Par Régis de Castelnau

Relire les articles publiés, quelques semaines après le 7 octobre 2023, à la lumière des 18 mois mois de l’opération militaire organisée soi-disant en riposte par le gouvernement israélien, produit une impression assez terrifiante. Ce qui se passe non seulement dans la bande de Gaza mais également dans les territoires occupés de Cisjordanie depuis le jour du déclenchement de l’offensive du Hamas apporte un éclairage sur le sens du récit de l’événement du 7 octobre. Nous savons bien qu’il est plus facile de raconter l’Histoire quand on connaît la fin, mais force est de constater que nous avions là dès le départ, une tentative de qualification et par conséquent d’explication de ce qui s’est passé ce jour-là, dont l’objectif s’est rapidement dévoilé. Celui de la justification de ce à quoi un monde incrédule assiste depuis un an et demi. Que juristes et historiens qualifient pour ce qu’il est : la mise en œuvre par l’État d’Israël avec le soutien de l’Occident, en temps réel et devant les caméras du monde du génocide du peuple palestinien.

Il y avait d’abord eu une restitution des faits à partir de témoignages dont la légitimité, l’autorité et la véracité se déduisent des orientations prêtées aux témoins, qu’elles soient politiques, artistiques, ou liés à leur appartenance à des mouvances progressistes et pionnières présentes en Israël, que ce soit dans les kibboutz attaqués ou à l’occasion du festival de musique techno. Prenant très souvent de simples libertés avec la vérité, la violence, et son caractère spécifiquement injuste eu égard à la personnalité particulière des victimes, était présentée comme la réponse civilisations barbare pour laquelle « l’existence d’Israël subvertit l’ordre traditionnel qui réglemente le statut des juifs dans la société musulmane. Ce serait donc une erreur d’interpréter l’explosion actuelle de violence comme le résultat d’une « montée aux extrêmes » du conflit israélo-arabe en général. C’est bien plutôt une réaction contre les grands progrès accomplis dans la région vers une coexistence paisible. » Formulation assez ridicule au regard de ce qui se passe depuis, mais reconnaissons que l’exemple venait de haut. Puisque Jake Sullivan conseiller à la sécurité de Joë Biden avait officiellement déclaré quelques jours auparavant que : « le Moyen-Orient n’a jamais été aussi calme depuis 20 ans » ? Formulation radicalement irrecevable désormais pour un observateur honnête, au regard de l’opération menée par Israël non seulement à Gaza mais également en Cisjordanie occupée.

Pense qu’au contraire, c’est la catastrophe imposée par Israël à la Palestine, qui pose la vraie et terrible question : celle de savoir si ce qui vient de se révéler crument après le 7 octobre n’est pas en fait « la vérité d’Israël ».

Raconter le 7 octobre

C’est une banalité de dire que l’histoire du 7 octobre recèle un enjeu politique considérable. Dans la mesure où le récit israélien de « l’inondation Al Aqsa » servait de support et de justification à ce qu’Israël a alors entrepris, il est clair que l’Occident a mis toutes ses forces à son service pour l’imposer.

L’idée selon laquelle l’Histoire constitue un récit, conception en réalité consubstantielle à l’Histoire elle-même depuis Hérodote et Thucydide, a été plus récemment contaminée par la catégorie, issue d’un fort flux d’idées en provenance des Etats-Unis d’Amérique, centré sur le concept de « narrative ». Concept doté d’une portée relativiste, à l’insu ou non de ceux qui le manient.

Ce qui affecte évidemment le récit historique dans ses relations avec la vérité. Abritons-nous prudemment derrière trois grands penseurs : « En vérité le proverbe chinois est sage qui énonce : les hommes ressemblent plus à leur temps qu’à leur pères », disait le grand Marc Bloch. Ajoutant que les faits historiques étaient par essence des faits psychologiques. (Marc Bloch, Apologie pour l’histoire, Armand Colin.) Ainsi si on le comprend, les usages du passé, prétendant le clarifier, ne seraient que politiques, et la mémoire le masque de l’idéologie. Ce que semble nous confirmer Michel Foucault selon lequel le passé nous réserverait toujours des surprises puisque « qu’on montre aux gens non pas ce qu’ils ont été, mais ce qu’il faut qu’il se souvienne de ce qu’ils ont été. » (Michel Foucault. Dits et écrits 1954 – 1988. Gallimard)

Plus récemment, Quentin Skinner enfonce le clou dans le cercueil d’une « vérité historique » immuable : « le maximum que l’on puisse raisonnablement espérer dans les humanités, voire dans les sciences, est que ce que l’on dit apparaisse rationnellement acceptable à ce qui se trouve dans la meilleure position pour en juger. C’est assurément tout ce que j’entends affirmer, et il est préférable de rappeler que jusqu’à présent, le destin universel des explications historiques et même scientifiques fut d’être dépassées. C’est sur ce point que je souhaite m’arrêter : la factualité devrait être distinguée de la vérité. » (Quentin Skinner. La vérité et l’historien. 2012. Collection audiographie. EHESS).

