Par Chems Eddine Chitour
«Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.»
(Guillaume d’Orange)
Résumé
L’Algérie a le grand privilège d’abriter le Sommet arabe, manifestation d’envergure internationale qui sera certainement analysée par les grands ensembles mondiaux. C’est une prouesse que de réunir les pays arabes au sortir du Covid, dans une conjoncture où, à côté des dossiers classiques qui n’ont pas trouvé de solution satisfaisante, c’est peut-être l’occasion de mettre en œuvre une realpolitik capable d’arriver à un consensus sur les grands dossiers : matières premières, énergie, changement climatique, mais, par-dessus tout, la nécessité de se convaincre que ce qui nous unit est de loin plus important que ce qui nous divise. Dans un siècle où les identités et les territoires ne sont plus gravés dans le marbre, mais sont en perpétuelle adaptation. Dans ce nouveau siècle en perpétuelle recomposition, il est important que les pays arabes réfléchissent à une Nahda technologique œcuménique pour des peuples partageant en commun une langue, une espérance religieuse et une culture. À n’en point douter, elle sera un facteur d’équilibre dans un monde qui a grand besoin de stabilité.
Qu’est-ce qu’être arabe au XXIe siècle ?
Les premiers usages du terme «Arabe» se trouvent dans les annales du royaume assyrien, qui dominait la Mésopotamie entre le Xe et le VIIe siècle avant Jésus-Christ : en 853 av. J.-C., lors d’une bataille, un certain Gindibou l’Arabe (arbâya) soutint un roi syrien en lui apportant mille chameliers – il choisit alors le mauvais camp et fut vaincu par les Assyriens bien plus tard. Malgré l’apparition de dynasties rivales, sunnites ou chiites, en Espagne (omeyyades), en Égypte (fatimides), en Iran, les IXe et Xe siècles sont souvent considérés comme un âge d’or pour le monde islamique. Néanmoins, plusieurs vagues d’invasions affaiblissent le pouvoir : Selon les régions, des dirigeants berbères, turcs, mongols exercent le pouvoir sur des populations qui parlent la langue arabe. À partir du XVe siècle, la nouvelle dynastie ottomane impose progressivement sa domination sur le monde méditerranéen. Enrichie par la découverte de l’Amérique et le développement du commerce au long cours, l’Europe cherche à étendre sa puissance sur le monde.(1)
Une interrogation qui a traversé les siècles est de définir le degré «d’arabité» si on peut s’exprimer ainsi. Est-on arabe par la naissance, l’identité ethnique, l’usage de la langue arabe, la nationalité ou tout simplement le partage d’une civilisation qui a connu son heure de gloire à l’ombre de l’Islam ? Les pays dits «arabes» sont souvent définis selon un critère linguistique (l’arabe comme langue officielle ou co-officielle) ou ethnique (population arabe dominante, principalement dans la péninsule Arabique). Tout d’abord, l’argument de la nationalité qui ne peut être invoqué car plusieurs pays du Golfe et non des moindres (Arabie saoudite, Émirats…) octroient la nationalité saoudienne ou émiratie à toute compétence allogène.
Les appellations sont nombreuses concernant la zone de localisation des pays dits «arabes» : monde arabe, nation arabe, communauté des Arabes et, si on désigne cette zone du point de vue géopolitique, on parle alors de Moyen-Orient, de Proche-Orient, de Maghreb, etc. Les Arabes privilégient plutôt celle de nation arabe (al-watan l-’arabi) ou celle de «communauté arabe» (al-ʾummah al-ʿarabīah) ayant une connotation religieuse. Certes, la langue arabe est présente dans la littérature ainsi que dans les médias mais elle diverge dans la vie quotidienne par l’usage de langues propres à chacun de ces 23 pays, notamment au Maghreb, avec l’amazighité. (2)
De nos jours, l’Islam est la religion majoritaire du monde arabe, mais les Arabes ne représentent qu’une petite minorité des musulmans dans le monde : à peine 20% ! Les Arabes chrétiens d’Orient, présents en Égypte et au Proche-Orient, se caractérisent par une grande diversité d’églises. Nous trouvons des Arabes musulmans dans des pays chrétiens et même en Israël, mais aussi des Arabes chrétiens.
