Le président français Emmanuel Macron, à droite, accueille le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avant leur rencontre au palais de l’Élysée, à Paris, jeudi  2  février 2023.
[AP Photo/Michel Euler]

Par Samuel Tissot

Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a rendu visite au président français Emmanuel Macron à Paris, le jeudi 2 février. Il s’agissait de la première visite officielle de Netanyahou à l’étranger depuis qu’il est redevenu premier ministre, le 29  décembre dernier.

Bien qu’on n’ait publié aucune allocution officielle ni transcription suite à la rencontre entre Macron et Netanyahou, les détails des discussions fournis aux grands journaux par des responsables gouvernementaux indiquent clairement que l’objectif de la rencontre était de planifier l’escalade de la guerre de l’OTAN en Ukraine et les provocations d’Israël visant l’Iran.

La réunion a eu lieu au milieu d’efforts des puissances impérialistes pour intensifier de manière drastique la guerre en Ukraine. Dans la première semaine de janvier, Macron fut le premier dirigeant d’un pays de l’OTAN à annoncer la livraison de chars à l’Ukraine, aboutissant à la livraison récente de 120  chars de combat avancés et de systèmes de missiles encore plus avancés aux lignes de front par les pouvoirs de l’UE et les États-Unis. On s’attend maintenant à ce que, dans une nouvelle escalade, les pays de l’OTAN livrent bientôt des avions de chasse à l’Ukraine.

Dans ce contexte, Netanyahou a profité de la réunion pour jouer sa «carte ukrainienne» et a accepté d’envoyer des armements israéliens aux forces ukrainiennes. En échange, il a cherché à obtenir de la France et de ses alliés européens des garanties que le traité sur le nucléaire iranien de 2015 ne serait pas relancé et que les pouvoirs européens continueront à fermer les yeux sur les bombardements israéliens en Iran, ainsi que sur le caractère d’extrême droite de son gouvernement et ses mesures répressives à l’intérieur du pays.

Selon une source citée par Le Monde et informée du contenu de la rencontre, Netanyahou a promis au président français qu’Israël livrerait des «choses militaires» à l’Ukraine. Le ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, doit se rendre à Kiev cette semaine pour finaliser les livraisons d’armes israéliennes à l’armée ukrainienne.

En retour, «Macron s’est dit prêt à peser les sanctions contre l’IRGC (le Corps des gardiens de la révolution islamique en Iran)». Lors d’une conférence de presse le lendemain de la rencontre, Netanyahou a déclaré que «la France et Israël se rapprochent beaucoup dans leur façon de voir la menace iranienne».

Les deux dirigeants sont tous deux à la tête de régimes en crise honnis de larges pans de leur population. Au moment de leur rencontre, des millions de travailleurs et de jeunes français et israéliens protestaient contre leurs gouvernements respectifs. En effet, il est plus ou moins évident que Netanyahou espérait que sa première visite d’État officielle lui assurerait une publicité favorable en tant que nouveau Premier ministre et lui permettrait de passer sous silence l’opposition intérieure massive à son régime.

En Israël, les manifestations contre son gouvernement de coalition d’extrême droite et son projet de réforme judiciaire en sont à leur cinquième semaine. Le 4 février, des dizaines de milliers de personnes ont encore défilé dans 20  villes du pays, pour protester contre la tentative de réforme de Netanyahou visant à émasculer le système judiciaire et à bloquer les poursuites contre lui, et contre son gouvernement de nationalistes d’extrême droite, de racistes et d’homophobes.

En France, Macron supervise un régime tout aussi fragile. Le président fait face à des manifestations massives de travailleurs et de jeunes contre sa réforme des retraites, massivement impopulaire, et contre la baisse rapide du niveau de vie. Le 31  janvier, selon les syndicats français, 2,5  millions de personnes ont manifesté contre cette réforme. Même le chiffre de 1,27  million de manifestants avancé par le gouvernement est un record. Cela faisait suite à une grève d’un jour le 18  janvier, elle aussi soutenue par des millions de gens.

