Par Max Blumenthal, Wyatt Reed

Des législateurs israéliens de premier plan ont accusé leur gouvernement de blanchir des sommes considérables par l’intermédiaire d’un réseau obscur d’organisations humanitaires et mercenaires américaines. L’initiative d’aide militarisée est le pivot du plan israélien de nettoyage ethnique du nord de Gaza en forçant la population affamée à se réfugier dans des centres ressemblant à des camps de concentration.

Le plan israélien visant à réquisitionner la distribution de l’aide à Gaza s’est soldé par un chaos le 27 mai. Des soldats israéliens auraient ouvert le feu sur des foules de Palestiniens affamés après que 8 000 boîtes de rations seulement aient été distribuées par une organisation opaque se faisant appeler la Fondation humanitaire de Gaza (GHF).

Vidéo https://x.com/gazanotice/status/1927413223239668119

Fondée en février dernier en Suisse dans le plus grand mystère, la GHF sert de couverture à un réseau de sociétés mercenaires privées qu’Israël utilise pour supplanter le rôle des Nations unies dans l’alimentation des Palestiniens après les avoir réduits à la famine.

À l’heure actuelle, le public ne sait pas qui finance cette mascarade humanitaire obscure. Un porte-parole de la GHF a déclaré au Washington Post que “la fondation a déjà reçu 100 millions de dollars d’un donateur anonyme”.

Avigdor Lieberman, figure de l’opposition d’extrême-droite israélienne et membre de la Knesset, a provoqué un tollé en proclamant que le mystérieux bienfaiteur de la GHF n’était autre que le gouvernement israélien.

“L’argent destiné à l’aide humanitaire provient du Mossad et du ministère de la Défense”, a-t-il écrit sur Twitter/X, déplorant que “des centaines de millions de dollars sont dépensés aux dépens des citoyens israéliens”.

Video https://x.com/MaxBlumenthal/status/1927437119804321859

Yair Lapid, membre de la Knesset et leader de facto de l’opposition centriste, a accusé le gouvernement israélien de financer deux “sociétés écrans”, la GHF et la société mercenaire privée Safe Reach Solutions, fondée par l’ancien agent de terrain de la CIA Phillip Reilly. Deux anciens responsables américains ont confié au média qatari Middle East Eye que Reilly “a su gagner la confiance du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et de plusieurs hommes d’affaires israéliens qui lui sont proches”.

Si tel est le cas, cela signifierait que les services du renseignement militaire israéliens blanchissent effectivement des sommes colossales grâce à un programme d’aide humanitaire détourné, qui constitue la clé de voûte de leur plan de nettoyage ethnique du nord de Gaza. Un document interne de la GHF a été divulgué, attestant que les centres de distribution alimentaire et les complexes résidentiels en cours de construction à Gaza peuvent être considérés comme des “camps de concentration dotés de technologies biométriques”.

Le modèle de la GHF semble faire partie intégrante du plan déclaré d’Israël d’occuper 75 % de la bande de Gaza, forçant les Palestiniens affamés et sans abri à vivre dans ce que son armée a qualifié d’“îlots humanitaires” destinées à “diviser ur mieux régner” sur le territoire dévasté. Il s’agit aussi de la tentative non dissimulée de remplacer l’UNRWA, l’organisme des Nations unies en charge de la population réfugiée de Gaza depuis 1949 et que le Parlement israélien (Knesset) a désignée comme organisation terroriste en 202.

Le plan des “îlots humanitaires” d’Israël vise ouvertement à “diviser pour mieux régner” sur Gaza en empêchant la population de se déplacer

La création de la GHF a été directement orchestrée par le COGAT, l’organisme gouvernemental israélien qui supervise le blocus de Gaza, ainsi que par un entrepreneur israélien nommé Liran Tancman, qualifié dans un rapport de “réserviste de l’unité de renseignement 8200 de l’armée israélienne, partisan de l’utilisation de systèmes d’identification biométrique à l’extérieur des centres de distribution pour mieux contrôler les civils palestiniens”.

Sans statut juridique ni mandat officiel pour opérer à Gaza, la GHF fonctionne désormais à la discrétion de l’armée d’occupation israélienne. Mais avec le soutien de l’administration Trump et l’appui des mercenaires américains chargés de sécuriser ses centres de distribution dystopiques, le projet fonctionne sous couverture américaine.