L’apport des Arabes à la civilisation universelle
Quand on se rend compte de toute l’étendue des domaines que la civilisation musulmane, initiée par les Arabes, embrasse dans les expérimentations scientifiques, les pensées et les écrits, on voit que, sans les musulmans, la science et la philosophie européennes ne se seraient pas développées à l’époque comme elles l’ont fait. Les califes faisant figure de despotes orientaux éclairés ne se contentèrent pas de transmettre simplement la pensée grecque. Ils en furent les authentiques continuateurs. Lorsque vers 1100, les Européens s’intéressèrent à la science et à la philosophie de leurs ennemis sarrasins, ces disciplines avaient atteint leur apogée. Les apports de la civilisation islamique se retrouvent dans les techniques, l’art, la philosophie… les mathématiques, la médecine, l’astronomie. C’est à Bagdad, au début de l’ère abbasside, que se produit une extraordinaire floraison intellectuelle. Al Andalus est l’autre grand foyer de transmission à l’Occident chrétien de la pensée gréco-arabe. En 756, l’Umayyade Abel ar-Rahman fonde l’émirat de Cordoue. Cordoue rivalise avec Le Caire et Bagdad. Une nouvelle valeur s’impose : la nécessité de la culture. Les sciences religieuses et profanes se déploient, les controverses sont fréquentes.
«La langue arabe ne peut pas être considérée comme une langue «rare» puisqu’elle est parlée par plus de 350 millions d’individus dans le monde. L’âge d’or de la langue arabe c’est aussi l’âge d’or de la science et de la technologie musulmanes dont les plus grands auteurs étaient arabophones sans être arabes. Maïmonide écrivit son livre Dellalat el haïrin (Le guide des égarés) en arabe et non en hébreu. Bagdad était illuminée quand l’Europe émergeait aux temps historiques. On raconte que Haroun Er Rachid envoya comme présent à Charlemagne vers l’an 800 une horloge à eau ; une clepsydre. Charlemagne lui aurait envoyé en retour des lévriers. D’un côté, les premières horloges du monde, révolution technologique majeure s’il en est, de l’autre des lévriers… ! Non, les Arabes n’étaient pas des barbares !(3)
Éloge de la langue arabe
Jacques Berque, orientaliste français, né en Algérie, bien connu, fait l’éloge de la langue arabe : «La fonction de la langue, pour les Arabes, est différente, supérieure à celle qu’elle remplit pour les Occidentaux. La langue chez les Arabes exprime et suggère, guide et transcende.» Il y a absence de lien logique entre les syllabes d’un mot et leur signification. Ainsi, en arabe, les mots se rapportant à l’écrit dérivent tous de la racine k.t.b.: maktûb, maktab, maktaba, kâtib, kitâb. En français, ces mêmes mots sont : écrit, bureau, bibliothèque, secrétaire, livre. Les mots français sont tous les cinq arbitraires, mais les mots arabes sont, eux, ‘’soudés, par une transparente logique, à une racine, qui seule est arbitraire’’. Alors que les langues européennes solidifient le mot, le figent, en quelque sorte, dans un rapport précis avec la chose, que la racine n’y transparaît plus, qu’il devient, à son tour, une chose, « signifiant » une chose, le mot arabe reste cramponné à ses origines. Il tire substance de ses quartiers de noblesse.»(4)
Les pays arabes et le développement économique et humain, selon le Pnud
Les pays arabes ont fait des efforts en ce début du XXIe siècle. Il y a 20 ans, le 24 juillet 2002, le Pnud publiait le premier rapport sur le développement humain dans les pays arabes, en stigmatisant une pauvreté récurrente, de très grandes disparités et un retard dans les objectifs de développement.
