Par Luc Michel

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LES OBJECTIFS STRATEGIQUES DE LA RUSSIE EN AFRIQUE (I)

Edité par Luc MICHEL
Et CENTRAFRICA-NEWS-TV/

2023 11 02/

« Propagande, contre-propagande… Comme au temps de la guerre froide, difficile de faire la part entre les fantasmes et les « intox » de l’un et l’autre camp. La presse anglo-saxonne accuse par exemple les Russes d’avoir favorisé la victoire de Rajoelina à la présidentielle malgache et celle de l’ANC aux législatives en Afrique du Sud en achetant des journalistes locaux ou en influençant les électeurs via les réseaux sociaux. Un peu de la même manière qu’ils auraient aidé Donald Trump à battre Hillary Clinton.

Il est en revanche certain que les 54 pays d’Afrique, qui représentent près d’un tiers des voix à l’Assemblée générale de l’ONU, constituent pour la Russie un réservoir de votes fort utile : en 2014, 58 pays s’étaient abstenus lors du vote de la résolution condamnant l’annexion de la Crimée. Parmi eux, l’Égypte, l’Algérie, l’Afrique du Sud, le Mali, le Rwanda, le Sénégal, le Gabon…

De même que les sanctions économiques infligées par les Occidentaux à la suite de l’annexion de la Crimée et du conflit larvé avec l’Ukraine poussent Moscou à s’intéresser à l’Afrique, celle-ci n’est pas insensible à la petite musique que lui fredonne le gentil nounours russe.

D’abord, ne l’ayant jamais colonisée, il n’a pu la décevoir. Ensuite, il s’abstient de toute ingérence moralisatrice. Poutine ne s’était-il pas élevé contre l’élimination de Kadhafi, qui a traumatisé plus d’un leader africain ? Qu’il soutienne le Vénézuélien Maduro ou le Syrien Assad, qu’il ait reçu, avant leur chute, Robert Mugabe ou Omar el-Béchir, a quelque chose de rassurant pour ceux qui ne sont pas de vertueux démocrates.

La stratégie de Poutine serait-elle la victoire posthume d’Evgueni Primakov ? Ministre des Affaires étrangères et Premier ministre à la fin des années 1990, cet arabisant aux sourcils broussailleux s’était attelé après la chute de l’URSS à reconstruire des relations avec l’Afrique dans l’objectif de constituer un bloc antioccidental et de faire émerger un monde multipolaire dans lequel la Russie pourrait renaître de ses cendres. »

(Jeune afrique, « Russie-Afrique : la stratégie de Vladimir Poutine pour reconquérir le continent », août 2019).

La Russie a sans doute étendu son influence en Afrique plus rapidement que tout autre acteur extérieur au cours des dernières années, après s’être largement retirée du continent après la Guerre Froide :

Les objectifs stratégiques de la Russie.

Si les engagements de la Russie en Afrique sont souvent décrits par les occidentaux comme « opportunistes », la Russie poursuit systématiquement plusieurs priorités primordiales qui guident ses actions.

L’un des principaux objectifs de la Russie en Afrique est d’acquérir une influence sur des territoires stratégiques le long de la Méditerranée méridionale et de la mer Rouge.

C’est ce qui s’est passé le plus explicitement en Libye où, à l’encontre des efforts déployés par les Nations unies pour établir un gouvernement stable et unifié à Tripoli, la Russie a déployé des mercenaires du Groupe Wagner en 2019 dans le but d’installer son mandataire, Khalifa Haftar, comme nouvel homme fort. En cas de succès, Moscou disposerait ainsi d’une présence militaire durable en Afrique du Nord, sur le flanc sud de l’OTAN.

Associée à des engagements plus importants en Algérie et en Égypte, la Russie se positionne comme un acteur de poids dans le sud de la Méditerranée. Cette démarche s’est accompagnée d’efforts russes visant à sécuriser l’accès aux ports navals de la mer Rouge, notamment à Port-Soudan, en soutenant le gouvernement militaire soudanais.

L’un des principaux objectifs de la Russie en Afrique est d’acquérir une influence sur des territoires stratégiques le long de la Méditerranée méridionale et de la mer Rouge.

