La Cour pénale internationale (CPI) sert depuis trop longtemps d’arme au colonialisme plutôt que de tribunal de justice.

Samidoun (*), 20 mai 2024

Depuis des années, à tous les niveaux d’organisation et de lutte, le peuple palestinien réclame que les dirigeants du régime sioniste soient tenus pour responsables devant les tribunaux internationaux – et tout particulièrement la Cour pénale internationale – de leurs actuels génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Palestine occupée. En ce jour du 20 mai 2024, le procureur de la CPI, Karim Khan, a annoncé son intention de demander des mandats d’arrêt, non seulement contre les criminels de guerre sionistes Benjamin Netanyahou et Yoav Gallant, mais aussi contre les dirigeants de la résistance palestinienne Yahya Sinwar, Mohammed Deif et Ismail Haniyeh.

Soyons clairs : On ne peut établir d’équivalence entre, d’une part, la résistance légitime du peuple palestinien et ses dirigeants, dont Yahya Sinwar, Mohammed Deif and Ismail Haniyeh, et, d’autre part, le colonisateur sioniste illégal. La tentative en vue de mettre sur un pied d’égalité la victime et le perpétrateur constitue une injustice fondamentale et non la recherche d’une justice longuement refusée.

Il est certes vrai que la résistance palestinienne a reconnu ce risque, surtout étant donné les puissants intérêts politiques impliqués et les antécédents de la CPI dans la poursuite d’Africains et, aujourd’hui, des ennemis de l’Occident impérialiste. En 2014, quand l’Autorité palestinienne a accédé au Statut de Rome, et de nouveau en 2024, la direction de la résistance palestinienne – et en particulier le Hamas, le Mouvement de la résistance islamique – a exprimé son ouverture à des enquêtes internationales et sa volonté de comparaître devant la CPI s’il y avait une tentative de rechercher significativement la justice face aux occupants et aux génocidaires de la Palestine ainsi qu’à leurs alliés et complices impérialistes.

Toutefois, le fait que la résistance accepte, comme toujours, de se sacrifier pour la Palestine et d’être soumise à l’injustice de sorte que son peuple puisse voir la liberté, ne rend pas les actions de Khan plus justes, plus acceptables ou plus équitables, pas plus qu’elle ne les rend légalement valables.

Les références répétées de Khan aux « droits » des colonisateurs sionistes, alors qu’il n’aborde nullement les droits palestiniens, de même que sa référence légalement invalide au prétendu « droit d”Israël’ à l’autodéfense », alors qu’un occupant et colonisateur n’a pas le droit de se défendre contre le peuple qu’il occupe et colonise, éclairent l’actuel parti-pris du procureur de la CPI et son adoption d’un cadre impérialiste pour les opérations de la Cour. Il n’a fait aucune mention du droit du peuple palestinien à résister et à se libérer par le biais de la lutte armée, bien que ce droit bénéficie du large soutien du droit international.

En fait, c’est uniquement à cause de la résistance, à cause de la volonté des combattants de la résistance, entourés et entretenus par son soutien populaire, que ces mandats d’arrêt contre les criminels de guerre sionistes ont été proposés et envisagés. C’est la bravoure, la créativité et la détermination révolutionnaire du peuple palestinien et de sa résistance, y compris et particulièrement via la la lutte armée, qui a rétabli l’équilibre du pouvoir au point que les crimes de l’occupant ne peuvent plus être accueillis en toute impunité.

Chaque succès juridique a été permis non pas par le pouvoir objectif ni par l’application de la loi, mais par la modification de la réalité provoquée par la lutte armée palestinienne, accompagnée par les forces régionales et mondiales de la résistance, particulièrement de la résistance libanaise, des forces armées, du peuple, du gouvernement et du mouvement AnsarAllah au Yémen, en s’étendant à travers l’Irak, la Syrie et l’Iran. Il renvoie aussi au berceau populaire international croissant de la résistance, depuis les campements d’étudiants aux manifestations de masse et aux actions directes contre les fabricants d’armes, lesquelles montrent clairement que le « business as usual » au cœur du monde impérialiste est impossible tant que le génocide perdure.