En 2021, le taux de chômage a atteint 12,6% dans la région des États arabes, le taux d’activité des femmes était estimé à 20,3% en 2019. La «région arabe» ne manque pourtant pas d’atouts, humains en particulier, avec une population beaucoup plus jeune que la moyenne mondiale (38% des personnes ont moins de quatorze ans). Au chapitre des acquis, «des progrès considérables, souligne le rapport, ont été enregistrés dans les services sociaux de base : santé, logement et éducation», l’éducation des jeunes est «quantitativement» plus importante, l’espérance de vie à la naissance s’est sensiblement améliorée. En 2020, 69 millions de personnes souffraient encore de malnutrition dans le monde arabe, où un tiers des 420 millions d’habitants n’ont pas accès à une alimentation adéquate, rapporte l’Organisation des Nations unies (FAO).(5)
Les atouts des pays arabes et les opportunités post-Covid
Comme le souligne le rapport des Nations unies du 21 juin 2022, il existe des opportunités à saisir, notamment en développant une transition verte. Le relèvement post-Covid, une opportunité pour stimuler le développement dans la région. Une gouvernance réactive, des économies plus diversifiées, des sociétés inclusives et une transition verte sont essentielles pour parvenir à un développement durable et inclusif et prévenir les chocs et les catastrophes futurs. Alors qu’ils explorent des voies pour se remettre des impacts de la pandémie de Covid-19, les États arabes doivent agir rapidement, de manière décisive et à une plus grande échelle, pour évaluer et renforcer leurs capacités et mettre en place des structures institutionnelles efficaces et dignes de confiance qui peuvent soutenir un nouveau contrat social et permettre aux sociétés de faire face aux chocs et catastrophes futurs.(6)
«Le RADH 2022 envisage avec optimisme une dynamique croissante dans la région pour se diversifier au-delà de l’économie des combustibles fossiles et accélérer la transition vers les énergies renouvelables et les solutions à haut rendement énergétique. Le rapport souligne que l’énergie solaire est un atout stratégique pour diversifier la consommation d’énergie, renforcer la sécurité énergétique et construire une économie du futur, basée sur la connaissance, la haute technologie et la création d’emplois pour les jeunes. L’intégration de solutions vertes dans les stratégies de relèvement des États arabes est une opportunité importante, qui peut aider la région à ralentir les changements écologiques négatifs et à renforcer sa résilience face aux chocs futurs.»(6)
Cependant, le rapport souligne que les rapports gouvernants-gouvernés devaient changer pour permettre aux citoyens libres de donner la mesure de leur talent : «Les pays de la région ont besoin de nouveaux contrats sociaux qui ouvrent la voie à la paix, à la justice et à la stabilité, en ne laissant personne de côté, en mettant en place des institutions plus résilientes, inclusives, responsables et fiables, et en développant les capacités et les libertés humaines. Veiller à ce que les voies du relèvement soient vertes, en accélérant et en développant les initiatives de transition vers une énergie propre, en développant les investissements dans les transports et les infrastructures écologiques, en comblant les lacunes dans les services d’approvisionnement en eau et de traitement des déchets, en intégrant des solutions d’économie circulaire dans le développement local et en faisant progresser la restauration écologique et la protection des systèmes biologiques. Dans la région des États arabes, où environ 60% de la population a moins de 30 ans, la crise climatique exacerbe les vulnérabilités environnementales et expose un nombre croissant de communautés à l’insécurité hydrique et alimentaire, et aux déplacements. Parmi ces défis de taille, de nombreux jeunes s’engagent dans le leadership climatique.
Une nouvelle Nahda scientifique avec les outils du XXIe siècle ?
En son temps, dans une conférence en 1883, Ernest Renan décrivait les musulmans comme installés dans les temps morts ; «Pendant qu’Averroès arrive dans les écoles latines à une célébrité presque égale à celle d’Aristote, il est oublié chez ses coreligionnaires.»(7) Djamel Eddine Al Afghani lui répondit : «Les raisons du déclin, à savoir l’étouffement de la science par les pouvoirs temporels. L’Islam ayant toujours encouragé le savoir.»
