Par Peter Schwarz

Ceux qui pensaient que les principales puissances européennes adoptaient une attitude plus pacifique que les États-Unis vis-à-vis de la Russie ont été détrompés jeudi.

Le président français Emmanuel Macron, le chancelier allemand Olaf Scholz et le premier ministre italien Mario Draghi ont voyagé ensemble dans un train spécial jusqu’à Kiev pour rencontrer le président ukrainien Volodymyr Zelensky. À Kiev, le président roumain Klaus Johannis s’est joint à eux.

Le message que tous les quatre ont transmis était sans équivoque. Alors que la guerre avec la Russie devient de plus en plus une guerre d’usure sans fin prévisible, faisant des centaines de victimes chaque jour, ils font tout pour l’intensifier et la prolonger. Ils ont promis de fournir à l’Ukraine davantage d’armes lourdes et de promouvoir sa perspective d’adhésion à l’Union européenne (UE). En agissant ainsi, ils acceptent délibérément le danger d’une troisième guerre mondiale nucléaire.

Le chancelier Scholz avait déjà souligné la portée symbolique de cette visite conjointe durant le voyage leur voyage. «Il est important que les chefs de gouvernement de ces trois grands pays se rendent à Kiev maintenant et montrent leur soutien à l’Ukraine dans cette situation très particulière de guerre», a-t-il déclaré. L’objectif n’était pas seulement de faire montre de solidarité, a-t-il ajouté, on voulait aussi continuer à fournir une aide financière, humanitaire et militaire «aussi longtemps que cela sera nécessaire pour la lutte pour l’indépendance de l’Ukraine».

Lors d’une conférence de presse commune avec Zelensky, Macron, Draghi et Johannis, Scholz assura ensuite :«nous soutenons également l’Ukraine par la fourniture d’armes, et nous continuerons à le faire tant que l’Ukraine aura besoin de notre soutien». Concrètement, Scholz a promis, en plus des éléments déjà connus comme le char antiaérien Gepard, l’obusier blindé  2000, le système antiaérien moderne Iris-T et le radar spécial Cobra, la livraison de lance-roquettes multiples en concertation avec la Grande-Bretagne et les États-Unis.

Macron a lui aussi promis de fournir des obusiers supplémentaires. «En plus des douze Caesar [obusiers automoteurs] déjà livrés, six autres seront ajoutés dans les semaines à venir», a-t-il déclaré.

Zelensky était enthousiaste. Des armes seront livrées, y compris celles souhaitées par l’Ukraine, a-t-il déclaré. «L’Allemagne nous aide beaucoup dans ce domaine». Il a qualifié la perspective d’un statut de candidat à l’UE de «choix historique pour l’Europe».

La veille, les ministres de la Défense du groupe de contact Ukraine-Défense qui comprend 30  membres de l’OTAN, plus la Suède, la Finlande, la Géorgie, la Moldavie, l’Australie et une douzaine d’autres pays, ont décidé lors d’une réunion à Bruxelles une augmentation massive des livraisons d’armes.

Des pièces d’artillerie, des lance-roquettes multiples, des drones de combat, des véhicules blindés, des missiles anti-navires et d’autres armements seront fournis à l’Ukraine aussi rapidement que possible. Les États-Unis et leurs alliés espèrent que cet armement supplémentaire fera basculer le cours de la guerre en faveur de l’Ukraine, la Russie contrôlant actuellement un cinquième du territoire ukrainien.

La part du lion reviendra aux États-Unis, qui ont augmenté leurs livraisons d’armes d’un milliard de dollars supplémentaires. Mais les puissances européennes ne se contentent pas de suivre les États-Unis, comme le prétendent certains critiques. Elles poursuivent leurs propres intérêts impérialistes.

L’armement massif de l’Ukraine, le déploiement de troupes de l’OTAN toujours plus nombreuses à la frontière orientale de l’Europe avec la Russie et l’incorporation recherchée de l’Ukraine à l’Union Européenne sont en train de changer le caractère de cette dernière. D’une union économique qu’elle était à l’origine, elle se transforme de plus en plus ouvertement en une alliance militaire impérialiste dirigée contre la Russie, la Chine et finalement contre les États-Unis, de même que contre la classe ouvrière européenne.