Le récit du 7 octobre tel qu’il a déferlé dans les médias occidentaux a obéi à cet utilitarisme destiné à justifier la violence de la riposte israélienne. Ce fut dans un premier temps la surprise totale devant l’intensité de ce qui se donnait à voir. La dictature de l’émotion fut alimentée par des images terribles qui permettaient difficilement de savoir ce qui se passait en réalité. Accompagnant ensuite les premières déclarations incendiaires des dirigeants israéliens, on assista à une surenchère communicationnelle, à base d’exagérations quand ce n’était pas de pures inventions. Au sein de ce qui fut incontestablement un chaos, émergea alors le scénario d’une opération terroriste gratuite, coup de tonnerre dans un ciel serein, fondée sur une violence aveugle dont la seule motivation était la haine des juifs. S’emparant de ce récit quand ils n’en étaient pas les auteurs, les dirigeants israéliens multiplièrent les interventions pour justifier la riposte qui fut alors lancée. 

Furent alors posés les termes de la guerre de communication qui va se dérouler dans les semaines et les mois qui vont suivre et que l’Occident allait tenter d’imposer au monde. À une opération terroriste gratuite menée par une organisation musulmane intégriste contre des juifs parce que juifs, a répondu une guerre de défense provoquée menée par Israël pour défendre son existence.

Le propos de cet article n’est pas de décortiquer les positions respectives dans cette guerre de communication, mais de mettre en perspective la façon dont Israël et l’Occident, usant de deux artifices, ont élaboré leur récit.

L’élaboration du récit vrai

L’Histoire est un récit, mais elle n’est pas qu’un récit : elle est un « récit vrai », nous a appris Paul Veyne, et aujourd’hui l’accélération de l’Histoire aidant, « l’événement 7 octobre » est déjà devenu un objet historique. Et nécessairement le pouvoir est l’enjeu implicite, et parfois explicite, le Dieu caché, dirait Goldmann, du récit historique. La méthode d’élaboration de la vérité historique pose bien sûr la question des sources. Pour asseoir puis imposer la description des faits qui se sont déroulés ce jour-là, la presse n’a utilisé que les témoignages. Cette méthode est recevable mais va nécessairement donner une vision déformée du réel que l’on prétend décrire. Réel dont la description est destinée, ce qui est logique, à défendre une thèse sur la nature de la violence utilisée par le Hamas ce jour-là. Cette vision est donc nécessairement partielle et évidemment partiale.

Ces témoignages sont terribles et la violence qu’ils décrivent insoutenable. C’est le but. Il ne s’agit pas évidemment d’en contester la véracité, mais de faire simplement la remarque qu’ils ont la force mais aussi la faiblesse du témoignage. Les sources utilisées par la presse occidentale émanait pour l’essentiel, et c’est compréhensible, des médias israéliens au moment où le traumatisme sur la société israélienne produisait tous ses effets. Et où l’énorme violence militaire immédiatement déployée par l’armée israélienne à Gaza devait à tout prix, être justifiée.

Il fallait spécifiquement caractériser la violence déployée par le Hamas le 7 octobre afin qu’elle puisse justifier ce que serait la réaction israélienne prévisible. Cela se fit alors à l’aide des témoignages publiés dans la presse israélienne. Mais ce n’était pas suffisant car à l’extrême violence ainsi décrite, il fallait ajouter une forme d’immoralité particulière pour la rendre encore plus insupportable parce qu’elle avait précisément frappé ceux des Israéliens, pacifistes, progressistes, issus de la phase « pionnière de la construction d’Israël », sur lesquels les palestiniens auraient dû s’appuyer.

Les pacifistes victimes du Hamas ?

Ce titre reflète les positions de ses Israéliens « de gauche », progressistes, désireux sincères d’une paix avec les Arabes et qui vivent douloureusement que le combat de libération nationale mené par les palestiniens ne prenne pas en compte les contradictions qui travailleraient la société israélienne. Non tous les Israéliens ne sont pas des suprémacistes, il faudrait s’appuyer sur ceux-là pour parvenir à la paix. C’est Charles Enderlin ancien correspondant de France Télévision en Israël, lui-même citoyen israélien et d’une honnêteté irréprochable pendant les 20 ans où il a occupé ce poste, dont chacun du côté palestinien rendu hommage et dont s’affiche le désarroi depuis le 7 octobre. Allant jusqu’à accuser les étudiants de Columbia réclamant le cessez-le-feu, de défendre le Hamas ! Ce sont tous ces amis de la gauche israélienne qui manifestent leur incompréhension que le Hamas se soit aussi attaqué à l’Israël de gauche, à l’Israël des pionniers, à l’Israël des survivants.

