Par Laurent Brayard

Nous nous trouvions avec un opérateur du 1er Canal TV de Russie aux alentours de l’école n° 22, afin de tourner un film documentaire sur les journalistes étrangers qui travaillent dans le Donbass. L’école a été récemment touchée par un missile ukrainien Smertch, qui a fait de terribles ravages et tué trois employées, et c’est alors que plusieurs personnes sont venues déposer quelques fleurs en hommage aux victimes de ce bombardement de terreur. Un couple et une femme se sont approchés et nous avons compris très vite, qu’il s’agissait d’anciens élèves de cet école. Leur histoire est celle, souvent dramatique des gens du Donbass, et dans un contexte de déshumanisation des Russes et des populations russes de l’Est de l’Ukraine, il m’apparaît important de vous montrer que ces gens, pourraient être, en France, vos voisins, des membres de votre famille, des connaissances ou des collègues. Ils n’aspirent, depuis toujours, qu’à vivre en paix, leurs rêves sont souvent les mêmes que beaucoup de nos compatriotes, et ils sont des humains comme vous et moi. Des gens que l’on a ignorés pendant des années, des gens qu’à la fin il faudra écouter.

Olga, née en Pologne, « une enfant de l’Union soviétique ». Elle ne faisait que passer, mais elle est venue à nous naturellement, intriguée par notre présence. Très vite, elle a développé son histoire et nous dit que ses origines sont celles du grand ensemble qu’était l’URSS. A la retraite, elle travailla toute sa vie comme institutrice et s’occupe désormais de différentes actions au sein du Parti Russie Unie, dont l’un des fondateurs est justement Vladimir Poutine. Son discours toutefois, ne fut en rien politique, mais celui d’une femme pleine d’espoirs pour l’avenir :

« Je suis née en Pologne vous savez ! Mon père était un militaire et c’est dans une garnison que je suis née. Je suis venue par la suite très vite à Donetsk, qui s’appelait Stalino à cette époque. J’ai étudiée dans cette école, et je recherche mon institutrice de l’époque, elle est très âgée et j’ai appris qu’elle avait été blessée dans un bombardement ukrainien. Peut-être se trouve-t-elle actuellement dans l’un des hôpitaux de la ville. Si j’habite ici ? Et bien non, je vis depuis très longtemps en Sibérie, dans la ville de Kourgan, à la frontière du Kazakhstan. J’ai une vie très active et malgré que je sois à la retraite je m’applique à rester dynamique et je suis très sociale ! Je participe à des événements et des action avec le Parti Russie Unie et je viens ici dans le Donbass tous les ans. J’ai un appartement à Marioupol, qui par miracle n’ a pas été détruit par les combats, et je compte m’y rendre ces jours-ci. Cette guerre qui dure depuis 8 ans contre le Donbass est horrible. Ici dans cette école, au troisième étage, se trouvait la classe de langue ukrainienne, que j’ai étudiée de longues années. Cela fait partie de ma culture aussi. Ce qui se passe ici depuis le début est terrifiant, incompréhensible. Je rêve d’un monde sans armes, sans guerre, où les gens seraient tolérants et se parleraient, je sais bien que c’est une illusion, une utopie, mais c’est tout ce que je souhaite, non seulement pour nous, Russes, mais pour tous les pays du monde. Il se trouve que j’ai un neveu qui a émigré en France. Il s’appelle Anton et il vit dans la ville de Lyon. Sa femme est Française, ils ont un enfant et il me dit que la Russophobie est énorme en France, il y a une haine des Russes et il ressent une hostilité qui l’inquiète beaucoup. Lui est son épouse sont très mal en ce moment. Si j’ai compris que quelque chose de grave allait arriver lorsque le Maïdan a commencé à Kiev ? Assez vite oui, ces fascistes étaient très visibles et cela n’augurait rien de bon. Tout cela m’attriste, je voudrais qu’en France, ils comprennent la situation, et encore une fois ce serait beau un monde en paix. ».

La conversation se termine alors qu’elle nous indiquait vouloir retrouver son enseignante, nous lui souhaitons bonne chance, mais très vite se présente un couple. Ils sont également à la retraite, l’homme me regarde avec suspicion, pour lui, un Français doit forcément être un ennemi. Mais la conversation s’engage alors que son épouse s’apprêtait à déposer une fleur sur une petit muret, où sont présentes déjà, d’autres fleurs. Pour qu’ils comprennent, je leur raconte aussi rapidement mon histoire, l’homme se détend et s’approche plus près, eux aussi me raconteront leur histoire.

