Par Karine Bechet-Golovko

Ce dimanche, des manifestations surfant sur la vague Navalny ont été organisées dans plusieurs villes de Russie ce 31 janvier, mais tournées contre le pouvoir en Russie. « Pour le nouveau Tsar, un nouveau 1917« , c’est bien d’un appel à renverser le régime constitutionnel dont il s’agit – et en effet, un février en appelle un autre, une nouvelle tentative d’offrir le pays. Si la présence était réelle, l’on est loin, très loin, d’un soulèvement populaire. A Moscou, dans une ville de plus de 15 millions d’habitants, l’on compte de 2 à 8 000 manifestants. Ce qui est en revanche remarquable, c’est l’importation de la technologie développée pour la Biélorussie et une condamnation internationale de la Russie, qui n’accepte pas de s’écraser, mais défend sa souveraineté. Le combat entre dans une phase décisive.

Nous avions déjà parlé de l’ingénierie occidentale derrière les manifestations du 23 janvier, organisées sous le slogan de la libération de Navalny (voir notre texte ici). Pour ces nouvelles manifestations du 31, le scénario biélorusse a directement été implanté.

Le groupe Navalny conduisant les manifestants grâce à leur canal sur Telegram, comme Nexta pour la Biélorussie. A Moscou, comme alors à Minsk, les instructions changeaient au fur et à mesure de la journée, conduisant les manifestants, regroupés en plusieurs groupes, dans les rues de la ville, rendant difficilement effectif le dispositif des forces de l’ordre, qui lui aussi suivaient le mouvement – plus qu’il ne pouvait le prévoir, alors que tout le centre avait été préventivement bloqué. Comme Tikanovskaya, certains leaders appellent les Etats-Unis à adopter des sanctions contre les « amis » de Poutine. Du gaz de couleur orange a été lancé, des bouteille en plastiques pleines ont volé contre les forces de l’ordre. Evidemment, des coordinateurs ont été aperçus dans la foule, pour guider les groupes dans la bonne direction. Et l’on a retrouvé la chanson du chanteur de rock Tsoï, « Peremen » (Changements), symbolique de la fin des années 80 et des manifestations à Minsk.

Selon les paroles d’une manifestante :

« Tous nos amis veulent sortir pacifiquement se promener tous les week-ends comme en Biélorussie. Ca va bientôt devenir un réflexe et comme ça, on fera tomber le régime.« 

La presse d’opposition et la presse étrangère reprennent tous en choeur les données diffusées par l’ONG OVD-Info, qui supporte l’opposition russe et qui est elle-même supportée par des instances intéressantes, puisque l’on trouve parmi ses sponsors la Commission européenne, l’ambassade de France en Russie ou encore la FIDH. Cela s’appelle donc un retour sur investissement.

Et en effet, environ 5 000 personnes auraient été interpellées en Russie, une grande partie relâchée. De 2 à 8 000 personnes ont manifesté dans les rues de Moscou, au milieu des passants, ça fait du monde, mais ce n’est pas le soulèvement populaire. 550 personnes à Omsk, 30 personnes à Petropavlovsk-Kamtchatka, Iekaterinbourg 2 300 personnes, Novossibirsk de 1 300 à 5 000, etc. La Russie n’a pas mis à genoux ses policiers devant les « manifestants pacifiques » comme en Ukraine, elle reste maître du jeu. Le Procureur général appelle à transformer le sursis de Navalny en peine réelle, une nouvelle manifestation est donc prévue pour le 2 février.

La pression internationale continue à monter, toutes les chancelleries condamnent les interpellations, oubliant que si chacun a le droit de manifester, justement parce qu’il est un être humain, il doit répondre de ses actes – la responsabilité est l’envers de la liberté – puisque ces manifestations n’ont pas été autorisées. Ces mêmes chancelleries, qui se taisent devant les arrestations de Gilets jaunes, de manifestants en Europe contre les mesures liberticides liées au Covid, des manifestants aux Etats-Unis contre le Capitole. Une indignation très sélective.

Et les menaces se précisent. Par exemple, la France appelle l’Allemagne à définitivement interrompre le projet North Stream 2 :

La France a appelé ce lundi 1er février l’Allemagne à abandonner le projet de gazoduc Nord Stream 2 avec la Russie en réaction au sort qui est réservé à l’opposant russe Alexeï Navalny dans son pays. «Nous avons toujours dit que nous avions les plus grands doutes sur ce projet dans ce contexte», a déclaré le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Clément Beaune sur la radio France Inter. La France est-elle favorable à un abandon ? «On l’a déjà dit, en effet», a-t-il répondu.

Quel est le rapport en l’affaire Navalny et un projet stratégique énergétique, dont l’Europe a besoin ? Aucun, sauf que l’on ne fait pas des affaires avec « l’ennemi ». Or, la Russie est de plus en plus enfermée dans l’image de l’ennemi. 

Ca n’a pas marché en Biélorussie, ça ne marchera pas plus en Russie. Sans trahison intérieure, un système ne s’écroule pas tout seul, parce que des gens « se promènent », autrement dit parce que des gens manifestent. Tant que le pouvoir ne lâche pas les forces de l’ordre, ne joue pas le jeu ukrainien des vilains sadiques violents contre les pôv’ petits enfants qui se promenaient, les risques sont limités.

Pour autant, il serait dangereux de prendre à la légère la capacité de nuisance, non pas de Navalny, mais de ceux qu’il représente, de ceux qui dirigent le jeu. Si Navalny peut être qualifié, comme le fait Medvedev, « d’imbécile politique » ou « d’aventurier » et de nous ressortir l’épouvantail confortable du Covid et de la conscience sanitaire globale pour ne pas manifester, les forces qui se tiennent derrière sont réelles et non négligeables. Il ne faut pas confondre l’acteur avec l’auteur de la pièce.

D’ailleurs, le ministère russe des affaires étrangères condamne l’organisation de ces manifestations illégales et la diffusion de fakes, soulignant que les Etats-Unis semblent revenir aux idées développées par la Rand Corporation pour déstabiliser la Russie dans son rapport « Overextending and Unbalancing Russia ».

Il est vrai que la période est propice à un mouvement de déstabilisation de l’Etat en Russie. Suite à la gestion globale du Covid, les revenus réels de la population ont baissé, les prix augmentent, si le pays s’ouvre lentement, chacun se demande pour combien de temps, la méfiance est la règle. Des décisions politiques impopulaires ont laissé des traces. Bref, il existe un mécontentement réel, que certaines forces veulent instrumentaliser. Ce qui ne veut pas dire que les Russes aient envie de détruire leur pays, comme les Ukrainiens l’ont fait. Pour autant, c’est le moment ou jamais de réduire l’espace idéologique grandissant entre les élites (néolibérales) et la population (conservatrice). La bêtise fanatique des globalistes peut favorablement y aider.

Source : Russie politics
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