Jusqu’à la sociologue Eva Illouz faisant naufrage dans un article de l’Obs dans lequel elle revendique son appartenance à la « gauche » pour mieux se plaindre de ce que ses amis étrangers n’adoptent pas le récit de la propagande du gouvernement de Netanyahou et de ses comparses néofascistes.

« Au cours des deux dernières décennies, de nombreux juifs de gauche comme moi ont rejoint les rangs de la lutte palestinienne contre le vol des terres par les colons Juifs, contre l’inégalité entre Juifs et Arabes dans la société israélienne et contre l’allégeance aveugle des juifs de droite de la diaspora à la politique dangereuse du Premier ministre Benyamin Netanyahou. » Pour conclure un texte particulièrement pénible à lire à la lumière des 18 mois qui viennent de s’écouler et au spectacle du massacre de Gaza, où elle congédie ses anciens amis qui n’ont pas adopté le récit officiel de Netanyahou.

Le problème posé par cette double délégitimation de la violence qui s’est produite le 7 octobre avec l’attaque du Hamas, est qu’elle se heurte doublement au réel. D’abord la description médiatique occidentale ne rend pas compte de ce qui s’est réellement passé, ensuite les Palestiniens ont toutes les raisons historiques de ne rien attendre dans leur lutte de libération nationale, de ceux qui se présentent, même avec la meilleure bonne foi du monde, comme des progressistes, et des pacifistes prêts à être leurs amis.

De quoi le 7 octobre est-il le nom ?

Nous l’avons dit, en septembre 2023 pour Jake Sullivan, même si l’échec de la contre-offensive ukrainienne de l’été était un peu difficile à avaler, au moins le Moyen-Orient était calme. Il y avait bien des signes un peu préoccupants avec le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, la réintégration de la Syrie de Bachar al-Assad à la Ligue arabe, l’adhésion de la même Arabie Saoudite et de l’Égypte à l’organisation des BRICS, mais détails que tout cela, les Palestiniens se tenaient tranquilles.  C’est alors que le Hamas a lancé ce qui était une offensive militaire en préparation depuis deux ans. Opération qui après avoir franchi les limites de la bande de Gaza a d’abord, profitant de la surprise, attaqué des installations militaires. Les troupes du Hamas ont été suivies par des irréguliers palestiniens, les uns et les autres se sont livrées à des meurtres de civils, et ont pris d’assaut des kibboutz implantés près des limites du territoire palestinien. Prise complètement par surprise, l’armée israélienne a réagi brutalement, en particulier en utilisant des hélicoptères dont les frappes ont touché à la fois des installations civiles et des citoyens israéliens comme en témoignent films, vidéos et témoignages. Le bilan officiel est de 1200 morts, parmi lesquels 600 soldats tués en uniforme, et une partie des 600 autres ayant été tués par les frappes israéliennes. Cette présentation qui essaie de sortir des propagandes respectives et contraires, devra probablement être modifiée au fur et à mesure que le travail d’analyse progressera, sachant qu’il a jusqu’à présent, été rendu très difficile par l’attitude d’un gouvernement Netanyahou craignant la mise en cause de sa responsabilité pour son impréparation. C’est donc a priori une opération de guerre menée dans le cadre d’un combat de résistance à une occupation coloniale dont le principe est considéré comme licite par le droit international. Sous la responsabilité du Hamas, ont manifestement été perpétré des crimes de guerre et probablement des crimes contre l’humanité au regard des dispositions des conventions de Genève.

Prétendre que cette opération militaire « s’est produite dans le vide », coup de tonnerre dans un ciel serein, est insoutenable, tout comme l’utilisation du terme « pogrom ». Dont chacun sait qu’il recouvre les émeutes sanglantes accompagnée de pillage et de meurtres perpétrée contre des communautés juives d’abord dans l’Empire russe particulièrement en Pologne, en Ukraine et en Bessarabie.

