Julian Assange [Photo by David G. Silvers, Cancillería del Ecuador / CC BY-SA 2.0]

Par Oscar Grenfell

Dans une décision rendue publique aujourd’hui, un juge de la Haute Cour britannique a rejeté mardi la demande de Julian Assange de faire appel de son extradition vers les États-Unis pour des accusations d’espionnage. La décision expose Assange au risque imminent d’être renvoyé aux autorités américaines, qui le poursuivent pour avoir dénoncé des crimes de guerre perpétrés par les États-Unis.

Après plus de trois ans de procédure, les voies juridiques pour bloquer l’extradition d’Assange se sont considérablement réduites. Il ne lui reste essentiellement qu’une seule option d’appel, et elle pourrait être rejetée la semaine prochaine.

Début 2021, un tribunal de première instance s’est prononcé contre l’extradition au motif que l’emprisonnement d’Assange aux États-Unis serait oppressant et qu’il en mourrait sans doute. La Haute Cour a annulé ce jugement en décembre 2021, sur la base des assurances des États-Unis selon lesquelles le traitement d’Assange dans une prison américaine ne serait pas trop mauvais.

La décision représente une parodie de justice. Les assurances américaines constituaient de nouveaux éléments de preuve et n’auraient donc pas dû être acceptées. Elles ont été faites par un État qui, selon les révélations des médias, avait évoqué l’enlèvement illégal ou l’assassinat d’Assange alors qu’il était un réfugié politique en 2017. Les assurances, en outre, contenaient des lacunes qui auraient permis aux États-Unis de traiter Assange comme ils l’entendaient une fois qu’il était sur le sol américain.

Malgré cela, la Cour suprême a refusé d’entendre un appel d’Assange fondé sur des raisons de santé en mars dernier.

En juillet, les avocats d’Assange ont déposé un nouveau recours auprès de la Haute Cour, dont ils ont expliqué les motifs complets plus tard dans l’année. C’est cette demande qui a été rejetée cette semaine. Le juge Sir Jonathan Swift aurait rendu mardi une décision de trois pages. Le document n’a pas été rendu public.

L’appel devait porter sur les questions au fond de l’affaire. Celles-ci affirmaient qu’Assange est poursuivi pour ses opinions politiques et pour son discours protégé, tous deux interdits en vertu de la loi britannique sur l’extradition ; que la demande des États-Unis viole le traité d’extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni, qui interdit l’extradition pour des délits politiques ; que le gouvernement américain a déformé les faits de l’affaire devant les tribunaux britanniques et que cette tentative représente un abus de procédure.

La Haute Cour ne se prononçait pas directement sur ces questions. Elle s’est plutôt limitée à déterminer s’il existait un point de droit sur lequel Assange pouvait procéder à un appel devant la Haute Cour. Bien que certains experts juridiques aient déclaré qu’une telle décision aurait pu être prise en quelques jours ou semaines, elle a été traîné en longueur pendant plus de six mois avant le rejet.

Dans un message sur Twitter aujourd’hui, l’épouse de l’éditeur de WikiLeaks, Stella Assange, a expliqué la prochaine étape du processus judiciaire.

Elle a écrit : « Mardi la semaine prochaine, mon mari Julian Assange fera une nouvelle demande d’appel devant la Haute Cour. L’affaire fera ensuite l’objet d’une audience publique devant deux nouveaux juges de la Haute Cour et nous restons optimistes quant au fait que nous l’emporterons et que Julian ne sera pas extradé vers les États-Unis où il fait face à des accusations qui pourraient l’amener à passer le reste de sa vie à perpétuité dans une prison à sécurité maximale pour avoir publié des informations véridiques révélant des crimes de guerre commis par le gouvernement américain ».

Si les juges de la Haute Cour confirment la décision de Swift la semaine prochaine, il semble que les options juridiques d’Assange en Grande-Bretagne soient épuisées. Les avocats d’Assange ont déposé un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme en décembre dernier. Elle pourrait éventuellement émettre une injonction pour suspendre l’extradition avant d’examiner l’affaire.

Quoi qu’il arrive, il est clair qu’Assange est plus proche que jamais d’être envoyé dans une prison américaine. Là, il serait détenu dans ce que les organisations de défense des droits de l’homme ont décrit comme le « recoin le plus sombre » du système carcéral américain draconien. Il serait, selon toute vraisemblance, détenu dans les mêmes conditions d’isolement quasi total que les terroristes condamnés.

Assange aurait affaire à un procès de sécurité nationale à huis clos qui se tiendrait dans le district oriental de Virginie, où sont basées la CIA et d’autres agences de renseignement, en veillant à ce que le jury soit composé d’agents secrets, de leurs proches ou de leurs associés. Les accusations sont passibles d’une peine maximale de 175 ans.

