Les Palestiniens célèbrent le cessez-le-feu entre les combattants d’Israël et de Gaza,
entré en vigueur aux premières heures de vendredi.
(Haitham Imad/EPA-EFE/Shutterstock)

Par Jehad Abusalim

Vendredi, dans tous les territoires palestiniens occupés, et particulièrement dans les cités et les villes de la Bande de Gaza, les Palestiniens sont descendus dans les rues pour célébrer — klaxonnant, tirant des feux d’artifice et partageant des friandises. Ils célébraient avec retard l’Aïd, le jour de fête marquant la fin du mois sacré de Ramadan, dont ils ont été privés cette année à cause de la violence brutale déchaînée sur Gaza par l’armée israéliennne. Ils pouvaient le faire grâce au cessez-le-feu qui est entré en vigueur vendredi à 2h du matin, suspendant les frappes aériennes israéliennes. 

Pour mes amis et ma famille à Gaza, le cessez-le-feu représente la fin de 11 jours d’une violence extrême et omniprésente qui a tué au moins 243 Palestiniens, dont 66 enfants. Certains célèbrent seulement la survie physique. D’autres n’arrivent pas à croire qu’ils sont encore vivants. Des familles entières ont été enterrées sous les décombres. Israël a écrasé d’importants immeubles de logement, des maisons, des bureaux de presse, des librairies et même des cliniques de soins.

Pour moi, ici aux Etats-Unis, le cessez-le-feu met fin à 11 jours d’angoisse, pendant lesquels j’ai à peine dormi la nuit à cause de la peur de ce qui m’attendait au réveil. J’ai vérifié constamment mon téléphone pour les messages de ma famille me confirmant qu’ils étaient encore vivants.

Et pourtant je célèbre le cessez-le-feu dans l’ambivalence. Et cela parce que, même s’il met fin, provisoirement, à la violence spectaculaire des 11 derniers jours, il ne mettra pas fin à la violence quotidienne à Gaza et dans tous les territoires occupés, qui continue depuis 73 ans. Avec d’autres Palestiniens, j’ai été surpris de la vague d’indignation mondiale face à l’armée israélienne, et de la solidarité avec Gaza au cours des quelques derniers jours. Mais je ne peux m’empêcher de me demander si le monde va maintenant détourner les yeux de la destruction et de la mort plus lentes que sont le siège continuel et l’occupation.

Pendant les 14 dernières années, un étouffant blocus israélien a piégé la population de Gaza dans une zone de 360 km2, en nous interdisant même les plus basiques produits et fournitures. A moi qui ai grandi pendant ce blocus, le passage même du temps me semblait violent. 

C’était la violence de minutes et d’heures passées sans électricité, sans accès à de l’eau potable, sans capacité à voyager vers d’autres endroits du pays ou vers le monde extérieur, tandis que des malades du cancer mouraient en attendant des autorisations de sortie. 

C’était la violence du temps qui passe, à l’isolement dans l’un des territoires les plus densément peuplés du monde. Deux millions de personnes vivent actuellement à Gaza. (Selon les prévisions des Nations Unies, d’ici 2050, la population de Gaza montera à 4,8 millions. Gaza est déjà l’une des régions les plus densément peuplées du monde, mais cela fera plus que doubler la densité de la population, d’environ 5 000 personnes par km2 à plus de 13 000 par km2.)

C’était la violence de la vie sous traumatisme intense et persistant entre deux périodes de bombardement. Alors que ce dernier cessez-le-feu s’établit, les Palestiniens de Gaza doivent toujours récupérer de l’impact trumatisant des attaques précédentes de 2008, 2012, et 2014. J’ai eu l’expérience de l’attaque de 2008 de première main et alors même que j’écris ces lignes, je reste hanté par ses horreurs. 

Et tout cela est la conséquence de vivre et de revivre la Nakba — le déplacement forcé des Palestiniens hors de leurs foyers — qui a commencé en 1947. Le projet de construction de l’état par Israël a impliqué l’effacement systématique et l’élimination d’un peuple entier, détruisant nos maisons et nos communautés, faisant de nous des réfugiés. 

A Gaza et dans toute notre patrie, ce processus de dépossession par la violence continue aujourd’hui, Israël visant à s’assurer qu’il ne reste qu’un état à majorité juive, avec un maximum de terres pour la population juive et un minimum de Palestiniens. Les réfugiés palestiniens de Gaza sont supposés être oubliés, vivant et mourant sous clôture, étouffés. 

Mais l’explosion récente d’une violence intense est aussi la preuve que les tentatives d’Israël pour effacer les Palestiniens dans certaines zones et les mettre sous clôture dans d’autres, en espérant qu’ils vont disparaître, ont échoué. Les Palestiniens résistent. A Sheikh Jarrah, dans Jérusalem-Est, ils se cramponnnent à leurs terres. Aux frontières du Liban et de la Jordanie, ils défilent pour leur droit au retour. A Gaza, nous célébrons notre survie comme peuple et espérons que le monde ouvre les yeux sur notre détresse. 

Aux Etats-Unis, la législation introduite par le sénateur Bernie Sanders (Indépendant-Vermont) au Sénat et la représentante Alexandria Ocasio-Cortez (Démocrate-New York) à la Chambre pour bloquer les ventes d’armes à Israël est une mesure bienvenue. Pourtant, pour arrêter la violence constante, nous avons besoin d’une vision nouvelle et créatrice pour un changement fondamental, pour les Palestiniens et pour Israël, une vision enracinée dans les principes d’égalité, de justice et de liberté. 

Nous avons besoin de politiques qui se concentrent sur la Nakba comme cause fondamentale et fassent rendre des comptes à Israël pour son expansion et  pour l’effacement des Palestiniens. Un bon exemple est H.R. 2590, un projet de loi qui conditionne l’aide à Israël à sa cessation des violations des droits humains. 

Plus important encore, nous avons besoin que le monde continue à faire attention et à s’exprimer. Jusqu’à la fin de ce blocus étouffant, jusqu’à ce nous voyons que des comptes soient rendus pour les crimes de guerre commis sur la population de Gaza, notre liberté restera incomplète.

Jehad Abusalim est associé, pour l’éducation et la politique, au programme d’action pour la Palestine de l’American Friends Service Committee. Il termine un doctorat dans le programme commun des départements d’histoire et d’études hébraïques et juives à l’université de New York.

Source : Washington Post

Traduction CG pour l’Agence média Palestine

Source : Agence Média Palestine
https://agencemediapalestine.fr/blog/…