Quelle serait la solution ? Pour l’historien libanais Georges Corm, il ne faut pas singer l’Occident : «Les problèmes du monde arabe sont différents. C’est pour cela que j’appelle au rétablissement d’une autonomie de la pensée arabe. Cette pensée doit se tenir sur ses pieds, cesser d’être focalisée, ou dans la haine, ou dans l’admiration de la culture européenne et s’intéresser aux Japonais, aux Chinois et aux Coréens pour savoir comment ils s’en sortent. Qu’elle aille regarder ailleurs ! Je ne crois pas qu’on soit fatigué de ce dialogue inutile avec la pensée européenne. (…) Aujourd’hui, on est tombé dans la passion, positive ou négative. Il y a les démocrates béats et des islamistes béats. Il n’y a pas de pensée critique. Cela peut être lié au système scolaire et à l’importation de programmes de sciences humaines prêts à l’emploi. On a remplacé Ibn Khaldoun par Max Weber. Pour moi, c’est terrible, car j’ai une opinion négative de Weber. Il est le cristallisateur du narcissisme européen et protestant. On a remplacé les grands philosophes Ibn Rochd et Ibn Sina par Hegel. On a oublié Tahtaoui. C’est aberrant! (…) Il y a eu des oulémas d’Al Azhar, Ibn Badis, Kheireddine El Tounsi. (…) L’indépendance de l’esprit arabe a été kidnappée par la culture orientaliste européenne. (…) Après tout, Arabes et Berbères, Arabes et Kurdes ont vécu en symbiose pendant des siècles. Nous avons importé les problématiques minorité/majorité que la géopolitique a employées pour démanteler l’Empire ottoman. Cela est éclatant en Irak : Kurdes-Arabes, Turkmènes-Arabes, chiites-sunnites, etc.»(8)
Comparaison monde arabe-Union européenne
Pour nous permettre d’étudier globalement les chances de mutualisation des savoirs et des avoirs des pays arabes dans une Nahda technologique, il nous a paru utile de prendre exemple sur l’Union européenne. La surface des pays partageant en commun une civilisation, une culture, une langue est de 13 166 235 km2, soit trois fois les 27 pays européens (4,233 millions de km2). Surface forestière (% du territoire) ne représente que 2,8 (2020) contre 39,8%. La population est du même ordre en 2021, 444, 5 millions d’habitants contre 446,9 millions d’Européens. L’espérance de vie est de 72 ans contre 80 ans en 2020. La croissance est par contre plus importante dans les pays arabes, 1,9% en 2021 contre -0,1, ce qui veut dire que la population européenne est sur le déclin.(9)
La production céréalière des pays arabes en 2020 était de 52 690 063 millions de tonnes dont l’Algérie avec 4 393 322, l’Arabie saoudite 1 180 993, l’Égypte 22 320 185 contre 286 millions tonnes en 2020 pour l’Union européenne avec la France 53 millions de tonnes qui produit autant que tous les pays arabes et même un pays qui n’est pas dans l’Union européenne, l’Ukraine, produit 86 millions de tonnes.(9) Les pays arabes sont en déficit du point de vue céréales. Ils dépendent de trois grands pays, l’Ukraine, la Russie et la France.
«Le PIB des pays arabes ($ US) 2,85 billions en 2021 soit un PIB par habitant de 6 412,4 $ en 2021 contre 17,09 billions en 2021 et un PIB de 38 234,1$ par habitant. Là encore la richesse est en moyenne 6 fois plus importante. Le chômage total 11,6 $ contre 7,0 (2021). Pour les pays arabes, les émissions de CO2 (tonnes métriques par habitant) 4,4 tonnes en 2019. L’accès à l’électricité (% de la population) est de 90,3 (2020). Pour les pays européens, les émissions sont légèrement plus élevées 6,1% en 2019. Par contre, l’électrification des pays de l’Union européenne est totale (100% en 2020). La part des énergies renouvelables est marginale dans les pays arabes, 0,5% en 2015. Ce qui indique qu’il n’y a pas encore de détermination à sortir des énergies fossiles pour les pays pétroliers où il y a manque de financement pour les pays non pétroliers. Enfin, les retraits annuels d’eau douce sont préoccupants pour les pays arabes, total 19% des ressources internes (2018) contre à peine 14% en 2018 pour les pays européens. Le dernier paramètre concerne la visibilité de la femme et sa participation au développement des pays. Au sein des parlements, 18% contre 33% pour l’Union européenne.(9)
