Un de ses oncles montre une photo de Raad Hazem, 28 ans, qui a tué trois personnes
à Tel-Aviv jeudi dernier. Photo JAAFAR ASHTIYEH /AFP

Par Gideon Levy

Gideon Levy, Haaretz, 10/4/2022
Original : A Perspective From the Palestinian Side on the Terror Attack
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Raad Hazem était né en 1993, le 29 novembre, date anniversaire du vote de la résolution des Nations Unies de 1947 sur la partition de la Palestine mandataire. Il était né au milieu de l’espoir des accords d’Oslo et a grandi dans la catastrophe de l’opération Bouclier défensif. Il avait neuf ans lorsque les chars israéliens ont envahi son camp de réfugiés, détruit son centre et tué 56 de ses habitants. Ce garçon a vu dans les rues des corps qui ne pouvaient pas être enterrés avant le départ de l’armée, des chars qui ont écrasé les maisons et les voitures des résidents dont la vie était misérable et un bulldozer qui a aplati le camp et l’a « transformé en Teddy Stadium » – le terrain de l’équipe de football du Beitar Jérusalem, dont les supporters les plus bruyants sont le groupe La Familia, notoirement anti-arabe – comme s’en est vanté le conducteur de la pelleteuse.

« Raad » signifie tonnerre en arabe. Jeudi soir, il est resté assis sur un banc de la rue Dizengoff à Tel Aviv pendant 20 minutes avant de se lever et de commencer à tirer sur des personnes de son âge qui profitaient de l’ happy hour au bar Ilka. Sur la photo qui a été postée plus tard, il a l’air beau ; sur une autre photo, sur laquelle il serre deux fusils, il apparaît enragé et effrayant. Hazem a tué Tomer Morad, un étudiant en génie mécanique ; Eytam Magini, un étudiant en informatique, psychologie et neuroscience ; et Barak Lufan, un ancien athlète olympique et l’entraîneur en chef de l’équipe nationale israélienne de kayak. Tous, comme lui, étaient de jeunes hommes.

Il est difficile d’imaginer un meilleur casting pour cette histoire. Personne ne peut savoir avec certitude ce qui lui passait par la tête, mais on peut supposer qu’Hazem voulait vivre la vie de ses victimes. Il n’en a pas eu la moindre chance. Lui aussi aurait voulu étudier les neurosciences ou l’ingénierie mécanique, ou devenir entraîneur de kayak. Lui aussi aurait voulu une happy hour. Il aurait voulu servir dans l’armée, comme eux, peut-être même dans une unité d’élite dont les membres se vantent. Mais il est né dans une réalité dont il est impossible de s’échapper vers les mondes de ses victimes de Dizengoff. Il ne pouvait même pas se rendre à Dizengoff par la voie directe, emprisonné comme il l’était dans son camp de réfugiés, interdit d’entrée en Israël. Il n’a probablement jamais vu la mer, et certainement pas un kayak. Au lieu de cela, il a vu des soldats envahir son camp presque chaque nuit, maltraiter et humilier ses résidents, et des membres de la génération de ses parents se battre et mourir avec un courage et une détermination devenus emblématiques. Il n’existe aucun endroit aussi militant, armé et courageux que le camp de réfugiés de Jénine.

Le banc sur Dizengoff a été retiré par les forces de sécurité après l’attaque, afin de recueillir des preuves physiques de l’homme qui s’y était assis, alors qu’il était encore inconnu. Mais aucune analyse ADN ne peut raconter son histoire, tout comme un millier de policiers n’ont pas pu le trouver lorsqu’il se trouvait dans la rue adjacente. La police, la police des frontières, le service de sécurité Shin Bet, Sayeret Matkal, Shaldag, Yamam, Yasam, Lotar et toutes les autres forces militaires n’éteindront jamais le feu de cette lutte. Toutes ces organisations, qui s’entraînent pendant des années pour ce moment précis, dont les budgets dépassent ceux des systèmes de santé et d’éducation réunis, ne font pas le poids face à un descendant de réfugiés résolu à l’heure de vérité.

C’était une image en miroir qui aurait pu être tirée d’un film. Des jeunes gens du même pays, assis l’un en face des autres : le soi-disant étranger sur le banc public, tendu et agité, face à des gars d’chez nous dans un bar un jeudi soir. Dans les jours qui ont précédé la terrible nuit, les amis des gars du bar, des soldats et des policiers des frontières, ont tué cinq jeunes dans son camp de réfugiés, et maintenant il se met à les tuer sans discrimination.

Les personnes qui lui font face sont les personnages qu’il aimerait être, avec la vie qu’il aimerait vivre, la liberté et les opportunités qu’il aimerait lui aussi avoir. Il veut faire connaître son existence et dire : Si je n’ai pas cette vie, ces droits, vous qui êtes assis dans le bar en face de moi ne les aurez jamais non plus. C’est toute l’histoire. Par-dessus, on peut construire des piles de renseignements et d’armes, de punitions et de dissuasion, de théories sur la soif de sang et le jugement moral, sur le meurtre et la tuerie, de plans de guerre, d’opérations et de clôtures. En fin de compte, c’est ça l’histoire. Celle-ci et aucune autre. Rien ne peut la battre.

 NdT

Les services de renseignement israéliens ont lancé un ultimatum au père et aux frères de Raad Hazem dimanche après-midi: s’ils ne se rendent pas aux autorités d’occupation, celles-ci attaqueront le camp de Jénine. Les Brigades des martyrs d’Al Aqsa, aile militaire du Fatah ont annoncé qu’elles adoptaient le martyr Raad Hazem et qu’elles venaient de créer le Centre des tempêtes (Markaz ala’sar) pour faire face à l’opération « Vagues déferlantes » annoncée par Israël contre le camp de Jénine.

Source : TLAXCALA
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