Alors que les oligarques ukrainiens et les élites droitières et corrompues du pays rêvent d’une place à la table de banquet de Bruxelles, pour les travailleurs ukrainiens, l’adhésion à l’UE serait un cauchemar. Déjà pendant le processus d’absorption, qui dure généralement des années ou des décennies, le gouvernement doit sabrer toutes les dépenses sociales «superflues».

Mario Draghi qui aujourd’hui, en tant que chef du gouvernement italien, prône l’admission de l’Ukraine dans l’UE fut, à partir de 2011, chef de la Banque centrale européenne durant la période où celle-ci a imposé, dans le cadre de la «Troïka», à la classe ouvrière grecque un programme d’austérité qui a précipité des millions de gens dans la misère et des milliers dans la mort.

Dans les pays d’Europe de l’Est qui sont membres de l’UE depuis plus de 15  ans, les travailleurs continuent de trimer pour des salaires de misère au service des trusts internationaux, tandis que les infrastructures sociales ont été décimées et qu’au pouvoir se succèdent les régimes corrompus.

Au XXe  siècle, l’Allemagne a tenté à deux reprises d’amener l’Ukraine sous son influence. La première fois, en 1918, lors de la paix imposée de Brest-Litovsk, elle a forcé le gouvernement révolutionnaire de Moscou à abandonner l’Ukraine et a établi un régime fantoche qui finit par être dirigé par le brutal officier et dictateur tsariste Pavlo Skoropadskyi. Puis, en 1941, dans la guerre d’extermination menée contre l’Union soviétique, elle a assassiné des millions de personnes sur le territoire de l’actuelle Ukraine afin de créer un «espace vital» pour les Allemands.

La visite de Scholz à Irpin, dans la banlieue de Kiev, où il a déploré «l’inimaginable cruauté» de la Russie, est le comble de l’hypocrisie. Il aurait pu, sur le chemin venant du centre-ville, descendre à Babi Yar où la Wehrmacht allemande a assassiné 34.000  Juifs de Kiev en 36  heures les 29 et 30  septembre 1941. Mais cela n’aurait pas non plus convenu au régime de Kiev qui vénère comme des «héros» les collaborateurs nazis comme Stepan Bandera et son Organisation des nationalistes ukrainiens .

Lorsque les États-Unis et leurs alliés ont détruit des villes entières comme Bagdad, Mossoul, Falloujah, Tripoli, Belgrade et Gaza, il n’y eut pas de pèlerinages comme celui de jeudi. La morale des Scholz, Macron et Draghi est dictée exclusivement par les intérêts impérialistes, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

Un motif décisif pour le réarmement de l’Allemagne, qui triplera son budget de Défense cette année et de l’ensemble de l’Europe est l’intensification de la lutte des classes. Les classes dirigeantes d’Europe et des États-Unis répondent à la rébellion croissante contre les conséquences mortelles de la pandémie et les effets de l’inflation en s’armant contre les ennemis extérieurs et intérieurs. La guerre et le militarisme ont toujours servi de moyen pour réprimer par la force la lutte des classes.

Le président Macron, qui est confronté à une vague de grèves et risque de perdre sa majorité parlementaire dimanche, a annoncé lors d’un salon de l’armement quatre jours avant son voyage à Kiev, que la France et l’UE vivaient dans une «économie de guerre, dans laquelle… nous allons durablement devoir nous organiser».

La ministre allemande de la Défense Christine Lambrecht a annoncé, largement inaperçue du public, la formation d’un nouveau «Commandement de direction territorial» qui est responsable de la défense et de la logistique de l’OTAN en Allemagne, ainsi que de la «sécurité intérieure». Les opérations intérieures des forces armées allemandes (Bundeswehr) – qui sont en fait interdites – sont ainsi placées sous le même commandement que l’offensive guerrière menée contre la Russie.

«Avec le nouveau commandement, nous pouvons en plus des tâches purement militaires fournir très rapidement les forces nécessaires à une cellule de crise nationale, si besoin est », a expliqué Lambrecht. Elle a cité en exemple la cellule de crise COVID-19 de la chancellerie, qui est dirigée par un général de la Bundeswehr.

Le danger de guerre et de dictature ne peut être stoppé que par un mouvement indépendant de la classe ouvrière. Le mouvement de grève montnat de la classe ouvrière et l’opposition à la guerre doivent être réunis en un mouvement international conscient contre sa cause, le capitalisme. C’est pour quoi se battent le Comité international de la Quatrième Internationale et ses sections, les Partis de l’égalité socialiste.

(Article paru d’abord en anglais le 17 juin 2022)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…