La justice britannique a joué le rôle charnière dans cette opération. Elle a supervisé l’emprisonnement d’Assange pendant plus de quatre ans, la plupart du temps sans inculpation, alors même que les experts médicaux avertissent que sa santé se détériore.

Et les tribunaux britanniques ont affiché de toute évidence une indifférence à tous les développements qualifiant le cas d’Assange de coup monté illégitime. Le plus évident est le fait que l’affaire américaine a été dénoncée par toutes les organisations notables des droits de l’homme et de la liberté de la presse dans le monde comme portant un coup aux droits démocratiques fondamentaux et une tentative d’attaquer le journalisme en justice.

Des histoires sensationnelles ont défrayé la chronique, qui auraient normalement dû aboutir à la fin de la procédure d’extradition et à la liberté immédiate d’Assange. Celles-ci n’ont à peine marqué l’esprit de la justice britannique.

En juin 2021, Sigurdur « Siggi » Thordarson, un criminel islandais condamné, a reconnu avoir fourni de fausses preuves contre Assange en échange de l’immunité contre les poursuites par le Federal Bureau of Investigation (FBI) des États-Unis. Les mensonges reconnus de Thordarson demeurent dans l’acte d’accusation actuel en vertu duquel les États-Unis demandent l’extradition d’Assange.

En septembre 2021, Yahoo News a publié une enquête approfondie, alléguant qu’en 2017 l’administration Trump et la CIA avaient eu des discussions sur l’enlèvement illégal ou l’assassinat d’Assange, qui était alors un réfugié politique à l’ambassade de l’Équateur à Londres.

Les lanceurs d’alerte ont également allégué que la société assurant la sécurité de l’ambassade, UC Global, était devenue véreuse et collaborait secrètement avec le gouvernement américain. Cela impliquait la surveillance illégale des discussions privilégiées d’Assange avec ses avocats.

Le fondateur d’UC Global, David Morales, est poursuivi pour ces accusations et d’autres crimes en Espagne. Le week-end dernier, El Pais a rapporté la preuve la plus directe à ce jour que Morales et la CIA formaient un partenariat criminel contre Assange. Dans ses fichiers informatiques, la surveillance illégale d’Assange avait été placée dans un dossier marqué « CIA ».

En même temps, Assange bénéficie d’un soutien populaire croissant, y compris en Australie dont il est citoyen. Un sondage australien du mois dernier a révélé que 79 pour cent des personnes interrogées souhaitaient que le gouvernement américain abandonne toutes les charges retenues contre Assange afin qu’il soit libéré.

Alors que l’affaire américaine continue de s’effondrer et que le sort d’Assange est plus visible, le danger réel existe que les autorités impliquées, en Amérique, en Grande-Bretagne et en Australie, cherchent à achever l’extradition aussi rapidement que possible. La meilleure façon de prévenir le soutien croissant d’Assange pourrait être de le mettre devant un fait accompli, c’est-à-dire son envoi aux États-Unis.

Cela souligne l’urgence de transformer le sentiment latent de soutien à Assange en un mouvement de masse de travailleurs et de jeunes luttant consciemment pour sa liberté.

Dans cette lutte aucune confiance ne peut être accordée à aucun des gouvernements ou institutions officielles, y compris le gouvernement travailliste (Labor) australien. Il a fait de vagues déclarations d’inquiétude pour le sort d’Assange, du type « ça suffit » et l’affaire « devrait être close ».

Le Labor prétend avoir fait part de ces positions à l’administration Biden, mais comme le démontre la décision du tribunal britannique de cette semaine, rien n’a changé. Assange reste emprisonné en Grande-Bretagne, la procédure d’extradition s’accélère vers une conclusion, Biden n’a donné aucune indication que son administration abandonnera les charges. Pendant ce temps, Labor approfondit quotidiennement sa collaboration avec les États-Unis, en particulier dans les préparatifs d’un conflit agressif avec la Chine.

C’est le contexte dans lequel se déroule la persécution d’Assange. Alors qu’elles mènent une guerre par procuration contre la Russie en Ukraine et se préparent à une guerre encore plus catastrophique contre la Chine dans l’Indo-Pacifique, les puissances impérialistes entrent également en guerre contre les droits démocratiques de la population. Elles utilisent la persécution d’Assange comme fer de lance d’une campagne plus large pour intimider plus largement l’opposition à la guerre et au statu quo.

L’autre face de la situation mondiale est la croissance de la lutte des classes et une radicalisation politique croissante des travailleurs et des jeunes. Les défenseurs des libertés individuelles doivent se tourner vers ce mouvement et se battre pour inscrire la liberté d’Assange sur son étendard, pour empêcher son extradition.

(Article paru en anglais le 9 juin 2023)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/articles/…

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