Il est clair que le 7 octobre a changé le monde. Alors que Khan cherche à prétendre que l’histoire a commencé le 7 octobre et à ignorer la très longue histoire du colonialisme, de la Nakba en cours et du génocide incessant depuis 1948, la résistance palestinienne a montré clairement, le 7 octobre, que l’horizon d’une véritable décolonisation s’ouvrait en Palestine, qu’il était possible non seulement d’imaginer, mais aussi d’établir une Palestine libérée du sionisme et une région libérée de l’impérialisme.

Le choix de demander des mandats contre Netanyahou et Gallant, mais pas en même temps contre Benny Gantz, Gadi Eisenkot, Itamar Ben-Gvir, Isaac Herzog, Herzi Halevi et autres criminels de guerre, indique également son parti-pris consistant à vouloir apaiser la direction politique des puissances impérialistes. Bien sûr, Netanyahou et Gallant sont des criminels de guerre génocidaires dont la direction de l’actuel génocide en Palestine ne peut être sous-évaluée. Ils ont sur les mains le sang de plus de 40 000 Palestiniens au cours des seuls sept derniers mois.

Toutefois, les omissions semblent chercher à éclaircir la route vers la désignation de Gantz (ou autre personnage similaire) comme Premier ministre du régime sioniste. Le fait que diverses puissances impérialistes, et même un secteur significatif de l’establishment sécuritaire sioniste, pensent que Netanyahou n’est pas indiqué pour l’avenir du projet sioniste et impérialiste n’est un secret pour personne ; ils croient que d’autres personnalités sont bien plus dignes de confiance pour assurer leur projet colonial prioritaire dans la région. Ils croient que Netanyahou assure son propre avenir politique et sa protection vis-à-vis des poursuites au détriment de l’avenir du projet sioniste dans la région, et ceci a été l’une des causes majeures de l’agitation croissante et du désarroi interne au sein même du régime « israélien ».

La demande de mandats d’arrêt indique que les puissances impérialistes, dont les États-Unis et l’Union européenne, sont très embarrassées à propos de l’avenir de la colonie sioniste dans la région et qu’elles reconnaissent qu’il est sur la voie de la défaite, de l’évincement et de la dissolution.

Il convient de remarquer que ces puissances impérialistes, particulièrement les États-Unis, qui ont brandi la menace de la guerre si leurs dirigeants étaient condamnés, refusent d’être tenues pour responsables devant la CPI, un sort qu’elles n’ont traditionnellement considéré comme acceptable que pour les cibles de l’impérialisme, en particulier les Africains. Le projet colonial sioniste en Palestine a toujours été génocidaire. Son existence même est un crime de guerre et un crime contre l’humanité. La demande de mandats d’arrêt par le procureur de la CPI ne commence même pas à effleurer la magnitude de ses crimes en Palestine.

Ces omissions sont particulièrement odieuses étant donné que le mandat limité de la CPI en Palestine remonte à 2014 et que, néanmoins, aucun crime avant la date du 7 octobre 2023 n’a été pris en compte dans la décision de Khan de demander ces mandats d’arrêt. Ceci vient en même temps que la décision d’accuser trois dirigeants palestiniens (de la résistance légitime) face à deux hauts responsables sionistes (de la colonie de peuplement et de l’avant-poste impérialiste illégaux) et d’émettre huit accusations contre les Palestiniens, contre sept à l’encontre des sionistes ; et de ne pas chercher la moindre accusation dans le cadre de l’article 6 du Statut de Rome, qui couvre le génocide, contre les criminels de guerre sionistes.

Il est particulièrement scandaleux, alors que Khan cherche à accuser les dirigeants de la résistance palestinienne de « torture », qu’il n’a pas cherché à émettre la moindre accusation similaire contre le régime sioniste qui, actuellement, emprisonne et torture plus de 9 400 prisonniers palestiniens. Depuis le 7 octobre 2023, on fait état du martyre de seize prisonniers palestiniens, dans le même temps qu’au moins 27 Palestiniens sont morts dans les camps de concentration et de torture pour les civils palestiniens kidnappés à Gaza et transférés à Sde Teiman. Des sources palestiniennes et internationales – et même des lanceurs d’alerte sionistes – ont mentionné et dénoncé à maintes reprises les conditions horribles, les négligences médicales, les tortures brutales, les amputations forcées et la politique de famine utilisées contre les détenus palestiniens aussi bien dans ces camps de concentration que dans le système carcéral sioniste. Les photos de détenus palestiniens libérés après des mois passés en prison – comme celles d’Omar Assaf et d’Imad Barghouti – soulignent bien le niveau des mauvais traitements et des tortures qui est devenu la norme dans les geôles sionistes.