La veille du lancement prévu de la GHF à Gaza, son PDG, Jake Wood, a démissionné pour protester contre le non-respect par le groupe des “principes humanitaires d’humanité, de neutralité et d’impartialité”. Ensuite, le directeur des opérations de la GHF, David Burke, a quitté précipitamment l’organisation. David Kohler, membre suisse du conseil d’administration, a également démissionné sans donner d’explication.

Après leur départ, c’est John Acree, ex-administrateur de l’USAID, qui a pris la tête de l’organisation. Il a récemment accusé le président de laisser la Russie agir à sa guise dans un post Facebook incohérent où il s’en prend au “criminel” Trump pour avoir coupé les vivres à son employeur de longue date.

Même après le chaos qui a marqué la fin de l’intervention militarisée de la GHF dans l’ouest de Rafah le 27 mai, un réseau de sociétés mercenaires douteuses, dont Safe Reach Solutions et UG Solutions, continue de proposer des postes très bien rémunérés aux mercenaires en quête d’engagement.

Une offre d’emploi publiée par UG Solutions fait appel à des “snipers” justifiant d’une “expérience préalable des zones de combat”, d’un “excellent niveau de maîtrise des armes” et de “compétences approfondies au combat” capables d’“opérer avec efficacité dans des environnements à haut risque”. La préférence sera donnée aux “membres des forces spéciales” ainsi qu’à “toute personne justifiant d’une expérience dans le domaine du renseignement ou de l’OSINT” [méthode de renseignement utilisant des sources d’information publiques].

Le fondateur d’UG Solutions, Jameson Govoni, se décrit comme un “dépravé de Boston” ayant “rejoint l’armée le plus vite possible pour infliger de la souffrance à ceux qui nous ont fait souffrir”.

Il a également fondé une société appelée “Alcohol Armor” qui commercialise des solutions contre la gueule de bois, prétendument basées sur sa propre expertise en matière de beuverie.

“Dans l’armée, nous sommes sans conteste les pires buveurs du monde. On m’a déjà fait un lavage d’estomac”, se vante Glenn Devitt, l’associé de Govoni.

Phillip Reilly, ancien agent de terrain de la CIA, habituellement friand de publicité, qui a fondé Safe Reach Solutions (SRS) – un partenaire de GHF et UG Solutions – n’a jusqu’à présent fait aucune déclaration officielle à aucun média au sujet de ses exploits manifestement lucratifs à Gaza.

SRS a fait son apparition à Gaza en janvier dernier, lorsqu’un groupe de mercenaires d’âge moyen, qualifiés par les médias américains de “pères de famille banlieusards”, a mis en place un checkpoint le long du couloir de Netzarim, une zone séparant le nord et le centre de Gaza que l’armée israélienne utilise comme base pour abuser et massacrer des civils.

Un document de la SRS diffusé à des soutiens potentiels (voir ci-dessous) a fait appel à des “partenaires humanitaires” pour aider à aménager son checkpoint en “centre de distribution d’aide”. Quelques jours plus tard, la GHF a été fondée à Genève, en Suisse.

Un document de la GHF distribué aux médias début mai énumère une liste impressionnante d’entreprises influentes et d’anciens officiels américains membres de son conseil d’administration, et revendique des partenariats avec des institutions financières comme Goldman Sachs. Son conseil d’administration compte Raisa Sheynberg, ancienne fonctionnaire du département du Trésor américaine ayant travaillé au sein de l’équipe chargée de la politique publique du projet initial de cryptomonnaie Libra de Meta, et David Beasley, ancien gouverneur de Caroline du Sud et ex-directeur du Programme alimentaire mondial.

Le communiqué de presse garantit que les dirigeants de la GHF accorderont la priorité à “l’humanité” tout en “adoptant des approches pragmatiques pour résoudre des problèmes complexes”.

Parmi les personnalités les plus en vue impliquées dans le scandale de la GHF figure Nate Mook, l’ancien PDG de World Central Kitchen. Nommé membre du conseil d’administration de la GHF et fondateur du groupe selon les documents officiels, Mook nie aujourd’hui toute implication dans l’organisation et esquive les médias.


L’implication cachée du chef José Andrés

Le jour du lancement calamiteux de la GHF dans le sud de Gaza, le célèbre chef espagnol, fondateur de World Central Kitchen et ancien “ambassadeur culinaire” du département d’État, Jose Andres, a critiqué ce gâchis en écrivant sur X :

“La Gaza Humanitarian Foundation a privé les Palestiniens de nourriture. Ceux qui l’ont créée ne sont guidés que par leur égoïsme”.