S’agissant de la recherche, le retard est abyssal. C’est là le nœud gordien où tout se joue : «Les pays du Mena avaient une population de presque 335 millions d’habitants (MH). Le nombre de livres traduits est 5 par MH, et ce chiffre est de 930 pour l’Espagne. Le nombre d’articles scientifiques cités par MH selon l’indicateur SCI : 0,02 en Égypte ; 0,07 en Arabie saoudite. Il est de 43 pour les États-Unis. La production scientifique de 1,4% de la production mondiale avec 14 000 publications (l’équivalent de la Belgique). La production technologique : les pays du Mena ont déposé un total de 836 brevets et Israël 16 805. Les taux du PIB engagés dans la recherche s’établissent entre 0,2% pour la plupart des pays. Les États-Unis d’Amérique à 2,7% du PIB, l’Allemagne à 2,6%, le Royaume-Uni 1,7%. Sur le plan mondial, les dépenses sont comme suit : les États-Unis d’Amérique avec 1205,9 dollars par habitant, le troisième le Japon avec 1153,3 dollars par habitant, etc. Les pays arabes occupent les rangs après la 100e place avec 14,7 dollars par habitant.(10)
Les pays arabes à la croisée des chemins
Au vu de la comparaison des deux grands ensembles, l’Union européenne avec 26 pays différents que beaucoup de données objectives séparent, il y a 24 langues officielles, il y a dix espérances religieuses qui vont des chrétiens (45%) aux orthodoxes, aux musulmans (2,2%), aux juifs (0,2%). Pratiquement autant de cultures que de pays. En fait, il n’y a pas d’atomes crochus entre un Portugais et un Allemand, un Suédois et un Espagnol, et pourtant, ils sont arrivés à mutualiser leur savoir, leurs atouts et leurs ambitions autour de l’utopie de l’Union européenne. En face, les pays arabes ont globalement une langue principale, une espérance religieuse avec des minorités. C’est l’utopie qui est le moteur des ruptures pour une nouvelle vision du futur. On sait qu’ils ont connu des fortunes diverses. Les pays arabes ont tous les atouts devant eux et si une utopie mobilisatrice de la jeunesse filles et garçons est dès maintenant mise en œuvre, il n’est pas interdit que la Nahda technologique des peuples maghrébins et du Moyen-Orient cimentés par la culture, la langue et la religion ne s’affirme dans un monde où les faibles nations qui n’arrivent pas à prendre le train de la quatrième révolution industrielle de la grande ré-initialisation du monde (great reset), s’ils ne sautent pas dans la future arche de Noé, des sauvés seront broyés par les futurs maîtres qui feront des esclaves consentants. Nous pouvons y arriver. Le monde musulman, fort de 1,5 milliard d’habitants, comprendra en son sein des pays arabes qui vont apporter leur part d’humanité. C’est cela la vraie Nahda technologique qui revendiquera dans les faits le respect que l’on doit aux autres peuples se réclamant des gens du Livre.
Comment mettre en œuvre une OPAEP du renouvelable
Les premiers atouts des pays arabes sont le pétrole et le gaz, l’OPAEP a pour objectif une coordination des politiques pétrolières. Force est de constater qu’elle est invisible alors que 30% du pétrole commercialisé est celui des pays de l’OPAEP. Les atouts sont importants dans le domaine de l’énergie. Une étude, réalisée sur la base des données de la Société arabe des investissements pétroliers (APICORP) montre que «les investissements dans les projets énergétiques dans les États membres de l’OPAEP au cours de la période 2020-2024 totaliseront 592 milliards de dollars, dont 246,5 milliards de dollars d’investissements engagés et 344,9 milliards de dollars d’investissement prévus».(11)
On remarque que l’essentiel des investissements va au développement des énergies fossiles. Comment l’Opaep peut sortir des sentiers battus et montrer la détermination des pays arabes à se tourner vers les énergies vertes en ayant une stratégie pour le futur. Une réflexion à lancer avec une coordination à même de recenser le potentiel renouvelable dans les pays arabes et optimiser en mutualisant les études, voire les financements. Les pays arabes devraient montrer leur détermination à s’engager pour une planète verte en visant la neutralité carbone en 2050. Cela pourrait être une proposition au Caire à la COP 27.
