Le président russe Vladimir Poutine prononce son discours annuel sur l’état de la nation à Manezh,
Moscou, Russie, mercredi 21 avril 2021. (Mikhail Metzel, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP)

Par Peter Symonds

Dans un des commentaires les plus explicites de la Chine sur la confrontation croissante entre les États-Unis et la Russie au sujet de l’Ukraine, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a mis en garde Washington et ses alliés contre toute «surenchère autour de la crise». Il a appelé toutes les parties à «rester calmes et à s’abstenir de comportements qui stimulent la tension».

Wang a fait ces remarques lors d’une réunion virtuelle avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken jeudi dernier. Le gouvernement Biden et les médias américains ont délibérément créé des tensions extrêmes au sujet de l’Ukraine en déclarant à plusieurs reprises que la Russie était sur le point d’envahir le pays, une affirmation que même le président ukrainien a publiquement démentie.

Wang a clairement signalé le soutien de Pékin à Moscou, déclarant que les «préoccupations raisonnables de la Russie en matière de sécurité devraient être prises au sérieux et résolues.» La Russie a demandé à plusieurs reprises aux États-Unis et à ses alliés européens de garantir que l’Ukraine ne sera pas admise en tant que membre de l’OTAN, ce qui amènerait l’alliance militaire dirigée par les États-Unis à la frontière russe.

Faisant indirectement référence à l’expansion de l’OTAN en Europe de l’Est depuis la dissolution de l’Union soviétique en 1991, Wang a déclaré à Blinken que la sécurité européenne ne pouvait être garantie par «le renforcement, voire l’expansion, des blocs militaires».

L’opposition de la Chine aux actions agressives des États-Unis en Ukraine est liée aux inquiétudes suscitées par les mises en garde de Washington contre une éventuelle invasion chinoise de Taïwan. Ce sont des allégations qui, comme celles dirigées contre la Russie, sont fabriquées de toutes pièces. Le gouvernement Biden a exploité ces allégations non fondées d’«agression chinoise» comme prétexte pour renforcer les liens avec Taïwan, violant ainsi les protocoles diplomatiques américains de longue date sur le statut de l’île.

Wang a déclaré que l’attitude des États-Unis à l’égard de la Chine n’avait pas substantiellement changée depuis la rencontre du président Biden avec son homologue chinois Xi Jinping en novembre. Le ministre chinois des Affaires étrangères a accusé les États-Unis de continuer à commettre des erreurs vis-à-vis de la Chine, «provoquant de nouveaux chocs dans les relations entre les deux pays». Wang a mis en garde les États-Unis contre le risque de jouer avec le feu au sujet de Taïwan, que la Chine considère comme une province renégate, et contre toute «ingérence» dans les Jeux olympiques d’hiver de Pékin, qui doivent débuter vendredi.

Plus tard dans la semaine, Xi doit rencontrer le président russe Vladimir Poutine, qui s’envole pour Pékin afin d’assister aux Jeux olympiques, notamment pour manifester son opposition au boycott diplomatique de l’événement par les États-Unis. Il s’agira de la première rencontre en personne de Xi avec un chef d’État étranger depuis mars 2020, lorsqu’il a rencontré le président pakistanais.

Alors que les tensions montaient au sujet de l’Ukraine, Poutine et Xi ont tenu une réunion en ligne à la mi-décembre, au cours de laquelle le président russe aurait appelé Xi son «cher ami» et déclaré que les relations entre les deux pays avaient atteint «un niveau élevé sans précédent».

Xi a appelé à des efforts conjoints accrus pour sauvegarder efficacement les intérêts des deux pays en matière de sécurité. Car, «certaines forces internationales», s’ingèrent dans les affaires intérieures de la Chine et de la Russie et «piétinent le droit international» sous couvert des droits de l’homme.

Un flot continu de commentaires dans les médias américains et européens spécule sur la force croissante des relations entre Moscou et Pékin, les conséquences d’un conflit avec la Russie mené par les États-Unis et la perspective que la Chine «profite» de la crise ukrainienne pour envahir Taïwan.

Un article du Financial Times paru hier dans ce sens s’intitule «Le conflit ukrainien éclaire l’approfondissement des liens entre Pékin et Moscou». Ses «preuves» des intentions de la Chine sont les élucubrations d’un blogueur nationaliste chinois de droite qui déclare que la crise ukrainienne «sera une occasion historique pour nous de résoudre le problème de Taïwan».

Le caractère peu convaincant de l’argument reflète le monde à l’envers de la propagande américaine, dans laquelle des menaces concoctées d’invasions russes et chinoises sont utilisées pour justifier les provocations militaires américaines contre ces deux pays. Alors que les États-Unis et leurs alliés ont mis leurs troupes en état d’alerte et fourni des armes à l’Ukraine, la marine américaine a organisé une série d’exercices militaires majeurs dans la mer de Chine méridionale et dans les eaux au large de Taïwan.