En établissant une présence navale en Afrique du Nord et en mer Rouge, la Russie serait en mesure, entre autres, de perturber le transport maritime mondial (y compris les mouvements navals occidentaux) à travers les goulots d’étranglement du canal de Suez et du détroit de Bab al-Mandab entre le Yémen et Djibouti. Plus de 30 % du trafic mondial de conteneurs emprunte ces couloirs.

UN DEUXIEME OBJECTIF STRATEGIQUE RUSSE EN AFRIQUE EST DE SUPPLANTER L’INFLUENCE OCCIDENTALE.

C’est ce que l’on constate le plus clairement en République centrafricaine (RCA) et au Mali, où la Russie est devenue le principal partenaire de sécurité du gouvernement civil de la RCA et de la junte militaire du Mali.

Ce faisant, la Russie cherche à renforcer son statut de grande puissance dont les intérêts doivent être pris en compte dans toutes les régions du monde. Cet objectif a pris une importance accrue à la suite de la nouvelle invasion de l’Ukraine par la Russie, car Moscou cherche à éviter l’isolement international et à démontrer qu’elle reste un acteur mondial viable.

Un troisième objectif stratégique des engagements de la Russie en Afrique est de remodeler l’ordre international fondé sur des règles, inscrit dans la Charte des Nations unies.2.

Facilité par un message de désinformation concerté visant à dénigrer la démocratie comme un modèle de gouvernance non viable, cet objectif cherche à compenser les désavantages inhérents auxquels la Russie est confrontée dans un ordre mondial pro-américain.

RECOURS A DES MOYENS ASYMETRIQUES ET DESTABILISANTS : LA GUERRE HYBRIDE RUSSE

C’est par des méthodes non officielles que la Russie a gagné le plus d’influence en Afrique ces dernières années. Et ce sont ces dernières qui sont les plus problématiques. Ces outils à faible coût et à forte influence – tels que le déploiement de paramilitaires, la désinformation, l’ingérence dans les élections et les contrats d’échange d’armes contre des ressources – sont invariablement opaques et déstabilisants.3 Ces outils sont généralement utilisés dans le cadre d’un ensemble de mesures visant à soutenir des acteurs politiques vulnérables, qui sont ensuite redevables à Moscou.

Cette approche de « cooptation de l’élite » permet à la Russie d’exercer une influence considérable sur les dirigeants, et donc sur le gouvernement.4.

Au-delà de ces efforts ciblés visant à soutenir des dirigeants sympathisants en Afrique, la Russie a été « le principal pourvoyeur de campagnes de désinformation (sic) plus généralisées sur le continent, avec au moins 16 opérations connues ».

Outre les cas de la République centrafricaine, du Mali, de la Libye et du Soudan évoqués précédemment, la Russie cherche à tirer parti de son influence accrue sur le continent en cultivant des relations  similaires avec au moins une demi-douzaine d’autres dirigeants africains. Compte tenu des gains qu’elle a réalisés grâce à cette stratégie, on peut s’attendre à ce que la Russie tente encore d’étendre son influence en Afrique dans les années à venir.

Au-delà de ces efforts ciblés visant à soutenir des dirigeants sympathisants en Afrique, la Russie a été « le principal pourvoyeur de campagnes de désinformation plus généralisées sur le continent, avec au moins 16 opérations connues ».5 Outre les thèmes explicitement pro-russes, anti-occidentaux et anti-démocratiques, ces campagnes ont été utilisées pour amplifier les griefs dans les pays dotés de gouvernements démocratiques, ce qui a permis de préparer le terrain pour une influence ultérieure de la Russie.

Le succès russe, qui a permis d’atteindre un large public africain en ligne avec des coûts limités, a encouragé l’expansion de ces tactiques. Au fil du temps, les campagnes de désinformation russes en Afrique sont devenues de plus en plus sophistiquées pour camoufler leurs origines en externalisant les opérations de postage à des influenceurs locaux « franchisés » qui sont alimentés en contenu par une source centrale.6.

IMPLICATIONS EN AFRIQUE

Une évaluation commune de l’engagement de la Russie en Afrique est que, puisque Moscou n’investit pas de ressources importantes sur le continent, ses effets sont marginaux.

La récente vague de coups d’État en Afrique élargit donc le nombre de prétendants potentiels au soutien russe.