S’agissant des énergies renouvelables, la région abrite les niveaux les plus élevés de rayonnement solaire au monde. Il reste encore beaucoup à faire pour développer les énergies renouvelables, l’objectif régional cumulé de production d’énergie renouvelable d’ici 2035 s’élève désormais à 190 GW, soit une multiplication par 26 par rapport aux niveaux de 2018. La réalisation de cette vision nécessitera un environnement favorable. En tant que zone à risque sur le plan climatique, la planification d’un développement résilient au climat et à faible émission de carbone et le financement du climat sont une priorité absolue dans la région des États arabes. Le montant total pour la mise en œuvre du Plan renouvelable est d’environ 600 milliards de dollars US d’ici 2030. Une priorité essentielle pour l’avenir de la région sera d’accroître les financements innovants en faveur du climat, (atténuation et adaptation).(12)
Sur 450 millions d’habitants, 300 millions de jeunes sont un atout si on mise sur l’éducation, la science et la recherche. Le Pnud estime que 20 à 25% des jeunes Arabes quittent leur pays en quête d’un «avenir meilleur». Plus de 10 millions d’étudiantes et d’étudiants avec pas moins de 2 millions de diplômés en 2010. Le problème principal est : comment garder les élites ? Cela ne peut se faire qu’en leur proposant une utopie avec de grands challenges. La jeunesse, bien formée, serait maîtresse de son destin. Ainsi, il faut combattre les changements climatiques ; planter 100 milliards d’arbres sur 20 ans pour le monde arabe serait la meilleure contribution à la neutralité carbone et au stress hydrique. C’est le plus sûr moyen pour une sortie par le haut de la rente du tout fossile, le savoir dans différents domaines, université exceptionnelle. C’est la vraie Nahda scientifique pour le XXIe siècle. De même un dossier concernant la révolution de l’hydrogène vert et la locomotion électrique sont autant de chantiers qui nécessitent la mise en place d’instituts d’excellence spécialisés dans les différents pays avec des centres de recherche d’excellence.
Il faut aussi graduellement penser à une académie arabe des sciences, une académie arabe de l’espace avec l’objectif d’envoyer des astronautes dans l’espace dans huit ans. Rien n’interdit la mise en place d’un centre de recherche sur les grands enjeux du XXIe siècle, les armes du futur, des laboratoires de recherche répartis sur tous les pays en fonction des potentialités et compétences. C’est la seule Nahda scientifique pour le XXIe siècle. Des instituts d’excellence couvrant les grandes disciplines (Intelligence artificielle, mathématiques, informatique, biologie, hydrogène) devraient être installés.
Place du monde arabe dans un nouvel ordre mondial multipolaire
On sait que «(…) ce n’est qu’au cours du XXe siècle que le monde arabe commence à s’affirmer. Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que, réellement, l’indépendance politique des nations ayant en commun l’usage de l’arabe, la religion musulmane s’affirment. La plupart des pays colonisés se voient offrir l’indépendance sans combat. Seule l’Algérie s’engage en 1954 dans une guerre longue et sanglante, qui se termine en 1962 avec les accords d’Évian. Alors que le monde se divise en deux blocs autour des États-Unis et de l’URSS, les nouveaux dirigeants arabes cherchent à se positionner. De plus en plus engagé dans les processus de mondialisation, le monde arabe n’échappe pas aux soubresauts qui suivent la chute de l’URSS. Il est même au cœur de nouveaux enjeux géopolitiques, Ses populations, jeunes, éduquées, connectées, aspirent elles aussi à un monde nouveau.»
