Par Régis de Castelnau

Le tribunal administratif de Paris vient de prononcer un jugement ce 3 février présenté comme « condamnant l’État pour son inaction dans la lutte contre le réchauffement climatique » Cette décision rendue à la suite d’une procédure lancée sous le nom d’« Affaire du siècle » par un certain nombre d’associations (Oxfam France, Greenpeace France, Notre affaire à tous et la Fondation pour la nature et l’homme) est sans précédent, faisant l’objet de commentaires élogieux dans la presse et d’acclamations sur les réseaux. L’État français est ainsi considéré par la justice administrative comme fautif pour s’être montré incapable de tenir ses engagements de réduction des gaz à effet de serre. Il est condamné à verser un euro symbolique aux associations requérantes pour « le préjudice moral » résultant des « carences fautives de l’Etat à mettre en œuvre des politiques publiques lui permettant d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’il s’est fixés ». La juridiction a prolongé son audience pour définir, d’ici deux mois, les « injonctions » d’agir, c’est-à-dire les « ordres » qu’elle donnera à l’État, c’est-à-dire au gouvernement, pour atteindre ces objectifs.

Dans ses divers engagements internationaux, notamment lors des accords de Paris, la France s’est engagée à limiter ses émissions de gaz à effet de serre, pour atteindre un bilan neutre en 2050. Pour cela, elle s’est fixé une trajectoire prévoyant qu’à l’horizon 2020, notre pays devait alors obtenir la réduction globale de 14 % des émissions de gaz à effet de serre, la baisse de la consommation globale d’énergie de 20 % et l’augmentation à 23 % de la part des énergies renouvelables dans la production française. Ces objectifs n’ont pas été atteints et si de ce point de vue, la carence est incontestable, pour autant appartenait-il au juge administratif de la constater et de la sanctionner, en prétendant ordonner à l’État ce qu’il doit faire ? Et cette décision, incontestablement une première constitue-t-elle un succès dont il y a lieu de se réjouir ?

Malheureusement ce n’est pas si évident.

Quels sont normalement les pouvoirs du juge ?

Pour des raisons historiques, le système français a donné à une juridiction particulière dont le Conseil d’État est le sommet, le pouvoir de sanctionner judiciairement la puissance publique. Mais ce pouvoir relève essentiellement et avant tout du contrôle de la légalité de ses actes et de l’indemnisation des conséquences de ses fautes. Pour prendre un exemple particulier, dans la fameuse affaire de l’amiante, l’État a été condamné à indemniser les victimes de l’usage de ce produit dangereux pour n’avoir pas pris les mesures d’interdiction de celui-ci dès lors que cette dangerosité était scientifiquement connue. La faute précise résidait bien dans cette abstention, mais elle put être constatée et sanctionnée dès lors que la juridiction était saisie par une victime au préjudice incontestable. Rien de tel dans la décision concernant « l’Affaire du siècle » puisque c’est bien une carence générale que le juge a constatée en relevant que l’État n’avait pas atteint les objectifs qu’il s’était lui-même fixé. Quant au préjudice en lien avec cette carence, il est pour l’instant complètement hypothétique, et les associations demandeuses à la procédure n’en n’ont subi aucun. Et la juridiction d’ajouter qu’elle se fixe un délai pour définir les mesures nécessaires selon elle, mesures qu’elle ordonnera à l’État de prendre !

N’aurions-nous pas un petit problème démocratique ?

Dans un système de démocratie représentative, le pouvoir légitime à conduire l’action publique est celui de l’exécutif choisi par l’expression du suffrage universel. Il est contrôlé en continu par le pouvoir législatif issu lui aussi de l’expression de la souveraineté populaire. Le juge quant à lui est là pour arbitrer les conflits entre les citoyens, et en ce qui concerne la juridiction administrative les conflits entre les mêmes citoyens et la puissance publique. Nul besoin pour remplir cette mission limitée, de l’onction du suffrage universel. Parce que justement le principe de séparation des pouvoirs prévoit qu’il ne peut pas s’ingérer pas dans la définition de l’action publique ni se substituer, d’abord au pouvoir exécutif dans la définition des politiques publiques et ensuite au pouvoir législatif dans le contrôle de celle-ci. Ni bien sûr de celui des citoyens qui choisissent et mandatent leurs représentants pour le faire. Malheureusement, au risque de casser l’ambiance, force est de constater que le jugement acclamé du tribunal administratif de Paris sent le « gouvernement des juges » à plein nez.

La démocratie sans démos ?

L’évolution de nos sociétés occidentales qui voient s’affaiblir le poids de la délibération souveraine et démocratique dans la conduite des affaires publiques est vraiment préoccupante. La décision du TA de Paris en est un des symptômes et il n’y a probablement pas lieu de s’en réjouir. D’abord parce qu’elle est aussi le reflet des dysfonctionnements de notre système républicain qui a vu disparaître le système de contrôle législatif, l’Assemblée nationale ayant été transformée par le système Macron en chambre d’enregistrement assez ridicule. Ensuite, parce qu’incontestablement les taux d’abstention aux élections, qui deviennent parfois vertigineux, témoignent d’un désengagement vis-à-vis de la chose publique. Et la nature ayant horreur du vide, celui-ci commence à être rempli d’un côté par le juge, de l’autre par des activistes minoritaires.

Dans les deux cas, cela ouvre la voie à l’arbitraire et ce n’est guère rassurant.

Source : Vu du Droit
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