Le 7 octobre s’inscrit dans un conflit issu du projet de création d’un État juif en Palestine avec la déclaration d’indépendance de celui-ci en 1948. La violence qui l’a marqué, est de même nature que celles qui ont émaillées la vie de cette région depuis 80 ans. Les massacres de Sabra et Chatila en 1982,l’opération « plomb durci » en 2009, pour ne prendre que ces deux exemples ont eu des bilans supérieurs au 7 octobre. Et il est difficile de dire que pour les Palestiniens il y avait « de grands progrès vers une coexistence paisible » lorsque l’on sait les 400 morts palestiniens en Cisjordanie occupée entre le 1er janvier et le 7 octobre 2023. Tombés sous les coups des colons fanatiques surarmés et protégés par l’armée israélienne. Le tout dans une poursuite de la colonisation illégale avec son cortège d’exactions, pendant que le nouveau gouvernement d’extrême droit israélien réaffirmait son refus d’un État palestinien et sa volonté de destruction de la mosquée Al Aqsa pour construire « le troisième Temple » à la place. Enfin, nous citerons Larry Johnson l’ancien agent de la CIA spécialiste des problèmes de terrorisme ,concernant la dimension terroriste du Hamas : « Alors qu’Israël et l’Occident insistent à plusieurs reprises et sans cesse sur le fait que le Hamas n’est rien d’autre que l’un des groupes terroristes les plus meurtriers et les plus redoutables au monde, les données collectées et publiées par le ministère israélien des Affaires étrangères démystifient ce récit. Les affirmations contre le Hamas sont fausses. »

Il n’est pas question de banaliser ce qui s’est produit le 7 octobre, mais la présentation qui en a été faite en Israël et en Occident poursuivait un but, celui de justifier la terrible violence assénée à la population civile de Gaza, comme un dommage collatéral inévitable pour atteindre l’objectif de destruction d’un Hamas diabolisé. Les amis d’Israël ont utilisé cette présentation d’un « massacre hors normes » en utilisant cette singularité pour en rattacher l’origine aux motivations d’un islam régressif dont se revendique le Hamas. Mais pour ce faire, il a fallu y ajouter une autre transgression disqualifiante, celle d’avoir attaqué cette partie d’Israël sur laquelle les Palestiniens devraient au contraire s’appuyer pour retrouver leurs droits et faire la paix.

Miser sur le camp de la paix ?

Le problème est que de ce point de vue, l’Histoire est cruelle. Évidemment, il y a eu en Israël des gens extraordinaires, militants sincères d’une cohabitation apaisée entre juifs et arabes. Il y en a toujours, qui sont souvent des consciences admirables lorsque l’on pense à Gidéon Lévy, Tom Segev, ou Shlomo Sand. Mais les Palestiniens ne peuvent que constater que cela n’a jamais fait avancer leur cause.

L’Occident a pris l’habitude de justifier son soutien à Israël quoi qu’il fasse, en psalmodiant le mantra : « Israël la seule démocratie du Proche-Orient ». Israël est incontestablement une démocratie représentative au sens où on l’entend en Occident. On observera cependant tout d’abord, que pour le colonisé, non seulement ça ne change pas grand-chose, mais cela peut être un facteur aggravant. Soumis à l’élection, les dirigeants seront sensibles à la pression populaire qui en général ne s’exerce pas au profit des dominés. L’Algérie française en est un bel exemple ou les populations de souche ont eu plus à souffrir de la IIIe République que du second empire. C’est bien la IIIe République qui a décidé et organisé une colonisation de peuplement, qui a toujours tout cédé aux Européens, jusqu’à emmener la France au bord de la guerre civile en 1958. La décolonisation de l’Algérie fut catastrophique d’abord et avant tout parce que la France était une démocratie représentative. On rappellera également que l’Afrique du Sud blanche était une démocratie, certes réservée aux blancs. Mais ce sont bien des gouvernements élus qui ont décidé et mis en place l’apartheid.

Pour en revenir à Israël, force est de constater que cette démocratie tant vantée comme la seule du Proche-Orient, en oubliant opportunément le Liban par exemple, amène systématiquement au pouvoir des dirigeants d’extrême droite, racistes et suprémacistes qui refusent catégoriquement le respect du droit international et la création d’un État palestinien.

Et puis de toute façon, lorsque les travaillistes ont été au pouvoir, qu’est-ce que cela a changé ? La déclaration unilatérale et par conséquence illégale de l’indépendance d’Israël en 1948, sur 77 % du territoire de la Palestine mandataire, alors que le plan de partage proposé par l’ONU lui attribuait 55 %, ce sont les travaillistes. Les opérations militaires assorties de massacres pour provoquer la Nakba, ce sont les travaillistes. La guerre du Sinaï en 1956 ce sont les travaillistes. La guerre de conquête de 1967, ce sont les travaillistes. L’annexion de Jérusalem-est en 1967, ce sont les travaillistes. La destruction après la guerre des Six Jours, du quartier maghrébin de Jérusalem, établi depuis huit siècles devant le Mur des Lamentations, ce sont les travaillistes. La confiscation de la vallée du Jourdain en Cisjordanie, ce sont les travaillistes. L’horrible mot d’ordre « cassez leurs os » comme réponse à la première intifada, ce sont les travaillistes avec Itzhak Rabin. Le premier massacre de Cana, ce sont les travaillistes avec Shimon Peres. L’annexion du Golan ce sont les travaillistes. On arrêtera ici la litanie qui serait interminable de ces actes des dirigeants « de gauche progressiste » du premier Israël. Qui nourrissent la méfiance palestinienne vis-à-vis des dirigeants israéliens quels qu’ils soient.