Ils sont de Donetsk et s’étaient enthousiasmés pour le référendum de 2014. Cette dame est aussi une ancienne élève de l’école n° 22. Elle évoque ce temps de l’enfance, quelques souvenirs de cette époque, forcément heureuse, comment l’école avait depuis beaucoup changé, mais reste bien sûr dans son cœur et sa mémoire. Le couple est né à Donetsk, et a toujours vécu et travaillé ici. Une ville lumineuse, jeune et optimiste me disent-ils :

« Nous sommes des gens tranquilles, une vie simple et faite de travail et de petites joies. Nous avons des enfants que nous avons élevés du mieux que nous pouvions, je crois que nous avons réussi. Nous ne nous attendions pas du tout à ce qu’un jour la guerre vienne jusqu’ici. Qui aurait pu le croire ? Lorsque le Maïdan a commencé, mon mari a compris plus vite que moi, mais j’espérais moi que tout cela resterait à l’état d’une agitation dans l’Ouest. Et puis cela a dégénéré. Nous avons vite vu ces fanatiques néonazis et bandéristes, c’était plus qu’inquiétant. Aussi lorsque cela a bougé en Ukraine, nous avons été heureux pour la Crimée qui retournait à la Russie. Nous aussi nous le voulions dans le Donbass, alors pour le référendum, si vous aviez pu voir cela !!! Il y avait plein de gens dans la rue, des queues immenses, c’était joyeux, nous pensions que nous serions bientôt libérés de l’Ukraine. J’ai bien sûr appris la langue ukrainienne, mais nous sommes Russes, cette terre du Donbass est russe, nous ne parlons en réalité que le russe ici. Alors avec mon mari nous avons voté, et nous avons choisi l’indépendance de la République de Donetsk. Il y avait un tel enthousiasme, je le répète encore et tous nous espérions que nous serions bientôt dans le sein de la Russie. Nos grands-parents, nos parents se sont battus contre l’Allemagne nazie, la guerre a été totale et l’ensemble du monde a dû se liguer contre eux. Nous ne comprenons pas comment en Occident, on puisse désormais soutenir ces néonazis d’Ukraine, comment est-ce possible ? Et comment cela va-t-il finir ? Probablement en France, peu de gens doivent vous croire ou vous suivre, mais nous vous remercions pour ce que vous faites. La Russie finalement est intervenue, comme nous avons attendu longtemps ce moment ! Mais vous voyez, ici ça continue, ces gens, ces nationalistes ukrainiens ne s’arrêteront jamais. A l’époque déjà quand je suis née, Khrouchtchev avait dû faire le ménage, mais ils sont de nouveau là, et en Occident ils sont maintenant leurs alliés. C’est fou, ils n’ont rien retenu des leçons du passé. Nous avons une cousine aux USA, pendant 8 ans, elle nous a écrit des messages pour nous demander si nous n’avions pas perdu la raison à Donetsk. Elle est née ici aussi. Et puis la grand-mère est morte de mort naturelle, il y a peu, alors son fils est venu dans le Donbass. Il est resté un moment pour régler toutes les affaires, et il a vu ce qu’il se passe. Désormais, c’est fini ! Notre cousine ne pense plus que nous sommes des grands malades, elle a comprit, mais avec la propagande qu’elle subie aux États-Unis, je vous laisse imaginer comment elle est tombée de haut. ».

Nous nous quittons sur ces paroles, l’homme me serrant vigoureusement la main, et nous souhaitant de la chance, et surtout de rentrer chez nous en vie. Comme toujours, les Russes ont une foule de formules pour souhaiter de bonnes choses aux gens, et comme d’habitude ils n’en sont pas avares. Je pourrais arpenter toute la ville et toujours je récolterais les mêmes constatations, les mêmes espoirs et l’impression tenace, que ces gens ont une grande profondeur, un sens inné finalement de ce qui est essentiel dans la vie, loin des standards occidentaux, l’individualisme, l’égoïsme, la sur-consommation, et c’est triste à dire et constater, un effondrement de la culture, des savoirs livresques et des capacités des populations à réfléchir, à exercer un esprit critique et à être objectifs, tolérants et même attentionnés à l’autre, à entretenir l’empathie et la bienveillance. Dans le Donbass, ils ont des rêves, en Ukraine ils sont venus à leur rencontre avec des canons et des missiles et en criant des slogans racistes, russophobes et néonazis.

Laurent Brayard pour le Donbass Insider

Source : Donbass Insider
https://www.donbass-insider.com/fr/…

Notre dossier Donbass