Par Laurent Brayard

Nous sommes dans Marioupol et en ce jour ensoleillé, nous nous trouvions à l’ouverture d’une école de la ville. Mais dans cette école, accompagnés de leurs enfants se trouvaient également de nombreux parents. Très vite nous entamons le dialogue avec eux, lorsque Dimtri se présente à nous. Ce solide gaillard, âgé de 52 ans nous indique être né dans la ville, où il a toujours travaillé comme taxi. Il connaît sa ville natale comme sa poche et a assisté à tous les événements depuis le Maïdan jusqu’à la bataille et siège de Marioupol. Bientôt je pose la question des répressions du SBU, du massacre dans les rues de la ville (9 mai 2014), et l’homme développe alors un témoignage qui me relie immédiatement à mes recherches de 2015-2016. Le Pravy Sektor fusillait des gens à l’aéroport de la ville, durant l’été 2014 me dit-il. J’en avais entendu parler, mais jamais je n’avais croisé un témoin. Une fois encore j’allais devoir affronter une terrible réalité, celle de l’Ukraine assassine.

« Je suis un enfant du pays, je suis d’ici et lorsque le Maïdan a commencé dans la capitale, je n’ai pas d’abord compris ce qu’il allait se passer. J’ai cru comme tout le monde, que cette révolution serait de nouveau une de celles que nous avions connues à Kiev. J’ai pensé que ce foutoir resterait cantonné à Kiev et dans l’Ouest, mais ce ne fut nullement le cas. Dans la ville, nous étions tous opposés à ce que proposait le Maïdan, et nous avons vu la montée inquiétante des groupes extrémistes. Lorsque cela a dégénéré, la ville était en ébullition totale. Je n’ai pas assisté au massacre du 9 mai dans la ville, mais je travaillais, il y avait des tirs et des fusillades. Des gens ont été abattus par les forces de l’ordre et tout le monde était en colère. Lorsque le 11 mai, un référendum a été organisé dans la ville pour le rattachement à la République de Donetsk, vous auriez vu cela !!! Des milliers de gens se sont précipités dans les bureaux de vote, il y avait des files de centaines de mètres de long. Tout le monde voulait rejoindre la RPD, nous étions du Donbass, nous étions Russes et l’enthousiasme était grand. C’était inimaginable, tout le monde était optimiste et nous avons vraiment cru que nous pourrions nous détacher de l’Ukraine, cela paraissait si évident. Pas une voix ne parlait en faveur de l’Ukraine et du régime en dérive complète qui se trouvait à Kiev. Mais cela ne s’est pas passé comme nous l’avions voulu ».

Je marque une pause, ma concentration est au maximum pour tenter de mémoriser tout ce qu’il raconte et bien comprendre le moindre des détails. Il continue ensuite sans s’arrêter et évoque bientôt les tueries et l’arrivée des bataillons Azov et Dniepr-1 dans la ville :

« Lorsqu’ils sont arrivés les répressions ultraviolentes ont commencé. J’ai rencontré des amis pour que nous puissions nous défendre, mais nous n’avions quasiment pas d’armes. Deux fois je suis allé voir un vieux copain qui tentait d’organiser la défense, mais il me dit bientôt qu’il ne fallait pas revenir chez lui, que tout était perdu. Nous avions vraiment cru que cela se passerait comme à Donetsk, ou mieux encore comme en Crimée. Vous me dites qu’officiellement il y a eut une centaine de morts et sans doute quelques centaines, je n’en sais rien à vrai dire, comment savoir ? Ce que je sais c’est qu’un autre ami qui était lui aussi conducteur de taxi, favorable à l’insurrection, fut bientôt arrêté lors d’un contrôle par une unité du Pravy Sektor. Comme nous l’avons su plus tard, ils emmenaient les « terroristes » à l’aéroport et là, les soldats du Pravy Sektor, de la police et des unités fascistes fusillaient les insurgés. Oleg, c’est son nom est mort ainsi, fusillé par ces nazis, sans autre forme de procès. Ils en ont tué beaucoup, et les autres qui étaient jugés moins coupables, étaient chargés dans des avions et envoyés en Ukraine, probablement à Kiev. Nous n’en avons également plus jamais entendu parler. On aurait voulu se défendre, mais avec quelles armes ? Par la suite j’ai moi-même échappé à la mort, lors d’un contrôle sur la route, j’ai compris que j’étais en danger, qu’ils pouvaient m’emmener. Alors, ayant réagi immédiatement, j’ai pu changer de direction et disparaître. ».