On ajoutera à ce propos la reconnaissance pour ces mouvements pacifistes qui sauvent l’honneur d’Israël, mais dont le poids politique ne pèse pour rien dans le gouvernement de ce pays.

Cette deuxième disqualification de l’intervention du Hamas le 7 octobre pour son attaque « contre les pacifistes » ne fonctionne donc pas plus que la première. Par conséquent la thèse « d’un massacre terroriste hors normes » motivées par un islamisme nécessairement terroriste, n’est pas recevable. Et ne saurait expliquer ou justifier ce qu’Israël a fait en Palestine depuis le 7 octobre, à Gaza bien sûr, mais aussi il ne faut pas l’oublier en Cisjordanie ou près de 1000 morts palestiniens, dont 200 enfants, sont à déplorer depuis cette date.

Le problème est que le massacre infligé à la population civile de Gaza depuis le 7 octobre constitue une troisième invalidation, rétrospective celle-là du récit israélien de ce qui s’est passé ce jour-là.

Guerre de défense ou génocide ?

Dès les jours qui ont suivi, les décideurs israéliens ont affiché leurs intentions par des déclarations d’une violence sans précédent et ont clairement et explicitement montré dès ce moment-là qu’il n’était pas question seulement d’une guerre de défense, mais d’assouvir une vengeance et d’infliger une punition.

Il a fallu en Occident s’infliger de stupides guerres des mots. Entendre ceux qui disaient « défense légitime » de l’État d’Israël et se précipitaient, qui à Tel-Aviv, qui à Jérusalem pour la soutenir, en fermant les yeux sur ses modalités. Il fallut rapidement constater l’absence d’utilité militaire au regard de l’objectif de la destruction du Hamas, et assister à l’application de la ligne d’Isaac Herzog, Président d’Israël, proférant la phrase effarante selon laquelle : « il n’y a pas de civils innocents à Gaza ». L’armée israélienne a fait subir à la population palestinienne et en particulier aux 40 % d’enfants qui peuplent Gaza, une effroyable punition. Et ce sous les acclamations des fanatiques qui depuis le début hurlaient à la vengeance. Celle-ci est un sentiment humain, très humain, et c’est justement pour cela que la civilisation doit s’en garder même si c’est difficile. Les exemples historiques récents concernant ces pratiques de punition collective de civils innocents, auraient dû pourtant spécialement interpeller la communauté juive, qui en fut la victime de la part de ceux qui voulaient son extermination. On entendit des responsables israéliens pour justifier les massacres comparer les bombardements massifs de Gaza avec ceux réalisés par les alliés sur Hambourg et Dresde pendant la deuxième guerre mondiale, justifiant sans complexe une tuerie par une autre. On ne reviendra pas ici sur les horreurs qu’a connu la bande de Gaza depuis le 7 octobre, sur les bombardements sauvages, sur les assassinats ciblés des journalistes, du personnel médical, des militants humanitaires, sur l’organisation de la famine, tout ceci est documenté. Cette tragédie se déroulant en temps réel sous les yeux du monde, l’accusation de « génocide » a rapidement fusé. L’Afrique du Sud a saisi la Cour Internationale de Justice (CIJ) qui est la juridiction de l’ONU, par conséquent la première juridiction du monde pour les litiges entre états. S’appuyant sur la Convention sur le génocide de 1948 dont Israël est signataire, l’Afrique du Sud a soutenu qu’il existait un génocide à Gaza et que la convention devait recevoir application. Contenant une définition juridique de ce qu’est un génocide, le texte définit deux responsabilités pour un État : d’abord évidemment ne pas commettre lui-même de génocide, mais ensuite un devoir d’intervention pour le faire cesser s’il en existe, ou s’il y a un risque qu’il en existe. Tous les juristes sérieux et non directement impliqués qui se sont penchés sur la qualification que pouvait recevoir l’opération israélienne à Gaza, au regard des critères prévus par les conventions ont considéré que les critères matériels étaient réunis. Concernant l’intention génocidaire, la litanie des folles déclarations des extrémistes au pouvoir à Tel-Aviv l’établissait. Après une procédure régulière, la CIJ a rendu une ordonnance provisoire en exigeant qu’Israël remplisse son devoir de prévention et cesse immédiatement son opération militaire à Gaza. La seule réponse de l’État d’Israël a été la commission d’un nouveau massacre. Comme l’indiquait alors Gidéon Lévy dans Haaretz : « Le juge Nawaf Salam, président de la CIJ, avait à peine fini de lire le verdict qu’Israël intensifiait ses attaques sur Rafah, une ville que près d’un million de personnes ont fui pour rejoindre les plages et dans laquelle il ne reste plus qu’un hôpital de huit lits. »