Une autre implication déstabilisante de la cooptation des dirigeants africains par la Russie est l’affaiblissement de la démocratie à l’occidentale (particratie). Il s’agit en partie d’un résultat instrumental du modèle de la Russie. Ce phénomène est renforcé par les messages des canaux officiels russes, selon lesquels les limites des mandats présidentiels à l’américaine ne doivent pas être respectées.

D’UN POINT DE VUE GEOSTRATEGIQUE

Si la Russie s’établit comme un courtier de pouvoir clé en Libye, avec un accès sans entrave aux bases navales et aériennes dans le sud de la Méditerranée, elle est en meilleure position pour menacer l’OTAN et perturber les mouvements maritimes de l’OTAN en temps de crise. Tripoli, par exemple, n’est qu’à 970 kilomètres de Rome. Il est donc à la fois symbolique et instructif que le gouvernement reconnu par les Nations unies à Tripoli ait clairement condamné l’agression de la Russie en Ukraine – une position qui basculerait sûrement si la Russie devait implanter un mandataire dans tout nouveau gouvernement unifié issu des négociations en cours.

Les engagements de la Russie en Afrique sont une combinaison d’outils conventionnels (commerce, diplomatie, coopération en matière de sécurité, échanges économiques, culturels et éducatifs) et non conventionnels (capture d’État, paramilitaires, armes contre ressources, ingénierie électorale). Il est important de différencier ces approches et de reconnaître que c’est cette dernière catégorie d’activités qui est la plus déstabilisante et qui mérite l’attention.

Grâce aux liens diplomatiques, d’investissement direct étranger, commerciaux, de développement, de sécurité et culturels qu’ils entretiennent depuis des décennies avec l’Afrique, l’engagement des États-Unis sur le continent est plusieurs fois supérieur à celui de la Russie.

L’ECHEC AMERICAIN

« Les États-Unis doivent éviter de tomber dans le piège de la guerre froide en rivalisant avec Moscou pour l’affection des africains. Il s’agit d’une compétition que les États-Unis vont sûrement perdre – et qui va à l’encontre des intérêts américains ».

Un dernier point d’attention est la reconnaissance du fait que la Russie a été en mesure d’étendre rapidement son influence en Afrique ces dernières années parce qu’elle a dû faire face à peu de coûts économiques ou de réputation pour ses actions. Nous pouvons nous attendre à ce que la Russie continue à étendre son influence sur le continent jusqu’à ce que les coûts pour le faire dépassent les avantages.

Les sanctions du Trésor américain à l’encontre des Russes impliqués dans des actions de déstabilisation en Afrique auraient  du constituer une étape essentielle pour augmenter le coût des activités de la Russie, en coordination avec les partenaires européens, afin de maximiser leur impact. Si ces sanctions ne mettent pas immédiatement fin au mauvais comportement des Russes, elles augmentent le coût des affaires. 9.

Ces textes, ainsi que la loi Magnitsky, la loi sur les pratiques de corruption à l’étranger, la loi sur la lutte contre les adversaires américains par le biais de sanctions et d’autres législations, offrent aux États-Unis un large éventail d’options juridiques permettant d’alourdir les sanctions imposées à la Russie pour son rôle en Afrique.

NOTES

(2) Joseph Siegle, « Putin’s Threats to the International Order Loom over Africa », dans Side Effects : Ukraine’s Perfect Storm Looming over Africa, Institut italien d’études politiques internationales, 6 mai 2022.

(3) Joseph Siegle, « Russia’s Asymmetric Strategy for Expanding Influence in Africa », London School of Economics Africa Blog, 17 septembre 2021.

(4) Joseph Siegle, « How Russia is Pursuing State Capture in Africa », London School of Economics Africa Blog, 21 mars 2022.

(5) Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Cartographie de la désinformation en Afrique », Éclairages, 26 avril 2022.

(6) Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Des campagnes de désinformation russes ciblent l’Afrique : Entretien avec la Dr. Shelby Grossman », Éclairages, 18 février 2020.

(7) Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Autocratie et instabilité en Afrique », Infographie, 9 mars 2021.

(8) E. Gyimah-Boadi, Carolyn Logan, Josephine Sanny, « Africans’ Durable Demand for Democracy », Journal of Democracy, vol. 32 (3), juillet 2021.

(9) Joseph Siegle, « Russia and Africa : Expanding Influence and Instability», dans Graeme Herd (ed) Russia’s Global Reach : A Security and Statecraft Assessment, George C. Marshall Center, 2021.

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