DOHA, QATAR – 11 MARS 2021 : le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov (2e à gauche) suivi de son adjoint Mikhail Bogdanov (2e à droite) et de l’ambassadeur du Qatar Nurmakhmad Kholov (à gauche) à sa rencontre avec l’émir du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad al-Thani.
Ministère russe des Affaires étrangères/TASS.

Par James M. Dorsey

La Russie espère donner un nouveau souffle à une proposition de structure de sécurité multilatérale dans le Golfe, avec l’approbation tacite de l’administration Biden.

Source : Responsible Statecraft, James M. Dorsey
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

La Russie espère donner un nouveau souffle à une proposition de structure de sécurité multilatérale dans le Golfe, avec l’approbation tacite de l’administration Biden.

En cas de succès, l’initiative contribuera à stabiliser la région, à consolider les efforts régionaux visant à réduire les tensions et à empêcher que le Yémen, ravagé par la guerre, ne devienne un Afghanistan à la frontière sud de l’Arabie saoudite et du golfe d’Aden, et à l’embouchure de la mer Rouge.

Pour l’instant, Vitaly Naumkin, un éminent universitaire, conseiller académique des ministères des Affaires étrangères et de la Justice, et directeur de l’Institut d’études orientales de l’Académie des sciences de Russie, examine la situation, selon Newsweek, qui a été le premier à faire état de cette initiative.

La semaine dernière, il a invité d’anciens fonctionnaires, des universitaires et des journalistes de pays du Moyen-Orient en conflit à une réunion à huis clos à Moscou pour discuter des multiples différends et conflits de la région et des moyens de les empêcher de devenir incontrôlables.

Naumkin, que l’on croit proche du président russe Vladimir Poutine, a coécrit le plan proposé pour la première fois en 2004. Le ministère russe des Affaires étrangères a publié une version affinée en 2019.

La Russie semble avoir choisi le moment opportun pour relancer sa proposition de commencer à créer un cadre pour traiter avec les rebelles houthis, semblant ainsi prendre le dessus sur l’Arabie saoudite dans la guerre dévastatrice que connaît le Yémen depuis sept ans.

Les rebelles soutenus par l’Iran semblent être plus près de s’emparer de la province de Marib, riche en pétrole et en gaz, après deux années de combats parmi les plus sanglants de la guerre. Cette conquête ouvrirait la voie à une prise de contrôle par les Houthis de la province voisine de Shabwa, autre région riche en énergie. Les rebelles contrôleraient ainsi tout le nord du Yémen.

Ces avancées militaires renforceraient considérablement la position des Houthis dans les pourparlers visant à mettre fin à la guerre. Elles font également planer le spectre d’une division du Yémen entre le nord contrôlé par les Houthis et le sud dépendant de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis.

« La bataille de Marib pourrait être la dernière étape vers un Yémen unifié », a déclaré Nabil Hetari, écrivain yéménite et militant des droits humains.

Un Yémen du Nord indépendant et autoproclamé pourrait ressembler à un Afghanistan situé sur l’un des principaux points d’étranglement des flux de pétrole et de gaz dans le monde. Le Yémen du Nord, qui serait gouverné par un groupe islamiste nationaliste qui préside à l’une des pires crises humanitaires du monde, lutte pour obtenir la reconnaissance internationale, rétablir les services publics et stabiliser une économie ravagée par la guerre, tandis qu’une franchise d’al-Qaida opère dans le sud.

L’initiative russe semble également destinée à tirer parti des efforts déployés par les rivaux du Moyen-Orient que sont l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar, la Turquie et l’Iran pour réduire les tensions régionales, maîtriser leurs différends et éviter qu’ils ne deviennent incontrôlables.

La Russie semble exploiter ce que certains décrivent comme une pause et d’autres comme des pourparlers bloqués entre l’Arabie saoudite et l’Iran, sous la médiation de l’Irak. Les responsables irakiens ont insisté sur le fait que les pourparlers sont en suspens jusqu’à ce qu’un nouveau gouvernement irakien ait été formé à la suite des élections du mois dernier. Les discussions ont porté, du moins en partie, sur la conclusion d’un accord sur les moyens de mettre fin à la guerre au Yémen.

Naumkin a suggéré que l’initiative russe offre une occasion de faire du Moyen-Orient une région de coopération et de concurrence avec les États-Unis, contrairement à l’Europe du Sud-Est et à l’Ukraine, où les tensions entre les États-Unis et la Russie sont en hausse.

Au Moyen-Orient, la Russie et les États-Unis « ont une menace commune, la menace de guerre. Ni les États-Unis ni la Russie ne sont intéressés par cette guerre », a déclaré Naumkin à Newsweek.

Un porte-parole du département d’État n’a pas exclu une coopération. « Nous restons prêts à coopérer avec la Russie dans les domaines où les deux parties ont des intérêts communs tout en nous opposant aux politiques russes qui vont à l’encontre des intérêts américains », a déclaré le porte-parole.

La proposition russe appelle à intégrer le parapluie de défense américain dans le Golfe dans une structure de sécurité collective qui inclurait la Russie, la Chine, l’Europe et l’Inde aux côtés des États-Unis. Cette structure inclurait, sans l’exclure, l’Iran, et devrait s’étendre à Israël et à la Turquie.

Les efforts des Émirats arabes unis pour ramener le président syrien Bachar el-Assad dans le giron arabe, voire international, bien qu’ils ne soient pas motivés par l’initiative russe, la faciliteraient à toutes choses égales.

Inspirée de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la proposition suggère que la nouvelle structure soit lancée lors d’une conférence internationale sur la sécurité et la coopération dans le Golfe.

La Russie considère que cette structure permettra la création d’une « coalition antiterroriste (de) toutes les parties prenantes » qui serait le moteur de la résolution des conflits dans la région et de la promotion de garanties de sécurité mutuelles.

Le plan impliquerait en outre la suppression du « déploiement permanent de troupes d’États extrarégionaux sur les territoires des États du Golfe », une référence aux forces et bases américaines, britanniques et françaises dans divers États du Golfe et ailleurs au Moyen-Orient.

Il appelle à la mise en place d’un système de sécurité « universel et global » qui tiendrait compte « des intérêts de toutes les parties régionales et autres parties concernées, dans tous les domaines de la sécurité, y compris dans ses dimensions militaire, économique et énergétique. »

Selon Naumkin, les rivaux du Moyen-Orient « en ont assez de ce qui se passe et ont peur d’une éventuelle guerre ». Les négociations sont la seule option qui leur reste.

C’est ce qui semble pousser des hommes comme le prince héritier des Émirats arabes unis, Mohammed bin Zayed, son homologue saoudien, Mohammed bin Salman, l’émir qatari Tamim bin Hamad Al Thani, le président turc Recep Tayyip Erdogan et le dirigeant iranien Ebrahim Raisi à se tendre la main dans une récente flambée d’activités.

« Il s’agit de pourparlers entre des autocrates désireux de protéger leur propre emprise sur le pouvoir et de stimuler leur économie : pas de paix en perspective, seulement à l’intérieur de nos frontières », a averti The Economist.

Source : Responsible Statecraft, James M. Dorsey, 30-11-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Source : Les Crises
https://www.les-crises.fr/…