La réunion à huis clos a eu lieu alors que le gouvernement Netanyahou mène une série d’attaques violentes contre le peuple palestinien. Rien qu’en janvier, 32  personnes ont été tuées par les forces israéliennes ou par des colons. Parmi ces attaques, un raid faisant 10 morts des forces de sécurité israéliennes sur le camp de réfugiés de Jénine, le 26  janvier. Cette nouvelle offensive fait partie de l’emploi par le gouvernement Netanyahou de la violence d’État pour étendre massivement les colonies en Cisjordanie et supprimer toute opposition intérieure à l’annexion des territoires palestiniens.

Même à huis clos, Macron n’a pas condamné la politique meurtrière de l’État israélien. Il a au contraire averti Netanyahu: «Si vous continuez ce que vous faites en Palestine, ça sera difficile pour l’Arabie saoudite d’accepter un accord avec vous».

Autrement dit, Macron ne s’oppose pas à une escalade de la violence contre les Palestiniens tant qu’elle ne menace pas l’axe Israël-Arabie saoudite soutenu par l’OTAN au Moyen-Orient et dirigé contre l’Iran. En effet, en 2022, le gouvernement Macron a dénoncé les associations caritatives et les organisations qui qualifient d’apartheid la persécution par l’État israélien de sa population palestinienne et le statut juridique privilégié des citoyens juifs.

Macron est clairement préoccupé par l’instabilité du régime de Netanyahou. Selon des remarques fuitées, le président français a dit à Netanyahou que la réforme judiciaire ouvrait « une crise sans précédent depuis la naissance de l’État en 1948» et a prévenu que si elle passait, «Paris devrait conclure qu’Israël s’est éloigné d’une conception commune de la démocratie».

Les critiques de Macron, bien qu’elles montrent clairement que les bourgeoisies impérialistes sont bien conscientes du caractère anti-démocratique du régime israélien actuel sont pénétrées d’hypocrisie. En alliance avec le Rassemblement national d’extrême droite de Marine Le Pen, le «président des riches» (Macron) a supervisé sa propre batterie de lois anti-démocratiques, notamment la loi discriminatoire contre les musulmans et la loi sur la sécurité globale, qui interdit de prendre des photos ou des vidéos de la police.

Le refus de Macron de condamner publiquement la réforme judiciaire de Netanyahou ou la répression meurtrière des Palestiniens par Israël, malgré ses doutes sur leurs conséquences géopolitiques, découle de la politique sanglante des puissances mêmes de l’OTAN. Elles cherchent actuellement avant tout à s’assurer un large soutien israélien pour la guerre impérialiste menée contre la Russie en Ukraine. La baisse des retraites par Macron vise à permettre au budget de l’État de financer le réarmement rapide de l’impérialisme français et la livraison d’armes à l’Ukraine sans réduire la richesse des super-riches.

Macron et Netanyahou sont largement conscients de l’opposition de masse à leurs régimes et à la guerre OTAN-Russie. C’est pourquoi ces dirigeants «démocratiques» se sont rencontrés à huis clos afin de planifier la prochaine étape de l’escalade de la guerre en Ukraine et la façon de poursuivre les efforts pour provoquer le régime bourgeois nationaliste iranien à une action pouvant servir de prétexte à une guerre totale contre l’Iran.

Le fait que deux politiciens aussi largement détestés puissent se réunir et préparer des attaques militaires contre des puissances majeures comme la Russie et l’Iran doit être considéré comme un avertissement par les masses travailleuses internationalement. Le danger que la guerre en Ukraine puisse s’étendre à l’ensemble du Moyen-Orient et se transformer en conflit direct entre grandes puissances dotées d’armes nucléaires est très réel.

De plus, ni Macron ni Netanyahou ne regardent l’éruption de l’opposition politique et de la protestation sociale dans la classe ouvrière et la jeunesse comme une raison de changer de politique. Ils tentent au contraire de créer les conditions pour intensifier leur politique réactionnaire en accélérant leur escalade militaire et en exigeant que la population se rallie à eux et aux forces armées afin de mener les guerres dans le déclenchement desquelles ils ont eux-mêmes joué un rôle décisif.

La voie à suivre est la construction d’un mouvement anti-guerre de masse, international, au sein de la classe ouvrière, indépendant de l’ensemble de l’establishment politique. Seule une telle force peut briser l’influence réactionnaire de personnalités telles que Macron et Netanyahou et arrêter l’escalade militaire qu’ils mettent en marche de façon irresponsable, avant qu’elle n’éclate en une conflagration mondiale.

(Article paru d’abord en anglais le 6 février 2023)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…