Par Régis de Castelnau

Front Populaire m’a demandé mon avis sur la signification de la mise en examen de l’ancienne ministre de la santé Agnès Buzyn par la commission d’instruction de la Cour de Justice de la République.

ENTRETIEN. L’ancienne ministre de la Santé a été mise en examen par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) dans le cadre de sa gestion du début de la crise Covid. L’incrimination retenue par les magistrats est : « mise en danger délibérée d’autrui par violation de mesures particulières de prudence ou de sécurité prévues par la loi ou le règlement ».

Front populaire : Quelle est la particularité de la Cour de justice de la République (CJR) ?

Régis de Castelnau : La CJR une juridiction spéciale chargée de juger les ministres pour les fautes pénales qu’ils auraient pu commettre dans l’exercice de leurs fonctions. C’est l’application française du principe de séparation des pouvoirs, qui implique que la justice ne peut pas s’ingérer et contrôler le pouvoir exécutif. Malheureusement, depuis une trentaine d’années, une forme de populisme juridique, d’ailleurs largement soutenu par l’opinion publique, veut que les ministres en exercice soient des justiciables comme les autres. C’est une hérésie démocratique, mais face au succès du « tous pourris » et à la volonté des magistrats politisés d’avoir ministres et parlementaires sous leur contrôle, le dispositif initial permettant de respecter les principes d’une démocratie représentative a été mis à mal. La Cour de Justice de la République était au départ une juridiction qui respectait le principe du contrôle du gouvernement et des ministres par le Parlement puisque tant à l’instruction qu’à l’audience de jugement, c’étaient les parlementaires qui avaient la maîtrise de la procédure. Beaucoup de politiques ont systématiquement fait assaut de démagogie en réclamant la suppression de la CJR ce qui n’a pas été possible jusqu’à présent. Mais plusieurs réformes ont fait qu’aujourd’hui la place prise par les magistrats de l’ordre judiciaire est devenue beaucoup trop importante, et les ministres se trouvent à leur merci. Moins pour le jugement où les parlementaires restent majoritaires, mais surtout dans les procédures d’instruction qui sont celles qui exposent le plus. C’est ce qui est arrivé à Éric Dupond Moretti avec son invraisemblable mise en examen et aujourd’hui à Agnès Buzyn, clouée au pilori sous les acclamations de la foule. L’ancienne ministre de la Santé, proche d’Emmanuel Macron, est certes un personnage particulièrement déplaisant, mais sa mise en examen par une magistrature militante est une mauvaise nouvelle pour la démocratie.

FP : Vous aviez vous-même annoncé dès le début de la crise Covid qu’Agnès Buzyn, compte tenu de ses errements dans la gestion de la pandémie serait, dans le futur, probablement jugée pour homicide et coups et blessures involontaires. Cela en prend le chemin…

RDC : Effectivement, je pensais que comme l’avait été Laurent Fabius, Edmond Hervé et Georgina Dufoix dans l’affaire du sang contaminé, un certain nombre de ministres pourraient se retrouver attraits devant la CJR, non pas pour évaluer la qualité de leur gouvernance, mais pour voir s’ils avaient commis des fautes précises dans la gestion de la pandémie, des fautes ayant provoqué des dommages corporels à des citoyens. L’aboutissement de telles procédures est particulièrement aléatoire, puisque pour entrer en voie de condamnation, il faudra établir que les fautes commises ont directement provoqué ou aggravé des dommages corporels chez des malades du Covid identifiés. C’est bien un lien de causalité qu’il faudra établir et non une simple corrélation. Par exemple, la grotesque et scandaleuse gestion des masques par Buzyn, Ndiaye et Véran ne pourra engager leur responsabilité pénale que s’il est démontré qu’elle a été directement à l’origine de décès ou de séquelles sur des victimes identifiées. À ce jour, le débat sur l’utilité du masque fait toujours rage dans la communauté scientifique ! Si les procédures se poursuivent dans le respect de la loi, il faudra techniquement des années pour les faire avancer. À mon avis, nous y serons encore dans 15 ans. La gestion de la pandémie par la bande de bras cassés choisis par Emmanuel Macron est d’abord et avant tout une question politique et nous aurons bientôt, à l’élection présidentielle, une échéance pour lui donner la sanction politique qu’elle mérite.

FP : Selon Le Monde, Olivier Véran, successeur d’Agnès Buzyn au poste de ministre de la Santé, devrait lui aussi être convoqué par la CJR. Est-ce normal ? La CJR n’est-elle pas une épée de Damoclès au-dessus de la tête des gouvernants ?

RDC : Evidemment, puisque toute ces instructions sont conduites par des magistrats qui rendent des décisions judiciaires, comme autant de mise au pilori par des médias et réseaux particulièrement gourmands. Dès lors que les principes de séparation des pouvoirs ne sont pas respectés, la démocratie représentative ne peut pas fonctionner normalement. Non parce que les magistrats seraient particulièrement méchants ou souhaiteraient être califes à la place du calife, mais parce que si on leur donne un pouvoir à dimension politique, il ne faut se faire aucune illusion, ils sont fatalement tentés de s’en servir. C’est bien ce danger qu’entendaient prévenir Locke et Montesquieu, premiers théoriciens de cette séparation des pouvoirs, respectivement au 17ème et 18èmesiècle.

FP : Les magistrats se penchent sur le cas Buzyn, symbole des dysfonctionnements de la macronie par temps de Covid, à l’approche de la Présidentielle, mais également sur Dupont-Moretti. On peut difficilement les accuser de ménager l’exécutif… ?

RDC : Il ne faut pas se tromper. J’ai tenté de caractériser dans mon récent ouvrage Une justice politique, les dérives de la magistrature dont je rappelle qu’elle a œuvré en 2017 par une forme de coup d’État judiciaire pour fausser l’élection présidentielle et favoriser l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, mais il ne faut pas se tromper, ce n’était pas pour se mettre directement au service de celui-ci. Mais bien de jouer un rôle politique à partir des positions idéologiques, sociales et culturelles majoritaires dans ce corps. La justice poursuit les opposants de Macron, ménage ses amis et réprime brutalement les mouvements sociaux. Mais l’arrivée d’un Éric Dupond Moretti détesté place Vendôme, a provoqué une réaction dont les deux mises en examen que vous citez sont l’expression. On peut les considérer comme un rappel à l’ordre du président de la République pour qu’il n’oublie pas « qui l’a fait roi ». Ces deux cibles sont particulièrement commodes avec un avocat médiatique dont on voit bien qu’il n’a pas grand-chose à faire place Vendôme, et une ancienne ministre complètement déconsidérée. Si Richard Ferrand, François Bayrou, Alexis Kohler, Muriel Pénicaud, Jean-Paul Delevoye etc. étaient embastillés, ce serait une autre histoire. Malheureusement, la mise en examen d’Agnès Buzyn est moins le gage du fonctionnement normal de la justice, que le symptôme de sa politisation, dont on peut craindre les conséquences dans la période. électorale qui s’ouvre.

Serait-ce en-effet lui faire un mauvais procès que de penser qu’elle pourrait être tentée de peser à nouveau sur le processus de l’élection présidentielle ?

Source : Vu du Droit
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