Par Moon of Alabama

Par Moon of Alabama – Le 22 mars 2021

Dix ans après son début et une courte accalmie dans les combats, la guerre en Syrie semble désormais reprendre sur plusieurs fronts.

La semaine dernière, Bloomberg publiait une tribune du président turc Erdogan dans laquelle il implorait l’aide « occidentale » :

Aujourd’hui, alors que les discours sur la démocratie, la liberté et les droits de l’homme sont de nouveau en vogue, des actions humanitaires en Syrie seraient la mesure ultime de notre sincérité. Je crois que le rétablissement de la paix et de la stabilité dans la région dépend d’un soutien occidental véritable et fort à la Turquie. … Malheureusement, les rebelles modérés, nos partenaires locaux, sont devenus la cible d’une campagne de dénigrement coordonnée malgré leur travail acharné et leur sacrifice pour vaincre ISIS et le Parti des travailleurs du Kurdistan, ou PKK, une autre organisation terroriste désignée.

Les zones de sécurité, que la Turquie a créées en coopération avec ses partenaires locaux, sont la preuve de notre engagement envers l’avenir de la Syrie. Ces zones sont devenues des îlots de paix et de stabilité, ainsi que des écosystèmes autonomes.

Ces « îlots de paix », situés dans la région d’Idleb occupée par la Turquie et le long de la frontière turque, sont le théâtre de nombreuses luttes intestines entre Hayat Tahrir al Sham (HTS), aligné sur Al-Qaïda, et les « rebelles modérés » de diverses obédiences islamistes. HTS a en grande partie remporté la victoire et dirige la région en coopération avec les troupes d’occupation turques. Mais pour contrôler la zone, il faut beaucoup d’argent et la Turquie en manque actuellement. Le récent licenciement par Erdogan du directeur de sa banque centrale a entraîné une nouvelle chute de l’économie turque :

Le dollar a augmenté de 15 % par rapport à la lire turque et l’indice boursier BIST-100 a baissé de 10 % après la décision du président Recep Tayyip Erdogan de remplacer le gouverneur Naci Agbal par Sahap Kavcioglu – le troisième changement à la Banque centrale de la République de Turquie (CBRT) en deux ans.

Ainsi, Erdogan demande plus d’argent tout en menaçant de pousser davantage de réfugiés vers l’Europe :

La troisième option, la plus sensée [pour l’Occident], est d’accompagner au mieux la Turquie et de faire partie de la solution en Syrie, à un coût minimal et avec un impact maximal.

Nos attentes spécifiques sont évidentes. Tout d’abord, nous attendons de l’Occident qu’il adopte une position claire contre les YPG, la branche syrienne du PKK, qui attaquent les zones de sécurité et font le jeu du régime. Au lieu de cela, un soutien adéquat doit aller à l’opposition syrienne légitime comme un investissement dans la paix et la stabilité.

En outre, nous appelons les nations occidentales à assumer leurs responsabilités pour mettre fin à la crise humanitaire, car si elles ne partagent pas le fardeau de la Turquie, de nouvelles vagues de migration vers l’Europe pourraient se produire.

Enfin et surtout, nous exigeons que l’Occident investisse dans les zones de sécurité en Syrie et soutienne sans équivoque ce projet de paix. Nous devons montrer au monde qu’il existe une alternative démocratique et prospère pour l’avenir de la Syrie.

Vendredi, la Turquie a ouvert un nouvel avant-poste militaire en Syrie, près du poste frontière de Bab al-Hawa. Cette mesure est contraire à l’accord conclu avec la Russie.

Plusieurs escarmouches ont eu lieu entre les troupes turques, les rebelles qu’elles soutiennent et les unités kurdes des FDS qui règnent sur le nord-est de la Syrie avec le soutien de l’occupation américaine.

Malgré les hostilités entre eux, les Kurdes soutenus par les États-Unis font des affaires avec les djihadistes soutenus par la Turquie. Le pétrole que les Kurdes pompent dans les puits syriens est vendu aux « rebelles » d’Idleb qui l’exportent vers la Turquie.

Cette exportation de pétrole est récemment devenue une cible des forces russes. Le 7 mars, un missile a frappé près d’al-Bab et détruit 180 camions de pétrole. Le 14 mars, une autre attaque a détruit l’infrastructure pétrolière contrôlée par les HTS à Idleb. En réponse, les « rebelles » ont tiré des missiles sur la ville d’Alep, tenue par le gouvernement, après quoi une autre frappe a touché des installations gazières près de la frontière turque :

Une installation gazière a été touchée près de la ville de Sarmada, dans la province d’Idlib, et des dizaines de camions chargés et garés sur un parking situé près du poste frontière de Bab al Hawa ont été incendiés. Il s’agit de la dernière attaque en date contre des installations pétrolières qui constituent la base de l’économie d’une région qui compte plus de quatre millions d’habitants.