Comme le Financial Times l’a lui-même reconnu, la crise ukrainienne de 2014, «a rompu les relations de la Russie avec l’Occident et a poussé Moscou dans les bras de la Chine». Ou, pour être plus précis, les menaces et provocations américaines croissantes à l’encontre de la Russie et de la Chine, qui visent à terme à leur démembrement et subordination, ont poussé les deux pays à une quasi-alliance.

Le soutien de la Chine à la Russie contraste avec sa réaction équivoque au conflit de 2014, à la suite du coup d’État d’extrême droite soutenu par les États-Unis à Kiev, lequel a évincé un gouvernement ukrainien prorusse. La Chine a accusé l’«ingérence étrangère occidentale d’avoir provoqué la crise», mais n’a pas soutenue l’annexion de la Crimée par la Russie ni son soutien aux séparatistes dans l’est de l’Ukraine.

En 2014, la Chine s’est abstenue sur les résolutions de l’ONU concernant l’annexion de la Crimée par la Russie et ne reconnaît toujours pas la Crimée comme faisant partie du territoire russe. Dans le même temps, tout en rejetant les sanctions américaines et européennes à l’encontre de la Russie, la Chine a tacitement autorisée les entreprises chinoises, y compris ses énormes banques publiques, à respecter les sanctions, pour éviter d’être coupé des marchés financiers américains et du système bancaire international.

Depuis 2014, cependant, la Russie et la Chine n’ont cessé de renforcer leurs relations diplomatiques, économiques et stratégiques. Selon le Financial Times, entre 2013 et 2021, la part de la Chine dans le commerce extérieur russe a doublé, passant de 10 à 20 pour cent. Lors de leur rencontre en décembre, Xi et Poutine ont noté que le commerce bilatéral des trois premiers trimestres de 2021 a dépassé pour la première fois les 100 milliards de dollars américains, et devrait atteindre un nouveau record pour l’ensemble de l’année.

La Russie et la Chine ont renforcé leurs liens militaires par le biais de l’Organisation de coopération de Shanghai, créée en 2001. À partir du 21 janvier, la Chine, la Russie et l’Iran ont organisé leurs troisièmes exercices navals conjoints dans le golfe d’Oman pour «renforcer la sécurité» et la «coopération multilatérale». Ces exercices faisaient suite à des exercices navals menés par la Russie et la Chine au large des côtes russes dans l’Extrême-Orient en octobre. Des exercices militaires conjoints ont également eu lieu dans le nord-ouest de la Chine en août, auxquels ont participé quelque 13.000 soldats, des centaines d’avions; ainsi que de l’artillerie, des batteries antiaériennes et des véhicules blindés.

Alexander Korolev, un analyste basé à l’Université de New South Wales à Sydney, a présenté les projets de collaboration au Financial Times. Des exercices conjoints plus fréquents et plus substantiels, une collaboration en matière de développement d’armes, des consultations régulières sur les questions militaires et de sécurité et des échanges de personnel militaire au long cours permettront à terme aux armées russe et chinoise d’opérer conjointement dans de véritables guerres.

Lors de son point de presse de jeudi dernier, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, a déclaré que la Chine et la Russie considéraient leurs relations comme une priorité. «Le plafond à la confiance mutuelle Chine-Russie n’existe pas, il n’y a pas de zone interdite dans notre coopération stratégique et pas de limite à la portée de notre amitié de longue date», a-t-il déclaré.

Zhao Mingwen, un ancien diplomate chinois, a fait des remarques similaires au Financial Times, même si la Russie et la Chine ne sont pas des alliés officiels. «On pourrait dire que nous sommes même plus alliés que des alliés», a-t-il déclaré. Les deux pays se soutiendraient mutuellement dans les conflits s’ils étaient provoqués par des puissances extérieures. «Si la Chine était obligée d’unifier Taïwan par la force et que les États-Unis intervenaient, je pense que la Russie ne resterait pas les bras croisés», a déclaré Zhao.

Le renforcement des liens militaires entre la Chine et la Russie face aux menaces américaines met en évidence l’extrême témérité de la politique étrangère américaine. Après avoir poussé la Chine, désormais deuxième économie mondiale, et la Russie, dotée d’un énorme arsenal nucléaire, dans les bras l’une de l’autre, les États-Unis attisent délibérément un conflit à propos de l’Ukraine. Toute guerre en Ukraine, loin d’être une affaire locale, menacerait de dégénérer rapidement en une guerre catastrophique à l’échelle mondiale.

(Article paru d’abord en anglais le 31 janvier 2022)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…