Video  https://x.com/chefjoseandres/status/1927378601776669150

Le principal responsable “égoïste” serait l’ancien PDG de World Central Kitchen, Nate Mook. Comme le montre le journaliste israélien Uri Blau, des documents déposés auprès des autorités suisses mentionnent Mook comme fondateur de la GHF. Il y a également été nommé membre du conseil d’administration du groupe dans le document distribué par la GHF aux médias lors de son lancement. Depuis la démission des dirigeants de la GHF, Mook a toutefois nié avoir joué quelque rôle officiel au sein du groupe et refusé d’aborder la question avec les journalistes.

Andres doit l’essentiel de son image de héros humanitaire globe-trotter à l’opération de relations publiques de 2022 présentée sous la forme d’un documentaire sobrement intitulé “We Feed People”. Le documentaire a été réalisé par un grand nom de Hollywood, Ron Howard, et produit par Mook, alors PDG de World Central Kitchen (WCK).

Selon sa biographie publiée par le McCain Institute, un institut financé par l’industrie de l’armement où il occupe actuellement le poste de “conseiller spécial sur l’Ukraine”, Mook se vante d’œuvrer avec Andres depuis 2012 pour “avoir fait passer WCK d’un seul employé et moins d’un million de dollars de chiffre d’affaires à 400 millions de dollars et un impact mondial en 2022”.

Bien qu’Andres ait condamné la GHF, il a joué dès le départ un rôle essentiel dans ce projet destiné à détourner l’aide humanitaire de l’ONU à Gaza et à la mettre au service des intérêts israéliens. Comme l’a rapporté The Grayzone, Andres a supervisé les efforts déployés par la WCK en 2024 pour construire un ponton à partir des décombres de maisons détruites à Gaza, lequel était censé acheminer l’aide vers les cuisines que l’organisation gérait dans toute la bande de Gaza en coordination avec l’armée israélienne.

Lorsque la ministre espagnole des Droits sociaux de l’époque, Ione Belarra, a accusé Israël de génocide à Gaza, Andres s’est empressé de prendre la défense de l’État d’apartheid, insistant sur Twitter/X qu’Israël ne fait que “défendre ses citoyens”, déclarant que Belarra “ne mérite pas d’être ministre” , l’accusant de sympathies “pro-Hamas”.

Ce faisant, Andrés n’a cessé de courtiser le secrétaire d’État américain Antony Blinken, qui a fini par le nommer “ambassadeur culinaire” du département d’État en février 2023. Pas plus tard qu’en septembre 2024, près d’un an après le début du blocus génocidaire d’Israël sur Gaza, Andres a été vu en train de festoyer lors d’une réception au Metropolitan Museum of Art aux côtés de Blinken, du porte-parole du Conseil national de sécurité John Kirby et du maire de New York Eric Adams, impliqué dans des affaires de corruption.

Moins de six mois après l’assassinat de sept employés de la WCK par l’armée israélienne, armée par les États-Unis, lors d’une double frappe ciblée contre leur convoi humanitaire le 1er avril 2024, Andres cherche toujours à collaborer avec le gouvernement israélien, exprimant encore récemment, le 28 mai, sa reconnaissance aux responsables du blocus du COGAT.

Video https://x.com/chefjoseandres/status/1927834981939716331


La GHF expulsée de Suisse, trouve refuge aux États-Unis

Le 29 mai, les autorités suisses ont annoncé que la GHF a enfreint plusieurs lois régissant les fondations enregistrées en Suisse. Cette organisation obscure a ensuite déclaré transférer ses activités aux États-Unis, ou elle sera probablement moins contrôlée par l’administration Trump, qui a soutenu sa création.

Bien que ses débuts chaotiques à Gaza aient fait la une des journaux internationaux, la GHF est une organisation opaque, dont les opérations sur le terrain sont menées par des mercenaires cagoulés et dont les activités sont gérées par une équipe d’avocats d’affaires opérant derrière plusieurs sociétés écrans dont les coffres regorgent de millions de dollars provenant de sources inconnues.

Ce qui est certain, c’est que sa présence en Palestine ne fera qu’aggraver la détresse de la population de Gaza, sous couvert d’actions humanitaires.

Par Max BlumenthalWyatt Reed,  30 mai 2025

Article original en anglais The Grayzone

Source : Arrêt sur Info
https://arretsurinfo.ch/…

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