Face au fait qu’on n’a pas cherché à accuser Gantz, ses collègues du « cabinet de guerre » et le chef des forces d’occupation israéliennes, Halevi – ni non plus tous les hautes personnalités sionistes responsables de crimes contre l’humanité et de génocide en Palestine depuis 2014, et encore moins depuis 1948 – nous assistons à l’accusation à l’encontre d’Ismail Haniyeh, en tant que dirigeant politique de la résistance palestinienne. Le fait de vouloir accuser Haniyeh s’avère être une tentative en vue de saper la présence palestinienne dans les actuelles négociations autour d’un cessez-le-feu et d’ajouter un autre niveau de pression sur la résistance palestinienne afin qu’elle accepte l’occupation permanente des sionistes et de l’impérialisme à Gaza.

Cela montre clairement aussi que les accusations contre les criminels de guerre sionistes sont sélectives, alors que la direction de la résistance palestinienne doit être ciblée dans sa totalité. Nous avons entière confiance dans la volonté de sacrifice de la résistance, de sa capacité à se défendre avec brio au tribunal et à remporter une victoire décisive dans n’importe quel procès équitable.

Les choix des charges à l’encontre des dirigeants de la résistance (huit motifs d’accusation contre sept seulement à l’encontre des sionistes, toutes affaires confondues) invoquant de nombreuses allégations démystifiées de la propagande sioniste, dont « viol » et « extermination », tout en ne maintenant pas les accusations de génocide et d’apartheid à l’encontre des criminels de guerre sionistes, souligne encore plus cette partialité.

Nous espérons tous voir Netanyahou et Gallant sur la sellette et apprécier cette fissure manifeste dans l’armure de l’impunité du régime sioniste. Nous savons que ce sont eux qui voyagent en permanence dans le monde entier pour recevoir des milliards en soutien de la part de leurs sponsors impérialistes. Dans un même temps, il est également manifeste que le procureur de la CPI n’agit pas de façon vraiment neutre et qu’en lieu et place il applique les directives des puissances impérialistes qui n’accepteraient pas la moindre accusation contre la direction sioniste sans une clause concernant les « deux camps » et ciblant la résistance palestinienne déjà passablement criminalisée et réprimée. La mise sur un même pied de la résistance autochtone et du colonisateur illégitime fait partie de la minimisation du génocide plutôt que des poursuites judiciaires à son encontre.

Il est clair en outre que la CPI n’est pas une institution dans laquelle nous pouvons placer notre confiance, comme le prouvent sa propre histoire et sa mauvaise volonté absolue à demander des comptes à ne serait-ce qu’un seul des responsables des agressions horribles contre l’Irak et l’Afghanistan, la Libye et la Syrie ; de la politique de famine imposée au Venezuela via des sanctions et des blocus, de l’extraction de la richesse en Afrique, de la tentative d’imposer la famine et le génocide au Yémen, de la déstabilisation et de la destruction en cours de Haïti.

La CPI sert depuis trop longtemps d’arme au colonialisme plutôt que de tribunal de justice. Nous avons confiance en la justice révolutionnaire du peuple palestinien. On ne peut mettre sur un même pied le colonisateur et le colonisé, ni le bourreau et la victime.

Gloire et victoire à la résistance palestinienne, à la résistance libanaise et yéménite, à toutes les forces de résistance dans la région et dans le monde.

L’impérialisme et le sionisme seront vaincus et, du fleuve à la mer, la Palestine sera libre.

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(*) La Plateforme Charleroi-Palestine est membre de Samidoun, réseau international de solidarité avec les prisonniers palestiniens

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Publié le 20 mai 2024 sur Samidoun
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Source : Charleroi pour la Palestine
https://charleroi-pourlapalestine.be/…