Selon les services de renseignement occidentaux, la Russie est à l’origine de tirs de missiles balistiques effectués au début du mois, qui ont mis le feu à des dizaines de raffineries de pétrole locales près des villes d’al-Bab et de Jarablus, plus à l’est, dans une zone tenue par les rebelles et où la Turquie exerce une influence et dispose d’une importante présence militaire.

Dans le nord-est, les SDF kurdes, alliés des États-Unis, détiennent toujours plusieurs milliers d’anciens combattants d’ISIS. Quelquefois, quelques dizaines d’entre eux sont libérés. Ils sont déplacés dans le désert du sud-est, où les forces américaines basées à al-Tanf, dans le triangle frontalier Syrie-Irak-Jordanie [en vert sur la carte du haut], sont censées les former et les équiper. Ils attaquent ensuite les forces gouvernementales syriennes. Comme le rude désert rend difficile tout combat au sol, la Russie a renouvelé une campagne aérienne contre ces restes d’ISIS :

Il y a plusieurs objectifs derrière les frappes aériennes russes. Le principal d’entre eux est de sécuriser les routes de la région de Badia (le désert syrien), de limiter les opérations et les capacités militaires d’ISIS et de freiner la propagation de cette organisation dans la Badia, qui s’étend sur les provinces de Raqqa, Hama, Homs, Deir Ez-Zor et Alep.

Le conflit entre les Kurdes et la Turquie dans le nord-est reprend également :

[E]n ce qui concerne les environs de Raqqah, les FDS ont indiqué que leurs combattants avaient repoussé deux attaques menées par des proxy turcs. La première visait le village de Saida, à l’ouest d’Ain Issa. La seconde attaque visait la ville de Mu’alk à l’est.

Aucun nombre précis de victimes n’a été communiqué.

La zone autour d’Ain Issa est instable depuis un certain temps déjà, la Turquie et ses proxy attaquant fréquemment la périphérie de la ville. On s’attend depuis des mois à ce qu’Ankara capture la ville.

Probablement en réponse à cela, deux roquettes ont été lancées depuis la Syrie vers la ville de Kilis, dans le sud de la Turquie. Selon des sources syriennes, les deux roquettes ont été lancées depuis les environs de la ville de Tell Rifaat, dans le nord de la campagne d’Alep. Ces positions appartiennent aux Unités de protection du peuple (YPG), qu’Ankara considère comme terroristes. Les YPG constituent également le noyau des SDF.

L’armée turque a bombardé une douzaine de villes et de villages en réponse à cette attaque. De lourds affrontements ont également été signalés entre les combattants kurdes et les militants de l’Armée nationale syrienne soutenue par la Turquie, à l’ouest de la ville d’al-Bab, occupée par la Turquie.

Pendant ce temps, l’économie syrienne, entravée par les sanctions, le manque de revenus pétroliers et le crash des banques libanaises, s’est encore détériorée. Une guerre par la faim a remplacé la guerre par les armes.

Avec le dixième anniversaire de cette guerre, beaucoup semblent avoir oublié que ce sont les États-Unis qui ont commencé à alimenter cette catastrophe, alors qu’ils n’ont toujours pas de plan pour y mettre fin :

Ce qui est triste dans la déclaration commune des États-Unis et de leurs alliés européens, c’est qu’elle ne se contente pas de réécrire l’histoire et de répandre des mensonges, elle transmet aussi un sentiment de désespoir, car il n’y a aucun espoir de voir le bout du tunnel dans un avenir concevable.

La politique américaine en Syrie est opaque. Elle oscille entre la volonté d’empêcher une résurgence d’ISIS, la confrontation avec l’Iran, une riposte à la Russie, la fourniture d’une aide humanitaire et même la protection d’Israël, alors que le nœud du problème est que les administrations américaines successives n’ont pas réussi à formuler une stratégie claire et à justifier la présence militaire américaine en Syrie.

Cette semaine, le secrétaire d’État américain, Anthony Blinken, s’entretiendra avec le ministre turc des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu.

La déclaration d’aujourd’hui de l’administration Biden était plutôt amicale :
Jen Psaki, a ajouté : « La Turquie est un allié de longue date et apprécié de l’OTAN. Nous avons des intérêts communs dans la lutte contre le terrorisme, la fin du conflit en Syrie et la dissuasion des influences malveillantes dans la région. »

Il est tout à fait possible que l’administration Biden ait des plans pour réinitialiser l’impasse actuelle en Syrie en s’alliant avec la Turquie pour une nouvelle attaque contre Damas.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

Source : Le Saker
https://lesakerfrancophone.fr/…