Par Paul Robinson

Il n’est plus question d’une invasion russe, mais les causes profondes du conflit dans le Donbass n’étant toujours pas résolues, la situation reste très dangereuse

Par Paul Robinson, professeur à l’Université d’Ottawa, spécialiste de l’histoire russe et soviétique et de l’histoire militaire.

Source : RT, 16 février 2022

Traduction : lecridespeuples.fr

Malgré des semaines de prédictions et de spéculations, l’invasion tant rabâchée de l’Ukraine ne s’est pas produite, couvrant les responsables occidentaux de ridicule. Mais la Russie peut difficilement qualifier l’issue de la crise de succès, les problèmes qui la sous-tendent restant non résolus.

La Russie était censée envahir l’Ukraine mardi. Ou était-ce mercredi ? Les médias ont eu du mal à se décider, certains prédisant la première date et d’autres optant pour l’autre, se basant tous sur des dénonciations de responsables américains —et parfois britanniques— anonymes. La Maison Blanche a refusé de donner une date précise, se limitant à prédire que l’invasion pourrait se produire à presque tout moment, tandis que le gouvernement britannique a déclaré que les bombes russes pourraient commencer à tomber « dans les minutes qui suivront » l’ordre de frapper. Des parallèles avec des affirmations il y a 20 ans environ selon lesquelles les armes chimiques irakiennes pouvaient être préparées en 45 minutes sont inévitablement venus à l’esprit.

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De manière embarrassante pour toutes les personnes impliquées, non seulement l’invasion promise n’a pas eu lieu, mais des reportages de mardi ont indiqué que les troupes russes retournaient à leur base après avoir terminé des exercices militaires. De plus, le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, s’est rendu mardi en Syrie pour observer des exercices navals, une chose très étrange à faire s’il envisage d’attaquer l’Ukraine. Il semblerait que l’invasion soit annulée.

Char russe repartant pour la Russie après des exercices conjoints des forces armées de Russie et de Biélorussie.

Non pas qu’elle ait jamais été prévue en premier lieu. Pendant plusieurs semaines, les responsables russes ont nié avec véhémence qu’une invasion était en vue, alors que l’idée a été ouvertement qualifiée d’ « hystérie » à la télévision d’État russe, y compris par ceux qui sont souvent considérés comme des « propagandistes du Kremlin », comme l’animateur de talk-show Vladimir Soloviev. Comme le disaient certains plaisantins, le monde entier s’attendait à une guerre entre la Russie et l’Ukraine, à l’exception de deux pays, la Russie et l’Ukraine.

Mardi également, le Président russe Vladimir Poutine a semblé rejeter un appel de la chambre basse du parlement russe, la Douma d’État, à reconnaître l’indépendance des Républiques populaires rebelles de Donetsk et de Lougansk dans le Donbass, à l’est de l’Ukraine. S’il a dénoncé ce qui se passait dans le Donbass comme un « génocide », il a également déclaré que tout devait être fait pour y mettre fin à la guerre en respectant les termes de l’accord de Minsk 2 de 2015, qui verraient le Donbass réintégrer l’Ukraine avec une autonomie significative. Cette approche est difficilement compatible avec un assaut militaire à grande échelle contre l’Ukraine et indique que Poutine continue de rechercher une solution diplomatique.

Il n’apparait pas, cependant, que la diplomatie russe accomplisse beaucoup de choses. Le Kremlin peut peut-être tirer une certaine consolation du fait que la peur de la guerre a forcé les États-Unis à s’asseoir et à discuter des préoccupations de sécurité de la Russie, et même à faire quelques concessions mineures. Par exemple, après s’être retirés du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, les États-Unis parlent maintenant de nouvelles négociations pour limiter les armes nucléaires de ce type. Cela dit, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a noté que la réponse américaine aux propositions russes n’était pas satisfaisante et que les États-Unis et leurs partenaires européens ne sont pas prêts à répondre aux exigences fondamentales de la Russie, telles que l’arrêt de l’expansion de l’OTAN vers l’Est.

