuit des OBJECTIFS POLITIQUES. Détacher l’aspect militaire de l’aspect politique est par conséquent une absurdité. Gagner une guerre, c’est atteindre ses objectifs politiques.

En 1954, Pierre Mendès-France a décidé de négocier parce que la défaite de Dien-Bien-Phu, dans un contexte mondial de décolonisation, avait créé une situation politique ingérable en France même. Concernant l’Algérie, de Gaulle avait compris que l’objectif des forces politiques françaises avec en particulier les socialistes, de conserver à jamais l’Algérie française était une chimère. Et que sa poursuite avait amené la France à se déshonorer et à se retrouver au bord de la guerre civile. Aussi, entendre à nouveau l’incantation selon lesquelles Israël a « gagné la guerre des 12 jours » a quelque chose de pathétique. D’abord il n’y a pas eu de « guerre » des 12 jours, mais une opération militaire imprudemment lancée par Israël, qui a révélé sa vulnérabilité et l’a obligé à appeler les États-Unis à la rescousse. Ensuite tout le monde sait très bien que le cessez-le-feu accepté par les Iraniens, probablement sur les conseils russo-chinois, et présenté comme une grande victoire de Donald Trump, ne règle rien. Enfin l’objectif stratégique d’Israël d’assurer sa pérennité dans cette région du monde, comme État juif d’abord, puis depuis 2018 comme État nation ethnique des juifs, non seulement n’a pas avancé d’un millimètre, mais s’est plutôt éloigné. Mais allons plus loin, en 1973 au moment de la « guerre du Kippour », Michel Jobert alors ministre des affaires étrangères de Georges Pompidou avait dit : « la logique d’Israël c’est la guerre ». Les 52 ans qui ont suivi démontrent qu’il avait raison. Mais il apparaît aujourd’hui que cet objectif non seulement s’est éloigné, mais est désormais inatteignable dans le contexte mondial et le délabrement de l’Occident collectif. Dont Israël est le proxy dans cette région du monde.

Cet enchaînement de défaites stratégiques amène à être pessimiste sur l’avenir d’Israël et du projet sioniste. Bien sûr personne de raisonnable ne peut prévoir les formes que pourrait prendre cet achèvement, ni même imaginer un calendrier. Mais clairement, depuis l’ébranlement mondial suscité par l’intervention russe en Ukraine et le choc du 7 octobre 2023, l’histoire s’est accélérée et elle ne semble pas aller dans le bon sens pour la pérennité de l’État hébreu sous sa forme actuelle.

Comparaison n’est pas raison, mais…

Aussi, l’étude du passé pourrait peut-être nous fournir quelques indications, même si comparaison n’est pas raison. Israël n’est pas que ça, mais quand même d’abord et avant tout un projet colonial. La fameuse « villa occidentale au milieu de la jungle » exprime cette réalité. L’auteur de ces lignes se rappelle avec précision la fin de la guerre d’Algérie qui mettait fin à un projet colonial s’il en était. Il appartenait à une famille où les carrières militaires avaient suscité la plus grande sympathie, voire l’engagement pour la cause de « l’Algérie française ». Il est lui-même né en Afrique du Nord dans une famille d’Européens pour lesquels la perte de l’Algérie était une tragédie.

L’Algérie a accédé à l’indépendance le 5 juillet 1962. Nous pouvons témoigner de l’état d’esprit en janvier 1960 des tenants du maintien de la France en Algérie. Au moment de la « semaine des barricades » qui avait vu les algérois basculer à nouveau dans l’insurrection pour s’opposer à toute évolution, beaucoup et pas seulement à Alger, croyaient encore dur comme fer pouvoir obtenir la capitulation des autorités de Paris comme cela s’était passé en 1956 avec les tomates lancées sur le socialiste Guy Mollet et en 1958 avec la création d’un comité de salut public le 13 mai. Les organisateurs de l’émeute, responsables de l’assassinat de 14 gendarmes avaient bénéficié d’une incroyable complaisance judiciaire lorsqu’ils furent jugés quelques mois plus tard en métropole. Vint ensuite la tentative de coup d’état du 22 avril 1961, le fameux « pronunciamento des quatre généraux en retraite » auquel de Gaulle mit fin assez rapidement. Plus tard, une fois la défaite consommée et l’Algérie devenue indépendante, on prétendit avec complaisance que l’aventure des Challe, Jouhaux, Salan et Zeller était un « baroud d’honneur ». C’est faux. L’auteur peut en témoigner, dans les milieux militaires et politiques favorables au maintien, on était persuadé de la réussite de ce coup et du ralliement de la métropole à cette cause. C’est seulement avec la signature des accords d’Évian le 19 mars mars 1962, et le massacre de la rue d’Isly que la communauté européenne d’Algérie prit conscience que la défaite était consommée et qu’il fallait partir. Après 132 ans de présence…

Et ce fut la ruée. D’avril à juillet 1962, en abandonnant tout, près des trois quarts de la population européenne d’Algérie partit pour la métropole. Pour y être mal reçus.

Le maire de Marseille, Gaston Defferre, qui en bon socialiste, avait auparavant capitulé devant toutes les revendications des partisans de l’Algérie française, déclara avec élégance en juillet 1962 à propos des Français d’Algérie contraints à l’exil : « qu’ils aillent se réadapter ailleurs ».

Entendre depuis le 7 octobre les mêmes phrases qu’à cette époque, parfois mots pour mots, voir la même peur de l’autre et la violence sans mesure qu’on lui inflige, assister au même aveuglement meurtrier, amène à penser que peut-être dans l’Histoire, il arrive que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

En sachant qu’en Palestine hélas, il n’y aura pas de Mandela.

Avant de partir, merci de m’acheter un café !

Source : Regis’s Substack
https://regisdecastelnau.substack.com/…

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