En refusant d’exécuter une décision rendue par une juridiction légitime après une procédure régulière, l’État d’Israël s’est mis hors du droit international et se trouve donc désormais dans la situation d’un État paria. Qui peut justifier ça ?

La « guerre de défense » invoquée conduite dès le départ comme une opération de vengeance et de punition, s’est transformée, au point qu’Israël encourt aujourd’hui l’accusation de commettre un génocide. La Cour Pénale Internationale (CPI), juridiction pénale a décidé d’ouvrir des procédures contre deux dirigeants israéliens pour diverses infractions qui sont de sa compétence. Il faut être clair, on parle explicitement du « génocide » à partir de la définition des textes internationaux reconnus par tous.

Le récit occidental de « l’événement 7 octobre » visait à d’abord à dévoiler la vérité de ce qu’était le Hamas et ensuite justifier la formidable violence utilisée au vu et au su du monde entier par Israël.

Malheureusement c’est plutôt la vérité d’Israël que la séquence ouverte par le 7 octobre a dévoilé.

De quoi Israël est-il le nom ?

« La logique d’Israël, c’est la guerre », c’est par cette phrase que Michel Jobert ministre des affaires étrangères de Georges Pompidou avait commenté la guerre d’octobre 1973.

Ce qui se passe en Palestine depuis plus de 100 ans a donné lieu à une littérature extrêmement abondante, il n’est pas question ici de refaire l’Histoire. Simplement de rappeler que le projet de Théodore Herzl et de ses amis était de créer l’État-nation territorial des juifs. La deuxième moitié du XIXe siècle avait vu la pérennisation de cette forme d’organisation étatique qui fut l’outil institutionnel de la révolution industrielle et de l’installation politique du Capital. Pour des raisons sur lesquelles historiens, philosophes, religieux se disputent encore, on avait notifié aux juifs que dans les faits ils n’y n’auraient pas leur place. Force est de constater au regard du triomphe de l’antisémitisme européen éliminateur en Allemagne avec l’holocauste, que l’inquiétude de Théodore Herzl était pour le moins fondée.

 Le projet sioniste était donc celui d’un État-nation territorial comme les autres, c’est-à-dire occidental, pour les juifs. Le choix de la terre de Palestine obéissait à tout un tas de raisons, mais avait nécessairement une conséquence, celui de l’installation d’un colonialisme de peuplement. Conséquence qui avait elle-même deux conséquences : la spoliation et la domination, c’est-à-dire l’affrontement.

La création d’Israël est intervenue au pire moment de l’Histoire. Lorsqu’après la deuxième guerre mondiale, la victoire de l’Armée Rouge à Berlin enclenchait le processus de décolonisation qui allait démanteler les grands empires constitués par l’Occident au XIXe siècle. Quand le formidable événement qu’était l’Holocauste, qui avait vu un des pays occidentaux les plus civilisés se livrer à un massacre industriel sans précédent, renforcait évidemment le sentiment de solidarité de l’Occident à une communauté, qui avait été l’objet de ce malheur terrifiant. C’était effectivement plus simple de gérer son complexe de culpabilité en faisant payer le prix de la faute aux Arabes. Le tout dans un contexte de guerre froide, où l’Occident passait tout à Israël. Qui s’est alors transformé en État occidental suprémaciste comme les autres, dans une région qui justement n’en voulait pas.

Alors ce sera le torrent de dollars de la diaspora, le mécanisme finalement délétère de l’Alya comme levier d’acquisition de la nationalité, l’arrivée des colons, celles des communautés juives issues des pays arabes, des Russes après la chute de l’Union soviétique et dont beaucoup d’ailleurs n’étaient pas juifs, la modification du corps électoral, l’évolution des mentalités qui fait qu’aujourd’hui le chef de l’opposition soi-disant laïque Yaïr Lapid, tout en reconnaissant que « l’État d’Israël est devenu l’otage de fous irresponsables », s’oppose à la restitution de la Cisjordanie conquise par les armes avec cet argument imparable : « mais c’est notre terre biblique ! »

Pour les Palestiniens, enfants de ceux qui sont là depuis des centaines voire des milliers d’années, et qui sont chez eux, Israël c’est la Nakba, le déplacement forcé de centaines de milliers de personnes, l’expropriation des terres, la misère des camps de réfugiés depuis des décennies, les bombardements réguliers de Gaza, la perte de vies civiles, l’étouffement et la misère à Gaza. Et surtout au quotidien, l’injustice l’humiliation et la perte de la dignité.