De plus, la mise en œuvre de l’accord de Minsk ne semble pas s’être rapprochée. Il est peut-être possible que la récente crise ait persuadé certains gouvernements occidentaux de faire pression sur Kiev pour qu’elle fasse les concessions requises. Cependant, il n’y a aucune preuve évidente de cela, et les discussions récentes sur la question dans ce qu’on appelle le « format Normandie » ont été un échec.

Pire encore, les États occidentaux ont répondu au prétendu renforcement militaire russe en envoyant de plus en plus d’armes à l’Ukraine. Cela pourrait bien avoir renforcé la détermination du gouvernement ukrainien à ne pas faire de compromis. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré cette semaine qu’ « il y a une menace et elle est très élevée, plus élevée qu’avant » d’une attaque ukrainienne contre le Donbass. Si la Russie s’est, comme certains le pensent, engagée dans une forme de diplomatie coercitive, elle ne semble pas avoir atteint ses objectifs.

Il est donc difficile de dire que la Russie est sortie de la crise plus forte qu’elle n’y est entrée. On pourrait en dire autant des États occidentaux, en particulier de ceux qui ont joué le rôle principal en attisant la peur de la guerre —les États-Unis et le Royaume-Uni. Les prédictions confiantes d’une invasion imminente qui sont sorties de la bouche des responsables américains et britanniques se sont révélées fausses. De plus, la fuite paniquée des diplomates occidentaux de Kiev les a rendus plutôt pathétiques, tout en montrant clairement que leur engagement envers l’Ukraine est décidément faible.

Dans l’ensemble, l’effet des événements récents sera de saper davantage la confiance dans les gouvernements occidentaux et leurs agences de renseignement, ainsi que dans les médias qui prennent pour argent comptant les affirmations douteuses de « responsables » souvent anonymes. L’hystérie qui a éclaté à Washington et à Londres nuit profondément à leur crédibilité future. Comme l’a noté la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, le 15 février 2022 (le jour où l’invasion prévue n’a pas eu lieu) « entrera dans l’histoire comme le jour où la propagande de guerre occidentale a échoué ». L’Occident a été « humilié et détruit sans qu’un seul coup de feu soit tiré », a-t-elle déclaré.

Quant à l’Ukraine, elle peut considérer le soutien militaire supplémentaire qu’elle a reçu comme une prime, mais les nouvelles armes ne feront presque rien pour l’aider à résister à une contre-attaque russe massive. Il est devenu très clair qu’il y a des limites très strictes à ce que l’Occident est prêt à faire pour soutenir Kiev. De plus, la panique induite par les prédictions américaines et britanniques d’une guerre imminente a eu un effet très néfaste sur l’économie ukrainienne. Les investisseurs étrangers, qui hésitaient probablement déjà à placer leur argent en Ukraine, réfléchiront désormais à deux ou trois fois avant de le faire.

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Il est également évident que la politique ukrainienne envers le Donbass est dans une impasse. Kiev refuse de mettre en œuvre les accords de Minsk mais ne peut pas non plus résoudre le problème par la force. La référence de Poutine à un « génocide » montre clairement qu’il prend au sérieux la protection des habitants du Donbass [dont plus d’un million d’habitants possèdent la nationalité russe]. La guerre entre la Russie et l’Ukraine semblerait donc écartée pour le moment, mais si jamais le gouvernement ukrainien tentait de reprendre le Donbass par la force, une réponse violente de l’armée russe pourrait être attendue.

Cela signifie que tant que le conflit dans le Donbass se poursuit, la possibilité d’une guerre demeure et la Russie maintiendra probablement un grand nombre de troupes à proximité de l’Ukraine. Par conséquent, nous pouvons nous attendre à d’autres alertes à la guerre à l’avenir. Malheureusement, cette histoire est loin d’être terminée.

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Source : Le Cri des Peuples
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