Par Pierre Barbancey

En Palestine, nos consœurs et nos confrères sont la cible de l’armée d’occupation. Le président du Syndicat des journalistes, Nasser Abou Baker, dénonce la responsabilité des gouvernements israéliens dans cette répression qui a pour but d’imposer un seul récit.
Les journalistes palestiniens paient un lourd tribut à la liberté de la presse. Blessés, tués, ils et elles n’en continuent pas moins de témoigner de ce qui se passe dans les territoires occupés. Il n’y a pas un domaine où nos consœurs et nos confrères de Palestine peuvent travailler en toute sécurité. Pour preuve, l’assassinat, le 11 mai, de Shireen Abou Akleh, journaliste palestino-américaine réputée de la chaîne Al Jazeera, tuée par l’armée israélienne alors qu’elle couvrait une opération militaire à Jénine, en Cisjordanie.

Pétition

Assassinat de Shireen Abu Akleh
« Nous demandons des sanctions contre Israël »

https://chng.it/ZSYVFHXzGj

Comment décririez-vous la situation des journalistes palestiniens ?
Les journalistes palestiniens subissent les attaques régulières des Israéliens. Depuis 2000, selon nos sources, 50 journalistes ont été tués par l’armée israélienne. Ce qui fait plus de 2 morts par an, ce qui est énorme. C’est un véritable crime, peut-être le plus important à l’encontre des journalistes dans le monde entier. Le syndicat a publié plusieurs rapports sur ces crimes et ces attaques perpétrés par les Israéliens. De 2013 à juin 2022, nous avons dénombré pas moins de 7 400 attaques contre les journalistes. Selon une fondation basée aux États-Unis, les Israéliens sont les premiers prédateurs de journalistes dans le monde. Je ne pense pas qu’il y ait un pays au monde où les journalistes souffrent autant que les professionnels palestiniens. Quand je dis que nous sommes sous le feu de l’armée israélienne, ce n’est pas une image. C’est malheureusement la réalité. Ils nous ciblent quotidiennement. Ils ne veulent pas que le monde puisse assister à leurs crimes, mais ils ne veulent pas non plus que l’on montre la lutte du peuple palestinien contre l’occupation.
En fait, ce que cherchent les Israéliens, ce qu’ils veulent – et c’est pour cela qu’ils se comportent ainsi – est que n’existe que leur propre version du récit. On peut dire que, dans le passé, ils y étaient parvenus. Mais, aujourd’hui, ce n’est plus pareil. Il y a de nouveaux médias, les réseaux sociaux. Donc, ils ne peuvent plus imposer au monde leurs commentaires et leurs images. C’est pour cela qu’ils ciblent les journalistes. Pour tuer la vérité de ce qui se passe sur le terrain et faire en sorte qu’il n’y ait qu’une seule histoire qui parvienne au monde, la leur.

Cela concerne aussi les réseaux sociaux ?
Bien sûr, l’occupant israélien n’oublie pas de s’occuper des réseaux sociaux et tente de contrôler en permanence ce qui est posté. Ce qui est écrit et diffusé sur Facebook ou Instagram, par exemple, les inquiète particulièrement. Récemment, nous avons reçu les plaintes de trois journalistes dont les comptes ont été fermés sur les réseaux sociaux. Nous considérons qu’il y a une accointance entre le gouvernement israélien et les dirigeants de Facebook, mais aussi ceux d’autres réseaux sociaux.

Pensez-vous que ces attaques se sont aggravées ces quinze dernières années ?
Sans conteste, oui. La responsabilité incombe au gouvernement israélien, aux premiers ministres et aux leaders de l’armée et de ce qu’ils appellent les forces de sécurité. Sur le terrain, il ne faut pas croire que les soldats font ce qu’ils veulent et qu’il s’agirait d’actes isolés en quelque sorte lorsqu’ils tuent ou blessent un ou une journaliste. En réalité – et je ne dis pas ça pour dédouaner les soldats –, ils obéissent aux ordres qu’on leur donne et aux décisions politiques.

Comment votre syndicat peut-il agir face à cette puissance ?
Nous agissons avec la Fédération internationale des journalistes (FIJ) pour mettre fin à l’impunité israélienne dans ses attaques contre les journalistes palestiniens. Avec la FIJ, nous avons ainsi accès à la Cour pénale internationale (CPI). Nous espérons qu’une instruction sera ouverte et qu’une enquête puisse avoir lieu, notamment, dans le cadre de l’assassinat, à Jénine, de Shireen Abou Akleh, la journaliste d’Al Jazeera, mais, plus largement, sur tous les cas qui nous concernent. Nous attendons une réponse du procureur de la CPI, Karim Khan, et que soient jugés les meurtriers et ceux qui ont donné les ordres. Il faut protéger les journalistes palestiniens. Un jugement de la CPI sera un symbole de la fin de l’impunité pour quiconque dans le monde s’en prend aux journalistes. Nous savons que les journalistes sont avec nous. Ils sont du côté de la justice et de la vérité.

Vous devez aussi faire face à l’Autorité palestinienne ?
C’est un autre problème, qui, d’ailleurs, ne concerne pas que l’Autorité palestinienne. Nous publions, chaque année, un rapport sur la situation en Palestine. Il est constitué de trois sections. La première traite des crimes les plus importants, dont sont responsables les Israéliens. Ils nous tuent, nous blessent et détruisent nos locaux. L’an dernier, trois immeubles abritant des bureaux de journalistes à Gaza ont subi des frappes aériennes. Par ailleurs, il y a des violations de la part du Hamas à Gaza et de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie. Nous ne laissons passer aucune violation du droit des journalistes à faire leur travail. Nous interpellons le Hamas ou l’Autorité en leur rappelant qu’ils doivent respecter la loi, la liberté d’expression et la liberté de la presse. Mais, honnêtement, ces violations n’ont rien à voir avec ce que nous font subir les Israéliens. Avec eux, nous craignons pour notre vie.

Quel impact cette violence israélienne a-t-elle sur le travail des journalistes palestiniens ?
Ces crimes nous donnent encore plus de détermination pour continuer notre travail même si c’est dur. Nous sommes des professionnels, nous couvrons la réalité. Les journalistes palestiniens sont des reporters de guerre, ils collaborent avec de nombreuses agences internationales. Nous avons malheureusement l’habitude de traiter des situations difficiles, terribles, mais nous le faisons de façon professionnelle.

Pierre Barbancey
L’Humanité du 22 juillet 2022

Source : Assawra
https://assawra.blogspot.com/…