Peut-on envisager un processus pour mettre fin à cet affrontement ? Une conférence internationale qui réussirait à imposer la création de deux états ? Et mettrait ainsi fin au conflit ? Avec les « fous irresponsables » qui dirigent Israël depuis des décennies et sont soutenus par leur opinion publique comme le montrent élections et études d’opinion ?

S’il en était besoin, Israël vient avec la tragédie de Gaza de fournir la réponse. Pour ce que ce pays est devenu il n’y a qu’une réponse qui apparaît clairement et elle est négative. Israël et son peuple viennent de donner à voir leur vérité. Elle est celle du bombardement des réfugiés de Rafah le lendemain du jour où la Cour Internationale de Justice, juridiction de la communauté internationale réelle, venait de lui ordonner d’arrêter ce massacre.

Nul besoin de faire des détours par l’islam régressif ou intégriste dont le Hamas serait porteur. Ce n’est pas la « vérité du Hamas », pas plus que celle de l’OLP, du FPLP marxiste, ou d’on ne sait quelle organisation qui va nous éclairer. C’est la vérité d’Israël qui vient de se donner à voir qui nous renseigne sur l’ampleur du tragique nous allons devoir affronter.

Vérité d’Israël

Finalement ce qu’Israël a donné à voir depuis le 7 octobre, le message qu’il a envoyé au monde est terrible. D’abord pour lui-même, que cette démonstration de l’impasse du projet sioniste, car la question se pose de savoir s’il pouvait être autre chose. Dire comme on l’entend en Occident « qu’Israël a un droit absolu à l’existence » relève de l’incantation. Absolu par rapport à quoi ? Par rapport au droit international, alors même que sa création s’est faite en dehors des cadres prévus par celui-ci et que depuis il refuse obstinément de l’appliquer et d’en tirer les conséquences ? En faisant expier aux palestiniens le crime européen de l’holocauste ? En considérant le livre sacré d’une religion minoritaire comme créateur de droits réels absolument opposables à toutes les autres ?

Alors reste l’idée du principe de légitimité, qu’un pouvoir, une autorité ou une règle ne sont acceptables que s’il repose sur un fondement juste, légal ou moralement valable. Fait historique la création de l’État d’Israël aurait peut-être pu permettre de construire cette légitimité. Mais l’histoire ne repasse jamais les plats. Ce qui vient de se produire, ce qu’ont raconté ces mois de martyr palestinien, l’autre incantation en permanence invoquée, fille de la première selon laquelle « Israël a le droit absolu de se défendre », tout a contribué à anéantir cette légitimité. Il appartiendra aux historiens de dire si le pari de Theodor Herzl était réalisable. Force est, de constater, en tout cas qu’il est perdu.

Le quotidien Haaretz vient de publier un sondage réalisé en Israël qui certes n’est qu’une de l’état de l’opinion, mais qui en dit long et vient conforter tant d’autres signes.

Il montre que 82 % des Israéliens juifs soutiennent le projet d’expulsion des Palestiniens natifs de la bande de Gaza. À la question de savoir si l’armée israélienne devrait agir comme les Israélites bibliques sous Josué à Jéricho, c’est-à-dire tuer tous les habitants d’une ville conquise, 47 % ont répondu oui.

Plus de 65 % des personnes interrogées croient en une incarnation moderne d’Amalek, un ennemi biblique des Juifs. Parmi celles-ci, 93 % pensent que le commandement biblique « d’effacer Amalek » s’applique encore aujourd’hui. 82 % sont favorables à l’expulsion de tous les Palestiniens de Gaza. Plus de la moitié (56 %) soutiennent également l’expulsion des Palestiniens natifs de Gaza mais citoyens israéliens. En 2003, ces opinions étaient moins répandues, avec respectivement 45 % et 31 %.

Les Israéliens laïques sont également favorables à des mesures radicales. Parmi eux, 69 % soutiennent l’expulsion de la population de Gaza et 31 % sont favorables à une destruction de Jéricho inspirée de la Bible. Ces tendances sont plus marquées chez les jeunes. Parmi les Israéliens juifs de moins de 40 ans, 66 % sont favorables à l’expulsion des citoyens palestiniens autochtones et 58 % à la répétition de la conquête de Jéricho. Seuls 9 % des hommes de moins de 40 ans, soit les plus susceptibles de servir dans l’armée, rejettent toute idée d’expulsion ou de génocide !

