Par Gilad Atzmon

Quand des juifs et des musulmans nouent des liens

Jeudi soir, à 20 heures, toutes les chaînes d’information israéliennes ont diffusé en direct, à une heure de grande écoute, le discours prononcé par le nouveau faiseur de roi israélien, Mansour Abbas, le chef du parti islamique israélien, le Ra’am. « L’heure du changement a sonné », a déclaré en hébreu le leader musulman conservateur à son public de langue hébraïque. Abbas semble être le seul à pouvoir sauver l’avenir politique de Netanyahu. Il le sait et profite de ce moment pour délivrer un message de réconciliation et de coexistence. « Je porte une prière d’espoir, et la recherche d’une coexistence basée sur le respect mutuel et l’égalité réelle », a déclaré Abbas à ses auditeurs juifs. « Ce que nous avons en commun est plus grand que ce qui nous divise ».

L’histoire du conflit israélo-arabe révèle que ce sont toujours les Arabes qui mènent des actions réconciliatrices spectaculaires et que seuls les gouvernements de droite peuvent réagir positivement à ces actions.

Mansour Abbas n’est pas le premier Palestinien à défendre l’idée d’une coexistence et d’une éventuelle réconciliation. En 1974, Yasser Arafat s’était présenté devant l’Assemblée des Nations unies pour offrir un rameau d’olivier à Israël et à ses partisans. Il a exhorté ses auditeurs à « ne pas laisser cette branche tomber de ma main ».

Le parti communiste israélo-arabe Hadash prêche la valeur de la coexistence depuis des décennies, mais dans le contexte de la disparition de la gauche israélienne, sa voix a eu un impact proche de zéro sur la politique israélienne.

Abbas sait qu’il se trouve dans une position charnière et historique. Il sait que de nombreux Arabes israéliens sont derrière lui et il veut matérialiser le pouvoir qu’ils lui ont conféré.

« Moi, Mansour Abbas, un homme du Mouvement islamique, je suis un Arabe et un musulman fier, un citoyen de l’État d’Israël, qui dirige le principal, le plus grand mouvement politique de la société arabe. » Voilà ce qu’Abbas a dit aux Israéliens, « oubliant » de mentionner qu’il est aussi un Palestinien.

De nombreux Palestiniens, Israéliens-Arabes et amoureux de la paix considèrent Abbas comme un « traître ». Je pense en fait que peu de dirigeants palestiniens ont été aussi astucieux que lui. Je peux vous assurer qu’un éventuel gouvernement Netanyahou dépendant du soutien d’Abbas ne va pas lâcher des bombes sur Gaza. Il y réfléchira à deux fois avant d’envoyer ses avions de fabrication américaine attaquer la Syrie et il pourrait même cesser de faire pression pour une guerre contre  l’Iran. Je suis en fait assez excité par l’idée d’un gouvernement israélien de droite engagé dans l’apaisement de M. Abbas.

Mais certains Juifs israéliens ont également été contrariés par le discours d’Abbas. Le chef du parti sioniste religieux, MK Bezalel Smotrich, a déclaré vendredi que son parti ne siégerait pas dans un gouvernement dépendant d’un quelconque soutien de Ra’am. Jeudi soir, juste après le discours télévisé d’Abbas, Smotrich aurait refusé de communiquer avec Netanyahou. Il est important de mentionner que les Ra’am ont également exclu une coalition avec le parti sioniste religieux.

Et voici la nouvelle la plus spectaculaire concernant Abbas et son initiative. Les partis juifs orthodoxes préfèrent clairement se lier avec un parti musulman plutôt qu’avec la gauche sociétale  israélienne. Le rabbin Chaim Kanievsky, le principal chef spirituel ultra-orthodoxe de l’Alliance du judaïsme unifié de la Torah, a déclaré hier que Ra’am est plus qu’un parti légitime. Le rabbin aurait annoncé que « pour ce qui est de la sauvegarde de la tradition juive, il vaut mieux aller avec les représentants du public arabe, qu’avec les représentants de la gauche. »

Ceux qui suivent l’évolution de la société israélienne au cours des cinq dernières décennies ont remarqué que la religion est un facteur de plus en plus important tant au sein de la majorité juive,(qui se réduit) que de la minorité arabe, qui s’accroît. Dans les sociétés juives et arabes, c’est la religion qui apporte les réponses laissées en suspens par les grandes idéologies, le sionisme, l’israélité et la soi-disant « alternative de gauche ».

Je suppose que si la peur de la gauche dans sa version dite identitaire actuelle suffit à combler le fossé entre l’Islam et le Judaïsme, peut-être que « l’identitarisme » n’est pas une si mauvaise chose après tout ; c’est certainement un catalyseur harmonieux.

Source : Entre la Plume et l’Enclume
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