L’homme confirme de nouveau les fusillades de l’aéroport, mais en posant les questions sur les fosses communes et les prisons secrètes, il indique ne rien avoir su de cela. Père de famille, grand-père, son devoir fut ensuite de prendre soin des siens et comme il l’indique : « ensuite nous avons attendu la Russie. Vous n’imaginez pas comme nous l’avons attendu. Au début j’ai préféré envoyer les miens en Crimée, où nous avons de la famille. Les fascistes de Pravy Sektor et d’Azov se sont mis à arrêter plein de gens partout dans la ville. Ils avaient fait des listes à l’aide de locaux, des gens les plus aisés. Tous ceux qui avaient de l’argent furent inquiétés. Ils étaient emmenés dans des postes de police où ils étaient battus et interrogés pour des crimes imaginaires. Et puis très vite, ils demandaient une rançon. Tous les gens qui en ont été victimes m’ont dit qu’ils ont payé, car c’était ça ou la mort. Alors pour vivre, ils ont préféré payer, ceux qui ne l’ont pas fait ont été assassinés. Ce qu’est devenu cet argent ? Je ne sais pas si cela allait directement dans leurs poches, mais sans doute qu’en grande partie oui. On espérait, surtout au début, que les soldats de la RPD pourrait finalement reprendre la ville. Nous avons prié dans notre for intérieur, surtout au moment des premières victoires de l’hiver 2014-2015, et puis nous avons compris qu’il faudrait encore attendre. Comme taxi, vous savez je parle avec plein de gens, et vous imaginez qu’en 8 ans, j’ai également conduit des soldats. Il y avait de tout, mais pas des gens de chez nous, ça c’est certain. Dans l’armée régulière, c’était souvent des pauvres types. Ils n’étaient pas spécialement pour l’Ukraine, ni fascistes. Alors je leur disais, mais qu’est-ce que tu fous là ? Retournes chez toi, ici c’est ma ville, on veut vivre en paix. Ceux-là répondaient qu’il fallait comprendre que l’armée en ce moment c’était de belles opportunités, de beaux salaires. D’autres étaient contre la guerre, dans ce cas je leur disait d’abattre leurs officiers et de passer de l’autre côté… Quand il y avait un fasciste dans ma voiture, alors bien sûr je me taisais, de toute façon ces gars-là étaient parfaitement repérables, avec leurs insignes et surtout l’agressivité et leur façon d’évoluer ».

Le temps me manqua pour lui demander de me narrer l’ensemble des 8 années d’occupation, mais il m’affirma encore que décidément, l’attente avait été longue : « Lorsque la Russie est intervenue, nous, nous étions si contents ! Pour peu, on aurait ouvert le champagne ! Mais on a du ronger encore notre frein. Au début de l’attaque, j’aurais bien voulu envoyer ma famille à l’arrière, comme ce fut le cas en 2014. Je n’ai pas pu car l’armée ukrainienne nous a empêché, nous et les civils de toute la ville de nous enfuir. Moi vous comprenez, je suis un homme décidé, dans la force de l’âge, j’ai servi aussi dans l’armée, je n’avais pas peur pour moi, mais pour les miens. On a compris qu’ils cherchaient à nous utiliser comme boucliers, et nous les avons vu systématiquement stationner dans les écoles. Pour eux c’était pratique, un peu comme une caserne. Dans cette école où nous sommes, ils ne sont restés que trois jours, vous voyez qu’autour ce ne sont que des quartiers résidentiels, je vous laisse faire la conclusion de ce qu’ils faisaient. J’habite moi dans une grande maison que j’ai faite construire il y a longtemps. J’avais toujours voulu que toute ma famille vive avec moi. Alors, comme j’ai un puits, que j’ai pu acheter un groupe électrogène, j’ai tout fait pour protéger ma famille. Deux obus ont endommagé ma maison, mais ce n’est rien, je réparerais les dégâts. Et puis lorsque les gars de la RPD sont arrivés, ils étaient très suspicieux ! Nous nous étions contents, ils ont vérifié nos papiers et puis ils ont compris qu’il n’y avait pas de danger. C’était fini nous étions enfin libres ! ».

Ainsi s’achève la discussion avec Dimitri, mais elle m’incite à retourner à Marioupol afin de découvrir d’autres témoignages qui pourront s’ajouter à tous ceux que j’ai fait en 2015-2016. Il faut espérer que finalement, les criminels et responsables de ce qui a été fait à cette ville, paraissent un jour devant un tribunal à la face des hommes. La Russie a déjà voté une loi pour que cela soit fait à la face du monde. Ce jour-là, la vérité aura du mal à être dissimulée en Occident.

Laurent Brayard pour le Donbass Insider

Source : Donbass Insider
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