Vérité d’Israël, vérité de l’Occident

Quoi que s’imaginent les fanatiques et ceux qui les soutiennent, le spectacle mondial de la catastrophe humaine et morale qu’Israël vient de faire subir à la population palestinienne, ne sera jamais, ni oublié ni pardonné. Pas plus que ne sera acceptée, la volonté revendiquée du projet d’éradication du peuple palestinien de sa terre.

Mais au fond on peut se demander si la pire erreur commise par les suprémacistes furieux qui dirigent à Tel-Aviv, n’est pas celle d’avoir instrumentalisé le soutien occidental à leurs horreurs. À part une poignée de pays qui ont sauvé l’honneur, force est de constater qu’avec les États-Unis en tête, nombre de pays occidentaux, ont soutenu, armé, financé le massacre. Et pour la plupart mis leurs opinions publiques sous surveillance, en criminalisant toute critique d’Israël assimilée à de l’antisémitisme voire à de l’apologie du terrorisme. Avec une mention particulière pour le zèle déployé par la France et l’Allemagne, qui ont mobilisé flics et juges au soutien de l’inacceptable.

Or, la globalisation comme forme moderne de la domination occidentale touche à sa fin. Une période de près de 500 ans est en train de s’achever, qui fut porteuse de progrès et de création de richesses mais également d’une violence parfois terrifiante sur l’ensemble du globe. Au moment d’organiser sa sortie de l’histoire, l’Occident n’a rien trouvé de mieux que de soutenir bec et ongles le génocide Israélien comme s’il reprenait à son compte la formule du scorpion de la fable justifiant « par sa nature » de tuer la grenouille.

Finalement, cette connivence, cet indéfectible soutien démontre de façon trop claire qu’Israël, c’est l’Occident. Et le temps de celui-ci est terminé.

Qui t’a dit que je dors ?

Dans son livre intitulé « Le paradoxe juif » [Editions Stock, 1976], Nahum Goldmann rapporte les détails d’une conversation ayant eu lieu au domicile de Ben Gourion, en 1956.

« Je ne comprends pas ton optimisme », me déclara Ben Gourion. « Pourquoi les Arabes feraient-ils la paix ? Si j’étais, moi, un leader arabe, jamais je ne signerais avec Israël. C’est normal : nous avons pris leur pays. Certes, Dieu nous l’a promis, mais en quoi cela peut-il les intéresser ? Notre Dieu n’est pas le leur. Nous sommes originaires d’Israël, c’est vrai, mais il y a de cela deux mille ans : en quoi cela les concerne-t-il ? Il y a eu l’antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce leur faute ? Ils ne voient qu’une chose : nous sommes venus et nous avons volé leur pays. Pourquoi l’accepteraient-ils ? Ils oublieront peut-être dans une ou deux générations, mais, pour l’instant, il n’y a aucune chance. Alors, c’est simple : nous devons rester forts, avoir une armée puissante. Toute la politique est là. Autrement, les Arabes nous détruiront. » J’étais bouleversé par ce pessimisme, mais il poursuivit : « J’aurai bientôt soixante-dix ans. Eh bien, Nahum, me demanderais-tu si je mourrais et si je serais enterré dans un État juif, que je te répondrais oui : dans dix ans, dans quinze ans, je crois qu’il y aura encore un État juif. Mais si tu me demandes si mon fils Amos, qui aura cinquante ans à la fin de l’année, a des chances de mourir et d’être enterré dans un Etat juif, je te répondrais : cinquante pour cent. » Mais enfin, l’interrompis-je, comment peux-tu dormir avec l’idée d’une telle perspective tout en étant Premier ministre d’Israël ? « Qui te dit que je dors ? » répondit-il simplement. »

David Ben Gourion, originaire de Palestine savait à quoi s’en tenir. C’est la raison pour laquelle il avait fait ce qui ressemblait à un pari. Mais au fond, il révélait la vérité d’Israël dans cette phrase : « nous devons rester forts, avoir une armée puissante. Toute la politique est là. » L’armée israélienne n’est désormais plus puissante que dans le massacre de femmes et d’enfants sans défense. Et vient de faire subir à son pays une énorme défaite morale. Et probablement également une défaite militaire comme l’exprime son impuissance à atteindre l’objectif de la défaite du Hamas.

Sûr de sa force, persuadé de sa supériorité ethnique, ivre de sa domination, convaincu du soutien d’un Occident dominateur, Israël s’était endormi. Le 7 octobre l’a réveillé en sursaut dans un monde qui avait changé.

Il ne retrouvera jamais le sommeil.

Source : Vu du Droit
https://www.vududroit.com/…

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