Parlant de la volonté de «s’affirmer» des Arabes, Jacques Berque écrit : «Une disproportion éclate entre les grandeurs du passé et les disgrâces du présent… De là une surabondance d’affectivité, l’agitation constante entre l’enthousiasme et le pessimisme. Dans ces sociétés, un tourbillon emporte et brasse amertume et espérances, calculs et passions… Mais en profondeur, une éclatante volonté de vivre, de revivre. Et la lutte pathétique de ces hommes pour se réaliser dans le monde moderne, coupable de s’être fait sans eux.»(13)
Dans cette veillée d’armes permanente et qui augure d’un futur tragique, il faut raison garder. Le monde promet de profondes mutations. La conjoncture paraît favorable. Pour la première fois, les pays arabes peuvent réfléchir par eux-mêmes à l’avenir. Dans cette nouvelle configuration, le moment est venu de gommer les différences et s’attacher à ce qui unit les pays arabes. Pour pouvoir peser ensemble car à titre individuel aucun pays n’a atteint la masse critique scientifique, technologique, auto-suffisance militaire. Il faudrait réinventer une Nahda scientifique et technologique à partir de la mutualisation des moyens en suivant des exemples capables d’être une boussole et un guide, qui ne subissent pas les décisions prises à l’extérieur du monde arabe. Le chemin sera long, il faudra une certaine résilience.
On sait que le format actuel des Nations unies a fait son temps et est inadapté. La situation actuelle, c’est la guerre de tous contre tous et l’abandon des valeurs. Le monde est en pleine mutation. De nouvelles configurations s’organisent, c’est le cas des BRICS et de l’OCS, pour sortir du monde unipolaire et de la fin de l’Histoire et écrire une autre histoire, plus généreuse, avec un monde multipolaire, qui va s’atteler à des causes autrement plus humaines : la lutte contre les changements climatiques, la faim, l’analphabétisme. À terme, il n’est pas interdit de penser à ce que le monde arabe revendique un siège au Conseil de sécurité. Lawrence d’Arabie avait qualifié les Arabes de «peuple des beaux départs». Il arrivera forcément un moment où les peuples arabes capitalisant toutes les expériences ne se feront plus traités comme quantité négligeable. Ce jour-là, ce sera le jour le plus long pour tous ceux qui les ont traités comme des infrahumains. Pour cela, le chemin le plus dur, le plus éprouvant est celui de se remettre fondamentalement en cause, en commençant par l’éducation, un enseignement supérieur de qualité qui permettra aux peuples composant le monde arabe d’avoir une visibilité et de prendre en main leur destin pour le plus grand bien de leur jeunesse, en qui survit la quête de la vérité, et la traduction dans les faits du développement durable. Une utopie mobilisatrice digne de l’âge d’or de l’islam des lumières.
C. E. C.
1.https://www.imarabe.org/fr/decouvrir-le-monde-arabe/ histoire
2. https://iedja.org/monde-ou-pays-arabes/ MARS 2014
3. http: //www. mondialisation.ca/index.php?context =va&aid=20822 Le 29 aout 2010
4. Jacques Berque http://www.islam-fraternet.com/maj-0598/berq.htm: Les Arabes.
5. https://www.lorientlejour.com/article/1284939/la-faim-progresse-dans-le-monde-arabe-selon-lonu.html16 décembre 2021
6. Rapport arabe sur le développement humain (RADH) https://www.undp.org/fr 21 juin 2022
7. http://blogs.histoireglobale.com/wp-content/uploads /2011/10/Renan-al-Afghani.pdf
8. Fayçal Métaoui: Interview de Georges Corm. Sila Alger 2011
9. https:// donnees. banquemondiale.org/indicator /AG.PRD.CREL.MT?locations=1A https://donnees.banquemondiale.org/region/le-monde-arabe
10. http://www.p ageshalal. fr/actualites/ enseignement_superieur_et_recherche_scientifique_dans_le_monde_arabe-fr-5436.html
11. https ://www. aps.dz/ economie/114577-opaep-les-investissement-de-l-algerie-devraient-depasser-43-milliards-de-dollars
12. https://climatepromise.undp.org/sites /default/files/ research_report_document/Climate%20Ambition-Arab-FR_v3.pdf
13. Jean Lacouture https:// www.lemonde. fr/archives/ article/1959/08/21/les-arabes-un-essai-de-jacques-berque_2145797_1819218.html
Par le Professeur Chems Eddine Chitour
École polytechnique enp-edu.dz
Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur
Source : Le Soir d’Algérie
https://www.lesoirdalgerie.com/contribution/…